Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

L’industrialisation nécessite donc la création d’organisations puissantes, mais les conditions qui permettent l’épanouissement de celles-ci sont sans doute moins étroites qu’on ne l’a parfois dit. Il n’en reste pas moins qu’un des problèmes de toute industrialisation est de donner aux bureaucraties la possibilité de s’implanter. On peut le faire en copiant les systèmes sociaux qui ont fait leurs preuves en Occident, ou bien encore en imaginant une de ces synthèses originales dont, hors d’Europe, le Japon offre l’exemple.


Une transformation globale

L’industrialisation est une transformation de l’appareil productif et de l’organisation sociale. Elle ne peut rester limitée sans se trouver rapidement menacée. Elle ne réussit vraiment que si elle réussit progressivement à gagner les divers secteurs de la vie économique.


Liaisons techniques et polarisation

Il est difficile d’assurer l’approvisionnement d’installations industrielles à partir d’ateliers dont la structure artisanale traditionnelle n’a pas été modifiée. Une adaptation est nécessaire : elle permet alors à un artisanat, ou à de toutes petites unités de production, de se maintenir, ou même de se multiplier, mais dans le cadre d’une organisation où ces unités ont perdu une bonne part de leur autonomie. Les sous-traitants sont liés à leurs clients, n’ont plus de contact avec le marché final et ne peuvent faire le poids en face des quelques acheteurs auxquels ils ont affaire. Les grandes entreprises n’ont pas de peine à peser sur eux, à les mettre en concurrence pour obtenir des baisses de prix et une adaptation incessante aux besoins généraux de l’économie.

Dans l’industrie mécanique, partout où l’on se livre à des montages complexes, ce genre de symbiose entre artisanat modernisé et grande entreprise est facile. Dans d’autres domaines, celui de la chimie par exemple, de telles situations paraissent impossibles : les demi-produits sortent d’usines où les économies d’échelle sont particulièrement importantes. Pour le textile, la dimension optimale de l’atelier est assez faible, et les travailleurs indépendants, en renonçant aux avantages sociaux que l’usine assure aux salariés, arrivent à résister à la concurrence. Mais leur autonomie est faible : au stade des transformations finales, de la teinture, de l’apprêt, on retrouve l’organisation qui assure le contrôle général.

Au total, les prix ne peuvent diminuer que si l’ensemble du cycle de production est industrialisé : dans les pays sous-développés, on essaie parfois de créer une grande usine de produits de base ; durant des années, elle est incapable de tourner au plein de sa capacité, faute de clients. Ainsi, les aciéries ne trouvent d’abord pour employer leurs produits que les artisans, les couteliers, les forgerons, qui n’utilisent que des quantités infimes de métal. Avant que des fabrications de machines, de matériel de transport ou que l’industrialisation de la construction absorbent tous les aciers produits, l’effort d’investissement se révèle inopérant.

Une bonne partie des réflexions sur l’industrialisation sont nées de la prise en considération de ces problèmes. N’y a-t-il pas des créations qui en appellent d’autres ? En installant des ateliers qui emploient des pièces mécaniques, ne va-t-on pas, dans un premier temps, favoriser l’éclosion de ces multiples installations semi-artisanales grâce auxquelles une classe d’entrepreneurs se formera ? Ne va-t-on pas stimuler la demande intérieure de produits métallurgiques ? Ne va-t-on pas aboutir, à terme, à la construction des industries de base ? Dans ce schéma, on compte sur des effets de polarisation vers l’amont, les entreprises s’appelant l’une l’autre. Certains pays ont résolument choisi cette voie. C’est le cas de pays latino-américains, du Brésil par exemple, où l’essor des fabrications automobiles a réellement suscité une floraison extraordinaire de petites industries et a justifié la création de nouvelles unités sidérurgiques.

D’autres raisonnent à l’inverse. Ils mettent en doute les enchaînements qui peuvent se produire vers l’amont et soulignent au contraire ceux qui ne manquent pas de naître à l’aval. L’apparition d’une industrie textile favorise la naissance d’une confection industrielle. Celle-ci ne peut se faire à partir de tissus fabriqués artisanalement. À partir du moment où l’on dispose d’étoffes de qualité constante, on passe très vite à la fabrication en série de vêtements courants, car l’investissement nécessaire pour l’achat des machines à coudre est faible, et les connaissances techniques qu’il faut maîtriser sont réduites.

La grande industrie de base aurait donc des effets polarisants dans la mesure où elle constitue la partie difficile du cycle de transformation. En fournissant les matières de base des stades ultérieurs de l’opération, on facilite les choses, on met en place un milieu propice aux initiatives, on crée, à long terme, des conditions favorables à une croissance indépendante.

Les analyses qui se multiplient depuis une quinzaine d’années permettent de mesurer le rôle des effets de polarisation. On se rend compte qu’ils ne sont pas aussi inéluctables qu’on le pensait jadis. Là où les structures sociales sont défavorables, là aussi où des entreprises s’opposent farouchement à l’éclosion de concurrents potentiels, les effets sont minimes aussi bien en amont qu’en aval. C’est le drame fréquent dans les installations créées à grands frais dans les pays en voie de développement.

On se rend compte aussi de ce que les charges d’investissement varient beaucoup selon la stratégie choisie. Les installations lourdes nécessitent, pour chaque emploi nouveau, un apport de capital beaucoup plus important que pour une transformation terminale. Dans la plupart des nations du tiers monde, les possibilités d’investir sont faibles. À choisir la voie de l’indépendance, celle des fabrications lourdes, comme l’a fait l’U. R. S. S. après la révolution d’Octobre, on risque de voir le niveau de consommation stagner longtemps, tant l’épargne qui doit être réalisée est lourde. Dans quelle mesure peut-on sacrifier l’indépendance à l’efficacité ? C’est un problème politique auquel il n’existe pas de réponse unique.