Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Ce n’est pas un hasard si, jusque vers 1900, le Congrès ne regroupa que des représentants de la classe moyenne indienne et si ses revendications furent on ne peut plus modérées. Ces revendications étaient d’ailleurs en grande partie celles de Rām Mohan Roy : indianisation des hauts postes de l’armée et de l’Administration ; développement d’institutions représentatives des Indiens.

Tout au plus y ajoutait-on une revendication économique : rompre avec la politique douanière de lord Lytton (1876-1880), qui était par trop favorable aux intérêts des « cotonniers anglais ».

Sous cette demande, on voit poindre une nouvelle classe sociale indienne : la bourgeoisie d’affaires. D. D. Kosambi déclare à son sujet que c’est « une plante exotique, cultivée artificiellement ». Néanmoins, son nationalisme allait jouer un rôle certain dans le mouvement national.

Pendant toute cette phase libérale, le Congrès devait être mené par des intellectuels relativement modérés, produits typiques de l’éducation moderne introduite en Inde par les Britanniques : Gokhale, Banerjī, Ranade, Phetozshāh Mehta ou D. Naoroji (1825-1917).

Dans une phase ultérieure (1900-1914) plus militante et même terroriste au Bengale, une nouvelle génération vint s’associer à l’ancienne : Tilak, S. Pal, Aurobindo Ghose (ou Ghosh), Lala Lajpat Rai (1865-1928)...

En simplifiant, on peut dire que le Congrès national indien fut rapidement dominé par Gokhale et Tilak.

Gopāl Kriṣṇa Gokhale (1866-19151, brahmane chitpāvan (donc de très haute caste) du Mahārāshtra, ayant reçu une éducation très occidentale, se rattachait au courant réformateur lancé par Rām Mohan Roy. Hostile à tout extrémisme, il jouit jusqu’à sa mort de la confiance absolue d’une bonne partie du Congrès, sur lequel il exerça, ainsi que sur Gāndhī, toujours une influence modératrice.

Bāl Gangādhar Tilak (1856-1920), de même origine sociale que Gokhale et ayant reçu la même éducation, se détacha vite politiquement de ce dernier. Patriote ardent, convaincu que le nationalisme devait s’appuyer sur la religion traditionnelle et sur les masses, il deviendra le champion de l’indépendance (ou svarāj). Pour lui, « svarāj is our birthright » (le svarāj est notre droit de naissance). Pour l’obtenir, il était prêt à soutenir l’action violente. Cette attitude lui vaudra d’ailleurs d’être exclu du Congrès à sa session de Surat.

Aurobindo Ghose (1872-1950) ne différait pas radicalement de Tilak par ses options politiques. C’était aussi un révolutionnaire. Comme Tilak, il pensait que, dans certains cas, seule l’action violente pouvait payer. Mais, contrairement au prestigieux leader marathe, son hindouisme n’était pas replié, mais ouvert. C’était d’ailleurs chez lui un acte de foi et de confiance. Il considérait l’hindouisme comme assez fort pour être ouvert aux influences occidentales.

Signalons enfin la création, en 1906, à Dacca, de la Ligue musulmane (Muslim League). Peu important jusqu’en 1913, ce fait devait être lourd de conséquences pour l’avenir de l’Inde.

La tendance extrémiste devait connaître un grand essor sous la vice-royauté de lord Curzon (de 1899 à 1905). Remarquable administrateur, très préoccupé des questions sociales et de justice, il prit une série d’excellentes mesures : irrigation, développement des chemins de fer et de l’enseignement, lutte contre la terrible famine de 1899-1900. Malheureusement, il semble n’avoir rien compris à la profondeur du mouvement national et avoir gravement sous-estimé le Congrès. Surtout, il allait prendre une mesure lourde de conséquences : la partition du Bengale* en 1905.

