Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

L’avantage semble d’abord avoir appartenu à l’Ulster. Mais, à partir de 200, le royaume du Connacht (où régnait Tuathal), sous la direction de Conn aux Cent Combats, passa au premier rang : aidé de mercenaires (fianna), qui tiennent une place centrale dans les légendes irlandaises, Conn conquit le Leinster du Nord et affaiblit le Leinster du Sud et l’Ulster. Il porta le premier le titre d’Árd Rí (ou Áird Rígh), roi suprême de l’île. Sous ses successeurs, le Connacht s’affermit encore, tandis que grandissait aussi la puissance du Munster, où régnait la race d’Eoghan Mór, le rival de Conn.

Le plus célèbre des rois du Connacht est Niall aux Neuf Otages, qui régna de 380 à 405 et abattit définitivement l’Ulster. Ses descendants, les O’Neill, conserveront la dignité d’Árd Rí jusqu’en 1002, le titre étant partagé entre les O’Neill d’Ailech et les O’Neill de Meath.

Les descendants d’un des fils de Niall, Connall, prirent quant à eux l’appellation de O’Donnell. C’est aussi vers cette époque que s’intensifièrent les opérations de piraterie irlandaises en Angleterre : vers 405, les Irlandais ramenèrent parmi les esclaves razziés du Cumberland un jeune homme issu d’une bonne famille romano-bretonne, du nom de Patrick*, dont l’œuvre devait avoir plus de permanence que celle de Niall.


L’Irlande chrétienne

• La conversion. À la différence de la « Bretagne » (l’Angleterre d’aujourd’hui), l’Irlande, qui n’avait pas connu la conquête romaine et dont poètes et druides préservaient l’homogénéité culturelle, était restée à l’écart du christianisme. Patrick, pendant les six années de captivité qu’il passa dans l’Antrim, conçut le dessein de gagner les turbulents Irlandais au christianisme comme à la romanité. Ayant réussi à s’échapper, il alla en Gaule, où il passa de longues années à Auxerre, alors l’un des centres intellectuels les plus vivaces de l’Occident. Lorsqu’en 431 Palladios, que le pape Célestin Ier venait de choisir pour partir évangéliser l’Irlande, mourut, c’est Patrick qui, tout naturellement, le remplaça dans sa mission. De 432 à 444, il évangélisa l’Ulster et finit par établir une Église à Armagh. Avant sa mort, en 461, il avait consacré trois évêques, et le christianisme gagnait sans cesse du terrain, malgré les réticences des druides.

• Le christianisme irlandais. L’une des raisons de la relative lenteur de l’expansion du christianisme en Irlande réside dans le fait que Patrick avait voulu importer des structures ecclésiales classiques, celles de l’Italie et de la Gaule, sans tenir assez compte des traditions de la société irlandaise. Ce n’est pas avant 565 que l’Árd Rí se convertit au catholicisme : mais, dès ce moment, le christianisme irlandais avait acquis ses traits caractéristiques.

Parmi ces signes distinctifs, il faut insister sur l’effacement de l’épiscopat, dû à la multiplicité des « tuath », auxquels correspondaient les limites des diocèses, qui étaient donc beaucoup trop petits, alors que l’élan religieux poussait vers les monastères d’innombrables jeunes gens. Les plus importants évêchés se transformèrent d’ailleurs rapidement en monastères (Armagh, Clonard). Dans les grands monastères (Clonard, Clonfert, Clonmacnoise, Lismore, Kildare, Derry, Inishmore), animés par des hommes de très grande valeur comme Finnian, Ciaran, Brendan ou Colomba, l’étude du latin et de la culture antique progressa de façon spectaculaire au moment même où elle périclitait dans le reste de l’Europe.

Colomba aida à résoudre les problèmes d’assimilation qui se posèrent : les poètes restèrent partie intégrante de la société irlandaise, et leur rôle auprès des grandes familles royales dont ils chantaient les hauts faits et les généalogies demeura essentiel. Ils surent d’ailleurs tirer parti de la diffusion en Irlande de l’écriture latine : on ne copia pas seulement dans les monastères irlandais les livres saints, les œuvres des théologiens et des classiques, mais aussi certaines chansons de geste et poésies gaéliques.

Là ne s’arrêta pas l’action de Colomba. Pour expier un péché qui l’avait entraîné à une faute politique, origine d’une guerre, il décida de s’expatrier et d’aller évangéliser les païens : il se rendit ainsi chez les Irlandais, qui, depuis le ive s., étaient passés en Écosse (Dalriada) ; il évangélisa non seulement ces Irlandais, ces Scotti, qui devaient donner leur nom à l’Écosse, mais aussi les Pictes.

Colomba mourut en 597 dans le monastère écossais d’Iona, qu’il avait fondé et qui fut le centre de l’évangélisation de l’Écosse aussi bien que de celle d’une bonne partie de l’Angleterre. Nombreux furent en effet les moines qui suivirent son exemple : leurs efforts ne furent pas cependant couronnés d’un succès total, car le particularisme des Irlandais se heurta plus d’une fois aux usages de l’Église romaine. Leur habitude de célébrer Pâques à une date différente de celle de Rome fut d’ailleurs condamnée au concile de Whitby (664), et, en 716, Iona dut se conformer à l’usage romain.

Pourtant, si les missionnaires irlandais perdirent du terrain en Angleterre, ils furent ailleurs à la pointe du combat : tandis que des ermites partaient vers des terres lointaines (Islande, îles Féroé), d’autres — le plus célèbre étant Colomban (v. 540-615) — gagnaient la Gaule et la Germanie, où ils fondèrent de nombreux monastères.

L’évangélisation ne fut pas le seul apport des Irlandais à l’Europe. Rien n’était plus prisé (au moins jusqu’à ce que, avec Charlemagne, s’introduisît la minuscule Caroline) que l’enluminure et la calligraphie irlandaises. En outre, plusieurs intellectuels de haute volée transmirent à l’Europe les spéculations des écoles irlandaises : l’Anglais Alcuin passa quelques années en Irlande avant d’aller occuper une place essentielle à la cour de Charlemagne ; et quant à Jean Scot* Erigène et à Sedulius Scottus, ce sont de purs Irlandais.