Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

Les catholiques n’avaient pas grand-chose à espérer de la Restauration : car ce furent les leaders cromwelliens eux-mêmes, Coote et Broghill, qui, en plein accord avec Monk et le prince Charles, la favorisèrent. Aussi n’y eut-il que peu de restitutions de terres et, en 1672, alors que l’Irlande avait 800 000 habitants catholiques et seulement 300 000 habitants protestants, on pouvait estimer que la propriété des terres se répartissait ainsi : sur les 4 800 000 ha de terres « profitables », 1 400 000 étaient aux mains de catholiques, en très grande majorité « Vieux Anglais », 1 800 000 étaient la propriété des protestants venus avec Cromwell, 1 600 000 restaient aux protestants d’avant Cromwell.

J.-P. G.


L’Union entre l’Irlande et l’Angleterre (1800-1921)

• Daniel O’Connell. Dans l’esprit de Pitt*, l’Union devait permettre de résoudre les problèmes irlandais en substituant aux intérêts particuliers de telle ou telle catégorie de la population irlandaise l’intérêt supérieur du Royaume-Uni : mais, dès le début, cette politique fut vouée à l’échec. Lorsque Pitt voulut faire adopter ce qu’il considérait comme le complément naturel de l’Union, c’est-à-dire l’émancipation des catholiques, il se heurta au veto du roi George III : l’Union était par là même vidée de son sens profond et réduite à une manœuvre constitutionnelle. Sa seule conséquence était d’avoir tué toute vie politique en Irlande.

Certes, le mécontentement était général : mais la tentative de soulèvement des derniers « Irlandais-Unis », menés par Robert Emmet (1778-1803), échoua lamentablement à Dublin en 1803. Le mécontentement ne pouvait être exploité que par un homme politique capable de s’appuyer sur l’une des fractions de la population irlandaise divisée.

C’est ainsi que, sur un fond de violences anarchiques et incontrôlées, dues à des sociétés secrètes et aux paysans opprimés, se déroula la carrière de l’avocat catholique Daniel O’Connell*. Pénétré des idées politiques anglaises, mais aussi bon connaisseur de la langue et de la mentalité gaéliques, ce nationaliste avait en fin de compte pour but de faire profiter tous les Irlandais des bienfaits du régime politique britannique. Pour cela, il fallait avant tout obtenir l’émancipation des catholiques, et ensuite la suppression de l’Union. O’Connell fut assez habile pour convaincre les évêques catholiques de renoncer à un compromis que proposait le gouvernement anglais en 1813. Appuyé sur l’Association catholique, qu’il fonda en 1823, il réussit à se faire élire député dans le comté de Clare en 1828. Ayant refusé de prêter le serment antipapiste exigé des députés irlandais depuis 1692, il vit son élection annulée, pour être aussitôt réélu. Le gouvernement de Londres céda : les dissidents avaient été émancipés en 1828, les catholiques le furent en 1829. Les lois pénales avaient vécu. Il est vrai que le Premier ministre, Wellington, prit aussi la précaution de faire remonter le cens électoral : les électeurs irlandais, qui auraient dû être 100 000, ne furent que 26 000.

L’Association catholique ne s’en tint pas là. Elle poussa les catholiques à refuser de payer la dîme à l’Église d’Irlande : en 1838, la dîme fut très diminuée et incorporée aux fermages, à charge pour les propriétaires — protestants le plus souvent — de la reverser à l’Église d’Irlande. O’Connell obtint encore diverses autres améliorations, telle l’extension à l’Irlande de la loi sur les pauvres. À partir de 1840, il lança une nouvelle campagne pour obtenir la suppression de l’Union : bien qu’il ait réussi à réunir des foules énormes dans de grands meetings, il ne put faire céder Londres, car il recula devant le saut dans l’illégalité lorsque, en 1843, il décommanda le meeting de Clontarf, interdit, qui paraissait devoir réunir un million de personnes. Condamné, puis acquitté, il mourut peu après (1847) : mais déjà ses meilleurs disciples l’avaient quitté pour organiser le mouvement « Jeune-Irlande » (Thomas Davis, William Smith O’Brien, Charles Gavan Duffy). Mais une terrible catastrophe, la Grande Famine, allait révéler quelle était l’ampleur du mal dont souffrait l’Irlande.

• Parnell. Il fallut longtemps pour reconstituer dans ce pays, abattu, un mouvement politique dynamique. Les « Jeunes-Irlandais » disparurent du devant de la scène. Charles Gavan Duffy (1816-1903), le plus capable d’entre eux, échoua en voulant créer une « ligue des fermiers irlandais ». Avec les subsides d’Irlandais émigrés fut créée, en 1858, la Fraternité républicaine irlandaise (Irish Republican Brotherhood, IRB), dont les membres prirent le nom de « fenians » (irlandais fianna). Ils multiplièrent les attentats, surtout en 1866 et 1867, si bien que l’opinion britannique commença à prendre conscience du problème irlandais. En 1870, Isaac Butt (1813-1879), un juriste de l’Ulster, fonda l’association pour le Home Rule, qui revendiquait l’autonomie de l’Irlande et dont le membre le plus populaire fut très vite Charles Parnell* ; en 1879, Michael Davitt (1846-1906) créa la Ligue agraire (Land League), qui orchestra une formidable agitation agraire. Bientôt, Parnell devint le chef des deux mouvements : utilisant d’habiles procédés (par exemple l’obstruction systématique au Parlement de Westminster), il força le gouvernement britannique à multiplier les concessions.

Le chef du parti libéral, Gladstone*, avait d’ailleurs depuis longtemps compris qu’il lui faudrait faire des réformes. Dès 1869, il avait mis fin à la prééminence officielle de l’Église d’Irlande. Puis, en 1870, un premier Land Act accorda quelques garanties aux tenanciers. Mais il fallut attendre 1881 pour que, sous la pression de la Ligue agraire, qui faisait campagne pour les « 3 F » (fixity of tenure [fixité de la tenure], fair rent [juste loyer], free sale [liberté de vente]), des mesures plus sérieuses soient prises : le Land Act de 1881, assorti d’ailleurs de dispositions répressives très strictes (loi Forster), reprenait à peu de chose près le programme des « 3 F ».

Des attentats terroristes (assassinat en mai 1882 du secrétaire d’État lord Frederick Cavendish) freinèrent cette politique de conciliation. Mais, à partir de 1855, les députés irlandais se trouvèrent en position de force aux Communes, car, conservateurs et libéraux étant en nombre sensiblement égal, la majorité dépendait de l’appoint irlandais.