Essentiellement décrétée pour des raisons administratives et économiques, cette mesure provoqua un véritable tollé dans l’opinion publique indienne. Même le modéré Gokhale fut indigné. Les Indiens y virent une nouvelle application du principe « Diviser pour régner ». Pour eux, lord Curzon, en divisant le Bengale en deux régions, poursuivait un double objectif : punir les Bengalis de leur éminente contribution au combat nationaliste ; diminuer, en la partageant, l’influence bengali en Inde. Peu importent finalement les raisons réelles de lord Curzon, ce qui compte, c’est l’accueil que les Indiens firent à cette mesure. À tous égards, les résultats furent catastrophiques : exacerbation du conflit hindo-musulman (communalisme) [nombre d’Indiens virent dans la partition l’aboutissement d’une véritable conspiration musulmane] ; développement d’un régionalisme outrancier et surtout du terrorisme au Bengale.

En 1911, les Britanniques devaient d’ailleurs annuler la partition tout en transférant la capitale de Calcutta à Delhi.

Cette « erreur » tombait d’autant plus mal que les années 1904-05 avaient vu se dérouler l’un des événements les plus importants de l’histoire universelle : la victoire du Japon sur la Russie. Pour la première fois, des Asiatiques dans une guerre conventionnelle avaient vaincu sans appel l’une des « plus grandes puissances blanches ». Transposée en termes nationalistes, cette victoire devint celle de l’Asie sur l’Europe. Le nationalisme indien en fut puissamment encouragé. C’est d’ailleurs en 1906 que, pour la première fois, le Congrès réclamait officiellement l’indépendance de l’Inde (ou svarāj).

Le gouvernement britannique se rendit compte à quel point la situation s’était dégradée. Pour tenter de la redresser, il promulgua en 1909 une série de réformes connues sous le nom de Morley-Minto. Ces mesures, sur la portée desquelles il ne faut pas s’illusionner, pouvaient se ramener à trois points : ouverture aux Indiens des plus hauts postes administratifs (finalement, cela se limitait à tenir avec quarante ans de retard les promesses de la reine Victoria) ; accroissement de la représentation indienne dans les conseils législatifs ; octroi aux musulmans d’une représentation séparée.

Cela permit aux Britanniques de « souffler » un peu en opposant les hindous et les musulmans, les modérés et les extrémistes. Mais, globalement, ces mesures restaient trop tardives et beaucoup trop limitées, d’autant plus qu’allait survenir la Première Guerre mondiale.

Pendant ce conflit, non seulement l’Inde resta d’une loyauté absolue, mais elle participa massivement à l’effort de guerre britannique. Légitimement, les Indiens attendaient de la Grande-Bretagne un geste de remerciement. Elle ne le fit ou elle le fit mal, et l’on peut dire qu’en 1921 elle avait perdu l’Inde.

À partir de 1918, le nationalisme indien entre dans une troisième et ultime phase. Vite dominé par M. K. Gāndhī*, le mouvement national d’après guerre appelle plusieurs remarques.

— Il subit avec plus ou moins de force l’influence d’événements extérieurs : révolution bolchevique d’Octobre, les « 14 points » du président Wilson, qui donneront à la revendication indienne une sorte de caution morale et internationale.

— L’assise du nationalisme et du Congrès s’élargit beaucoup. Le combat pour le svarāj cesse d’être le fait de certaines couches sociales pour devenir un phénomène de masse.

— En même temps qu’il s’élargit, le nationalisme se radicalise. Le problème n’est plus de savoir si l’on va demander le svarāj, mais de savoir quand et comment celui-ci sera obtenu.

— La nouvelle génération (Gāndhī, Nehru, V. J. Patel [1875-1950], C. Rājāgopālāchāri, S. C. Bose, etc.) cesse de demander des concessions, mais exige le respect de ses droits. Il y a là beaucoup plus qu’un changement de vocabulaire.

À tous ces espoirs indiens et à ce changement d’attitude, la réponse britannique fut sinon inexistante, du moins maladroite (réformes Montagu-Chelmsford).