Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

investissement (suite)

En en dénonçant les insuffisances, l’analyse keynésienne devait remettre en cause cette première conception de l’investissement. Partant d’un constat pessimiste — d’où les circonstances historiques de la crise* de 1929 n’étaient pas exclues — selon lequel une économie livrée à elle-même est incapable d’équilibre, la doctrine keynésienne assigne à l’investissement un rôle stratégique. En effet, pour cette doctrine, l’équilibre ne peut être atteint que si les autorités publiques pratiquent une certaine politique dont l’investissement est un des principaux leviers. Dès lors, l’investissement cesse d’être uniquement le résultat spontané des choix individuels, si bien que, dans la ligne de l’analyse keynésienne, on a été amené à distinguer entre l’investissement autonome et l’investissement induit. L’investissement est autonome lorsqu’il est décidé par les responsables de l’économie. Les investissements induits sont ceux qui en dérivent : ils sont effectués sans l’intervention directe des autorités publiques, mais résultent de certains investissements autonomes. Le rôle assigné à l’investissement autonome, dans le postulat keynésien selon lequel l’investissement induit est impuissant de lui-même à rétablir l’équilibre de l’économie, est considérable. Ainsi, il faut suppléer les carences de l’investissement induit par l’investissement autonome, dont la mission consiste à stimuler l’économie.

Considéré sur un plan global, l’investissement apparaît nécessaire au fonctionnement de l’économie, non pas tellement par l’accroissement de la capacité de production qu’il implique, mais par les effets indirects dont il est la source et qui, de proche en proche, doivent recouvrir l’intégralité de la production. En bref, tout investissement productif crée des effets qui ont été regroupés sous l’expression générale d’« effets de multiplication et d’accélération ». Lorsqu’il y a réinvestissement des profits d’une entreprise, soit dans l’entreprise elle-même (par le canal de l’autofinancement), soit dans un autre secteur ou dans une autre branche, la capacité de production est multipliée ; cette expansion entraîne à sa suite une distribution secondaire de revenus qui peut être à l’origine, à son tour, d’une expansion ultérieure de la production. Par ailleurs, l’accroissement de la demande* de biens de consommation entraîne un phénomène d’accélération des investissements en biens de production, l’accroissement des investissements étant, dans ce cas, plus que proportionnel à l’accroissement de la demande de biens de consommation.

Enfin se signalent également les liaisons en amont et en aval que suscite un investissement productif dans une branche donnée. Par exemple, la création d’une cimenterie peut susciter un débouché supplémentaire, pour les entreprises productrices de chaux notamment ; elle va donc déclencher des activités en amont, réclamant à leur tour des investissements ; de même, elle peut provoquer en aval la création d’activités nouvelles ou tout au moins leur expansion, le développement, notamment, de l’industrie du bâtiment. Pour l’industrie sidérurgique, les effets pourront se faire sentir en amont, au niveau de l’extraction minière (fer et charbon), les minerais trouvant de nouveaux débouchés, et en aval dans les industries utilisatrices d’acier. Un investissement fait naître ainsi toute une gamme d’effets pouvant contribuer à maintenir ou à rétablir l’équilibre d’une économie tout entière.


Investissement et croissance

Mais la contribution de l’investissement ne s’arrête pas là : le maintien ou le rétablissement de l’équilibre économique ne peuvent être obtenus sans un certain progrès. En affirmant le caractère indispensable de l’investissement, la doctrine keynésienne introduit l’idée de nécessité de la croissance économique. L’équilibre souhaitable ne peut s’établir en fait sans un accroissement constant de la production.

C’est à partir de cette idée de croissance qu’a été proposée une nouvelle définition, plus large, de l’investissement. Sous la double pression de la révolution scientifique et technologique observée dans les pays industrialisés et des impératifs du développement économique des pays dits « sous-développés », l’investissement n’est plus défini comme la conséquence d’un placement, mais plutôt et surtout comme une affectation de ressources, à l’échelle de l’entreprise ou de la nation, destinée à accroître la capacité de production de l’une ou de l’autre, afin de promouvoir en dernier ressort la croissance de l’économie.

À cet effet, la définition de l’investissement doit être élargie et englober des aspects beaucoup plus immatériels que ceux de l’acquisition de biens d’équipements. Où se trouve, en fait, l’investissement, dans une société fabriquant et vendant des ordinateurs : dans ses installations (usines) ou dans la manière d’employer un personnel compétent et qualifié ? L’essor rapide de l’Allemagne et du Japon après la Seconde Guerre mondiale a montré que la partie la plus importante du « capital » de ces deux pays ne provenait pas de l’accumulation de biens matériels, qui avaient été détruits, mais de leurs institutions et, surtout, de leur main-d’œuvre très qualifiée. Par ailleurs, la politique économique à appliquer dans les pays sous-développés, essentiellement portée vers l’élimination des îlots de pauvreté, plaidait nettement en faveur d’une autre définition de l’investissement.

Pour toutes ces raisons, beaucoup d’économistes contemporains ont proposé de considérer comme dépenses d’investissement toute affectation de ressources ayant trait au développement et à la transmission du savoir, de la culture, des connaissances, de la science et de la technique, c’est-à-dire toutes les dépenses qui sont engagées pour la recherche scientifique et technique, pour le développement de l’instruction, de l’éducation, de la formation* des cadres. Dans ces conditions, on a été amené à parler d’investissement humain ou intellectuel dans la mesure où la définition, comme le propose par exemple l’économiste canadien Harry Gordon Johnson, fait intervenir divers facteurs tels que l’accroissement du capital matériel, l’amélioration de la santé, de la formation technique, l’affectation de la main-d’œuvre à des occupations plus productives, l’application des connaissances actuelles en matière de découvertes et l’utilisation des connaissances nouvelles pour accroître l’efficacité des processus de production. Cette proposition retrouve des suggestions formulées plus anciennement par des économistes comme Peter T. Bauer, Basil S. Yamey, P. D. Henderson.