Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

Parnell, allié des conservateurs, obtint d’eux une nouvelle loi agraire (1885). Puis, en 1886, il s’allia avec Gladstone, et les deux hommes préparèrent un projet de Home Rule qui aurait permis à l’Irlande de jouir d’une très large autonomie. Mais une partie des libéraux, suivant Joseph Chamberlain*, préféra rompre avec Gladstone ; l’appui des « libéraux unionistes », favorables au maintien de l’Irlande dans le Royaume-Uni, permit aux conservateurs de reprendre le pouvoir.

Le prestige de Parnell était au plus haut lorsqu’un des membres de son propre parti, William O’Shea, entama un procès de divorce contre sa femme, l’accusant d’adultère avec Parnell. Celui-ci fut condamné : puritains et catholiques s’écartèrent de lui. Il mourut peu après (1891) : la cause du Home Rule paraissait ruinée, comme l’avait été la carrière politique de son champion.

• Vers le Home Rule. De fait, Gladstone fut de nouveau battu sur un second projet de Home Rule présenté en 1893. Conservateurs et unionistes s’employèrent d’ailleurs à calmer l’Irlande par de nouvelles lois agraires (1891, 1896) et surtout par la loi Wyndham de 1903, qui autorisait l’État à racheter les terres aux grands propriétaires et à les relouer aux tenanciers, qui, au bout de soixante-huit ans, en deviendraient à leur tour propriétaires.

Mais peu à peu reparurent des mouvements spécifiquement irlandais : certains n’avaient que des buts économiques (l’Irish Agricultural Organization Society [IAOS], fondée par Horace Plunkett et destinée à favoriser le développement des coopératives) ou littéraires (la Ligue gaélique, fondée en 1893 par Douglas Hyde). Ils favorisèrent d’ailleurs la prise de conscience par les Irlandais eux-mêmes de l’originalité de leur civilisation. Le congrès mondial de la race irlandaise qui se tint en 1896, la célébrité des écrivains irlandais comme Yeats*, Shaw*, Synge* ou George Moore témoignent aussi dans ce sens.

Mais bientôt apparurent de nouveaux partis politiques, beaucoup plus radicaux, comme le parti socialiste républicain irlandais, peu nombreux mais déterminé, et surtout le Sinn Féin* (« Nous-mêmes »), fondé en 1902 par Arthur Griffith (1872-1922), un fenian et l’un des leaders de l’IAOS. À partir de 1908-1910 se créèrent des syndicats irlandais autonomes.

Les libéraux, qui étaient revenus au pouvoir en Grande-Bretagne, se préoccupèrent du Home Rule. Malgré la violente opposition des protestants ulstériens (Edward Carson), Asquith réussit à faire voter le Home Rule en 1912 par les Communes. Mais le veto des lords en retarda l’application. Dès lors, les Sinn Féiners se donnèrent une organisation militaire (les « Volontaires irlandais »), tandis que Carson créait les « Volontaires ulstériens ».

Dans une Irlande agitée par des troubles sociaux et de violentes grèves, la guerre civile paraissait prochaine. Lorsque les ministres les plus énergiques — en particulier Churchill* — donnèrent l’ordre à l’armée de désarmer les Ulstériens, la plupart des officiers préférèrent démissionner.

L’affrontement fut cependant évité : le Home Rule, de nouveau voté par les Communes en mai 1914 et qui devait enfin prendre force de loi, excluait l’Ulster de l’accord pour un temps. Et puis, en juillet 1914, la déclaration de guerre détournait l’attention de l’Irlande : malgré leur déception devant l’exclusion de l’Ulster, les députés irlandais acceptèrent de participer à l’effort de guerre. Mais les Anglais se montrèrent maladroits (entrée de Carson au gouvernement, maintien des troupes d’occupation en Irlande quand des volontaires irlandais allaient se faire tuer au front...). Bientôt, les « Volontaires irlandais » se scindaient en deux : le groupe le plus puissant, conduit par Eamon De Valera*, Eoin MacNeill, Patrick Pearse, James Connolly et Roger Casement (un diplomate britannique), entendait bien profiter des ennuis de l’Angleterre, quitte à s’appuyer sur l’Allemagne. Toutefois, Casement, qui était allé chercher des armes à Berlin, ayant été capturé (puis fusillé), les Volontaires préférèrent ajourner l’insurrection qu’ils avaient prévue ; seuls les Volontaires dublinois se soulevèrent en avril 1916, sous la conduite de Pearse. Au bout d’une semaine, la répression était maîtresse du terrain. La plupart des chefs du mouvement nationaliste furent exécutés ; E. MacNeill, De Valera et W. Cosgrave virent cependant leur peine de mort commuée en prison à vie. En 1917, ils furent amnistiés.

Dès lors, la montée du Sinn Féin fut irrésistible. En 1918, sur 105 sièges à pourvoir, il obtint 73 sièges, tandis que les unionistes enlevaient les 23 sièges ulstériens (et 3 sièges dans le Sud) ; l’Irlande n’envoyait à Westminster que six députés modérés... Au reste, les élus du Sinn Féin refusèrent de siéger à Westminster, et ils constituèrent à Dublin le premier Dáil Éireann, Parlement irlandais qui désigna De Valera comme président de la République irlandaise, encore qu’il fût de nouveau en prison. Un gouvernement où figuraient Arthur Griffith, Michael Collins et Eoin MacNeill prit bientôt une part prépondérante dans la vie du pays : les Volontaires irlandais se transformèrent en une armée révolutionnaire irlandaise (Irish Republican Army, IRA).

Les Anglais essayèrent d’abord la répression. Ils organisèrent des corps spécialisés, comme les Black and Tans, des vétérans qui se croyaient encore au front, auxquels les hommes de l’IRA répondirent par le terrorisme. Plusieurs épisodes spectaculaires (massacre de Croke Park, mort de Terence MacSwiney, lord-maire de Cork, après une grève de la faim de protestation) marquent l’année 1920. Lloyd* George comprit qu’il lui fallait changer de politique : l’Irish Government Act (23 déc. 1920) séparait, par une frontière administrative, l’Ulster de l’Irlande du Sud et accordait aux deux régions une large autonomie. Mais cette mesure ne pouvait satisfaire les nationalistes, qui entendaient obtenir une véritable indépendance. Constatant l’emprise croissante du Sinn Féin et de l’IRA, incapable de répondre à la vague du terrorisme, Lloyd George préféra ouvrir les négociations avec les Irlandais : en octobre 1921 commencèrent les négociations pour le traité de Londres de décembre, qui donnait naissance à l’État libre d’Irlande.