Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

investissement (suite)

L’investissement dans les pays en voie de développement

Les planificateurs dans les pays en voie de développement [...] considèrent que les investissements en capital représentent une voie plus facile pour « exécuter » un programme que la voie épineuse de la transformation. Cependant, c’est seulement par la transformation qu’il est possible de créer des conditions qui rendront les investissements prospectifs, et, ce qui est tout aussi important, qui susciteront, dans une économie qui n’avait pas jusqu’alors été orientée vers la croissance, une capacité de croissance spontanée [...]. Jusqu’à l’apparition d’une telle capacité, un pays ne peut pas espérer réaliser un « décollage » économique.

[...] La croissance d’une économie en voie de développement est rendue possible par la fusion de facteurs d’investissement et d’autres facteurs pertinents, qui concernent principalement les ressources humaines, l’organisation et les institutions ; le développement des premiers sans les seconds se traduira par des dépenses budgétaires qui ne s’accompagneront pas d’une croissance concomitante. Ces facteurs autres que les investissements se développent dans une large mesure spontanément dans les économies développées, sous l’effet des investissements de capital. Dans les pays du tiers monde, il faut en planifier le développement et en prendre constamment soin. (Ahron Wiener.)


Investissement et décollage

Cette remise en cause du contenu de la notion d’investissement, marquée par un élargissement de sa définition, a été suivie de révisions d’ordre théorique dans le domaine du développement économique et dans le domaine relatif à la décision à prendre en matière d’investissement.

Dans le cadre de l’analyse du développement économique, une thèse comme celle de Walt Whitman Rostow (présentée dans son ouvrage les Étapes de la croissance économique) aboutit à mettre en lumière le rôle stratégique de l’investissement. S’inspirant de l’évolution des pays qualifiés d’avancés, Rostow distingue dans la croissance économique plusieurs stades : d’abord, ce qu’il appelle la société traditionnelle ; ensuite, l’état de transition vers le démarrage (ou décollage, correspondant au take-off de l’auteur) ; puis la maturité et la société de consommation de masse. Pour beaucoup de pays dits « sous-développés », le démarrage de leur économie dépend d’un effort d’investissement concernant l’infrastructure (routes, ports, moyens de communication, télécommunications, barrages) et aussi les secteurs de base (agriculture, industries extractives, sidérurgie, etc.).

• Cet effort d’investissement n’est efficace que dans la mesure où il porte simultanément sur tous les aspects qu’il met en cause. Dans les pays en voie de développement, l’infrastructure ne s’est pas édifiée d’un seul coup, en l’espace de 20 ou 30 ans, mais progressivement, au fur et à mesure de l’extension du secteur productif. L’investissement dans le domaine de l’infrastructure est dépendant d’une évolution qui lui est extérieure.

• Les secteurs précapitalistes existant dans les économies à l’orée de l’essor du capitalisme n’ont pu être intégrés eux-mêmes au processus de développement qu’au prix de certaines transformations structurelles, mais, dans ce domaine, l’investissement ne donne de résultats que dans la mesure où il est précédé de modifications de caractère technique ou institutionnel, voire culturel.

• Les nécessités de l’élévation de la productivité du travail ont imposé, à un moment donné, un volume croissant d’investissements intellectuels ; il est ainsi caractéristique que les pays occidentaux aient éprouvé, au cours de la seconde moitié du xixe s., le besoin de généraliser l’instruction primaire.

• Ces pays, qui avaient une croissance économique propre (non induite de l’extérieur), ont été amenés à réaliser, à une étape donnée, des investissements importants dans les industries de base. L’efficacité de l’investissement procède donc d’un processus d’actions et d’effets interdépendants.

À partir de ces observations historiques, l’analyse économique contemporaine a pu définir les grandes priorités qui doivent être respectées en matière d’investissement par les pays sous-développés pour que leur économie puisse « décoller ». Il faut chercher à privilégier certains projets d’investissement favorisant le développement de l’infrastructure, la modernisation du secteur traditionnel, représenté par l’agriculture et l’artisanat, l’extension des industries de base (afin que l’économie ne dépende pratiquement plus de l’extérieur pour les biens essentiels) et la diffusion de connaissances propres à améliorer les qualifications de la main-d’œuvre. L’investissement de décollage, sur de tels théâtres, doit être, à tout prix « intégré ».


La décision d’investissement

Le second domaine d’analyse qui s’est trouvé atteint par la remise en cause de la notion traditionnelle d’investissement a trait à la décision qui doit être prise pour investir.

L’analyse économique contemporaine a souligné avec force que l’investissement effectué par l’entreprise privée n’est pas effectué uniquement en fonction de la rentabilité immédiate qui lui serait attachée. Un simple calcul de rentabilité, faisant intervenir une comparaison entre les dépenses et les recettes estimées ou attendues, ne suffit plus. Un projet d’investissement établi par une entreprise privée doit prendre en compte les motivations qui l’ont inspiré, souvent implicitement : le choix de l’investissement doit être traité dans toute sa complexité. De plus en plus, on considère qu’il est inutile, et peut-être même dangereux, d’isoler un investissement et d’en rechercher la rentabilité sans en étudier les prolongements et sans examiner la politique ou le programme de l’entreprise dont il n’est qu’une partie.