Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

On peut s’étonner de l’intérêt européen pour l’Inde. Seules des considérations commerciales peuvent l’expliquer. La course aux épices et aux tissus précieux, dont les bénéfices atteignaient couramment 500 p. 100, en fut le moteur essentiel. Ce n’est que plus tard qu’emportée par sa dynamique interne l’implantation européenne, de commerciale qu’elle était au début, devint politique et encore avec beaucoup de réserves.


Le conflit anglo-français pour la domination en Inde

Pendant la première moitié du xixe s., Français et Britanniques restent pour l’essentiel des commerçants. Les souverains indiens, pour leur part, voient cette activité d’un fort bon œil. Pourquoi dès lors cette « coexistence pacifique » s’est-elle transformée en lutte pour l’hégémonie ? L’explication peut s’ordonner autour de trois thèmes :
— la rivalité anglo-française en Europe, qui trouva son pendant en Inde ;
— la décadence de l’Empire moghol ;
— la vision « prophétique » qu’eut Dupleix* des possibilités pour les Européens de se tailler aux moindres frais un empire en Inde. Gouverneur de Pondichéry en 1742. Dupleix profita de la rivalité anglo-française en Europe (guerre de la Succession d’Autriche) pour s’emparer de Madras en 1746. Avec ses faibles forces, il devait, d’autre part, écraser les troupes du nabab du Carnatic (Karnāṭak), qui exigeait l’évacuation de Madras par les Français.

Le traité d’Aix-la-Chapelle de 1748, en mettant fin aux hostilités, permit aux Anglais de récupérer Madras. En fait, l’instabilité chronique de l’Inde devait fournir à Dupleix, ainsi qu’aux Anglais, de multiples autres possibilités d’intervention. Le génie du Français fut de comprendre que la féodalisation politique croissante de l’Inde permettait aux ambitieux de se tailler un véritable empire en misant sur les divisions des souverains. Tirant la leçon des premiers succès militaires musulmans, il s’aperçut qu’il était facile pour une petite armée équipée et entraînée à l’européenne de venir à bout des immenses armées indiennes, mal encadrées et informelles.

En 1748, la mort du niẓām (gouverneur) d’Hyderābād mit le feu aux poudres. Le candidat à sa succession, Muẓaffar Jang, et le prétendant au trône du Carnatic, Canda Sāhib, obtinrent l’appui de Dupleix. Leurs succès communs permirent à celui-ci d’obtenir le titre de gouverneur du sud de l’Inde et de recevoir en outre des avantages territoriaux et commerciaux. L’habileté du Britannique Clive changea le cours des événements. Ayant vaincu Canda Sāhib, il put placer à la tête du Carnatic son protégé, Muḥammad ‘Alī. Cet échec, beaucoup grossi en France, provoqua le rappel de Dupleix en 1754. Poussant plus loin sa politique d’abandon, le gouvernement de Louis XV devait bientôt rappeler le représentant de Dupleix en Hyderābād, Charles Joseph Patissier de Bussy (1720-1785). L’ironie du sort voulut que ce rappel ait eu lieu au moment même où Bussy venait d’obtenir du niẓām des concessions territoriales d’un grand intérêt économique (bois précieux, diamants, minerais de fer).

Seuls les Britanniques comprirent la géniale intuition de Dupleix et poursuivirent son œuvre. L’heure de Robert Clive de Plassey (1725-1774) avait sonné. Comme son prédécesseur français, il dut affronter les réticences de la Compagnie britannique, qui, recherchant uniquement des profits commerciaux, ne comprit pas les perspectives que l’action de Clive lui ouvrait. Ce n’est donc qu’en la mettant devant le fait accompli qu’il put parvenir à ses fins. La victoire de Plassey en 1757 sur le nabāb du Bengale en fut la première pierre, et la prise de Pondichéry en 1761 la seconde. La chute de ce bastion, mal défendu par Thomas Lally de Tollendal (1702-1766), eut de grandes répercussions en France. Rappelé, lui aussi, le successeur de Dupleix devait être condamné et exécuté, avec la plus parfaite injustice d’ailleurs, pour trahison.

En 1763, le traité de Paris ratifiait le renoncement français à toute ambition indienne. Seuls les comptoirs de Mahé (Malabār), de Kārikāl et de Pondichéry (pays tamoul), de Yanaon (Andhra Pradesh) et de Chandernagor (Bengale) devaient rester à la France jusqu’à l’indépendance de l’Inde.

En 1765, Clive, obtenant de l’empereur moghol Chāh ‘Ālam II le droit de s’occuper des finances du Bengale, du Bihār et de l’Orissa (divāni), devait donner aux Britanniques les moyens financiers de la conquête de l’Inde. Car, en 1763, celle-ci restait pratiquement à faire. Les Français ayant été exclus, le plus important ne faisait que commencer. Triste destin que celui des pionniers de l’implantation européenne en Inde : rappelé lui aussi en 1767, Clive, accusé de concussion, fut certes acquitté, mais devait se suicider en 1774.


Warren Hastings (de 1772 à 1785)

Le successeur de Clive devait, malgré tout, poursuivre dans la voie que ce dernier avait ouverte. Mais il était maintenant doté d’une sorte de cadre institutionnel.

En 1773, le « Regulating Act » mettait les trois présidences de Madras, de Bombay et de Calcutta sous l’autorité d’un gouverneur général du Bengale, dont l’action était contrôlée par le gouvernement britannique.

En 1784, le cabinet Pitt créait le « Board of Control » (bureau de surveillance), chargé de contrôler les opérations administratives, financières et militaires de la Compagnie des Indes. Seul le domaine commercial restait du ressort exclusif de cette dernière.

Pour W. Hastings (1732-1818), néanmoins, le problème était surtout financier. Gaspillages, trafics d’influences grevaient à un tel point le budget de la Compagnie que celle-ci était à deux doigts de la banqueroute. Pour renflouer la caisse, trois moyens furent utilisés : augmentation des impôts, perçus par des moyens de plus en plus brutaux ; refus de payer aux souverains indiens le tribut que les Anglais s’étaient engagés à leur verser ; « vente » de la protection militaire britannique (une fois de plus, les Anglais pouvaient miser avec succès sur les divisions des princes indiens).