Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

La révolution du film parlant (le premier film parlant projeté en Inde fut Melody of Love [1928] de A. B. Heath) bouleverse totalement l’industrie du cinéma. Trois centres de production se forment : à l’ouest, Bombay, Poona et Kolhāpur pour les films en hindī, maraṭhī et gujarātī ; à l’est, Calcutta pour les films en bengali ; au sud, Madras pour les films en tamoul, telugu et malayālam. Quand, en 1936, la production muette fut définitivement interrompue, 1 500 films avaient été tournés.


La production de Calcutta

Le premier film bengali important, Vilvamāngal, date de 1919. Le premier film sonore, Jamai Sasthi, est tourné en 1931 par Amar Chowdhury (Chaudhurī). Plusieurs grands réalisateurs marquent l’histoire de l’industrie cinématographique bengali : Debaki K. Bose (né en 1898), qui se spécialise dans les biographies de saints-poètes et dont le message est directement issu de la tradition poétique et musicale du viṣṇuïsme (Chandidas, 1932 ; Puran Bhagat, 1933 ; Sīta, 1934 ; Vidyāpati, 1937) ; Pramatesh Chandra Barua (1903-1951), qui devient réalisateur peu après la fondation de la New Theatres Ltd à Calcutta et qui est notamment l’auteur de Devdas (1935) et du Salut (Mukti, 1936) ; Khwājā Ahmad Abbas (né en 1914) [les Enfants de la terre (Dharti ke lal, 1942), Munna (1954)] ; Bimal Roy (1909-1966) [Calcutta, ville cruelle (Do bigha zamin, 1953), Devdas (remake, 1955), Madhumati (1958), Sujātā (1959)] ; Mrinal Sen (né en 1923) [l’Anniversaire (Baishe shravana, 1960), Une fois encore (Punashca, 1961), Châteaux dans le ciel (Akash kusum, 1965), les Hommes de la terre (Matira manisha, 1966, Calcutta 71, 1971)] ; Ritwik Ghatak (né en 1926) [Ce n’est pas une machine (Ajaantrik, 1958), Komal Gandhar (1961), la Ligne d’or (Subarnarekhā, 1962)] ; Tapan Sinha (né en 1924) [Atithi (1965)]. Une place à part doit être faite au plus grand cinéaste indien, Satyajit Ray (né en 1921), à la fois metteur en scène, opérateur et musicien, qui dut peut-être une grande-part de sa vocation à l’amitié qui le lia à Jean Renoir, dont il fut l’assistant lors du tournage du Fleuve en 1950. La trilogie formée par la Complainte du sentier (Pāther Pancāli, 1955), l’Invaincu (Aparājito, 1956) et le Monde d’Apu (Apu Sansār, 1959), d’après B. Bhāśan, l’imposa aux yeux du monde entier. Depuis lors il a tourné plusieurs films d’une profonde sensibilité, comme la Chambre de musique (Jalsāgar, 1957), la Pierre philosophale (Pārash Patthar, 1958), la Déesse (Devī, 1960), la Grande Ville (Mahānagar, 1963), Chārulatā (1964), Chiriyākhānā (1967), Tonnerre lointain (Ashani Sankret, 1973). « Par son sens des objets et des bruits, de la texture même des êtres et des choses, par sa perception aiguë du calme et du frémissement de la vie que certains confondent avec la lenteur, par son exaltation des moments privilégiés de l’existence, Ray, pour reprendre l’expression d’un de ses maîtres, fait au spectateur une véritable offrande lyrique. » (Michel Ciment.)


La production de Bombay

L’influence hollywoodienne est très sensible dans la plupart des films tournés en langue hindī (le premier film parlant hindī, Ālam Ārā, ayant été tourné en 1931 par Ardeshir M. Irani) : ampleur de la figuration, somptuosité des décors et des costumes, surabondance d’œuvres mélodramatiques, dont certaines ne sont pas loin d’égaler les plus fastueuses superproductions américaines. Quelques réalisateurs ont su, néanmoins, sortir des sentiers battus et bâtir des œuvres personnelles, comme V. Shantaram (né en 1900), l’un des fondateurs de la Société Prabhat à Poona, spécialiste de films sociaux et mythologiques (Ayodhyecha Rājā [1932], la Flamme immortelle [Amar Jyoti, 1936], les Voisins [Pardosī, 1941], Shakuntalā [1947]), ou comme Rāj Kapoor (né en 1924), à la fois producteur, réalisateur et acteur de grande renommée, qui se fit connaître par le Vagabond (Awara, 1951) et surtout par Sous le voile de la nuit (Jagte Raho, 1956), film auquel collaborèrent également les réalisateurs Shambhu Mitra et Amit Moitra. Parmi les cinéastes de langue hindī, il faut citer également Sohrab Modi (Alexandre le Grand [Sikander, 1940]), Chetan Anand (la Tempête [Āndhī]) et Mehboob (Mangala fille des Indes).


La production de Madras

Elle est essentiellement dominée par les sujets féeriques et religieux, historiques et mythologiques. En 1931, le premier film parlant tamoul, Kalidas, est tourné à Bombay. Ce n’est que trois ans plus tard que Madras devient le centre de toute la production des États du Sud. Parmi les cinéastes les plus renommés, on peut citer Rajah Sandow et K. Subramanyam, qui font figure de pionniers du cinéma parlant, puis Udai Shankar (Désir [Kalpanā, 1949]) et S. S. Vasan (Chandralekha, 1948).

En 1956, l’Inde passa, avec plus de 300 films produits annuellement, au deuxième rang de la production mondiale, derrière le Japon. En 1970, la production totale était de 396 films.

J.-L. P.

 Panna Shaw, The Indian Film (Bombay, 1950). / B. K. Adarsh, Film Industry of India (Bombay, 1963). / E. Barnouw et S. Krishnaswamy, Indian Film (New York, 1963). / F. Rangoonwalla, Indian Film Index (Bombay, 1968). / P. Parrain, Regards sur le cinéma indien (Éd. du Cerf, 1969). / M. Seton, Satyajit Ray (Londres, 1971).


Les arts de l’Inde ancienne

Au regard de l’histoire universelle des arts, l’art de l’Inde occupe une place exceptionnelle. Il la doit autant à la permanence et à l’originalité de ses traditions qu’à la qualité de ses réalisations. Cette fidélité, probablement unique, à un idéal, à une doctrine attestés depuis vingt-trois siècles au moins assure à l’art indien une unité certaine, qui n’exclut pas la diversification.

S’il arrive que cet art, justement célèbre, mais souvent assez mal connu, déroute parfois — surtout dans ses manifestations tardives — par la profusion, la surcharge de motifs qui semblent trop souvent les mêmes, il doit être pourtant regardé comme l’un des plus homogènes : celui où, dans le respect imposé d’un ensemble cohérent de prescriptions strictes, peinture, sculpture et architecture sont le plus intimement et le plus constamment associées en vue de réaliser une unité qui est beaucoup moins affaire d’esthétique qu’expression d’une métaphysique. L’art de l’Inde, d’inspiration avant tout religieuse et régi par des textes précis, ne laisse, pratiquement, que peu de place à l’invention. Son but essentiel est de matérialiser la présence d’une forme divine, de favoriser l’accès au divin.