Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Sur le plan territorial c’est avec Awrangzīb que l’Empire moghol atteint son apogée. La politique extérieure de ce souverain présente un certain nombre de caractères originaux. Alors que ses prédécesseurs n’avaient, dans la plupart des cas, qu’essayé de consolider au maximum l’Empire en lui donnant des frontières sûres, Awrangzīb se lança dans une entreprise de conquête systématique du Deccan. Théoriquement, il atteignit son but : à sa mort, seule l’extrémité méridionale de la péninsule échappait à son autorité. En fait, le Deccan devait être pour lui un véritable guêpier ; Awrangzīb y passa la dernière partie de sa vie à guerroyer pour rétablir une domination sans cesse remise en question.

Il ajouta à ces conflits des motivations religieuses qui durcirent beaucoup les oppositions. Les sikhs, qui n’étaient jusqu’alors qu’une pacifique minorité religieuse, devinrent de farouches opposants après qu’Awrangzīb, en 1675, eut fait exécuter leur chef Teg Bahādur, qui avait refusé de se convertir à l’islām. Au xixe s., l’État sikh du Pendjab devait, d’ailleurs, être l’un des derniers bastions indiens face à l’implantation britannique.

En 1669, le soulèvement des Jāts (ou Djates), population rurale de la région de Mathurā, s’il eut des causes économiques évidentes, fut aussi en grande partie provoqué par l’intolérance religieuse d’Awrangzīb.

Deux autres conflits particulièrement graves devaient porter en eux les germes du déclin de l’Empire. En voulant priver du trône du Mārvār son héritier Ajit Singh, alors enfant, Awrangzīb entraîna une véritable insurrection des Rājpūts. Alors qu’Akbar avait fait de la bonne entente avec eux l’une des bases de sa politique, l’empereur se lança dans une guerre inutile (en 1709, son successeur devait annuler sa décision) et qui, surtout, le privait du soutien des Rājpūts, excellents combattants dont il aurait pourtant eu bien besoin pour lutter au Deccan contre un péril qui n’allait cesser de croître : les Marathes.

Un remarquable chef, Śivājī Bhonsle (1627-1680), fit de ces montagnards des Ghāts occidentaux le plus sérieux adversaire que l’Empire moghol eût jamais à connaître. Dénué de scrupule, ingénieux, administrateur compétent et surtout « guérillero » de génie, Śivājī parvint à créer un embryon d’État marathe aux dépens de l’État du Bijāpur. Pour se donner les moyens financiers qui lui étaient nécessaires, il pilla le riche port de Surat, alla lever l’impôt sur les terres dépendant de l’Empire moghol — à l’époque, c’était l’essentiel des attributs de la souveraineté —, et promit sinon la protection, du moins la non-intervention des redoutables troupes marathes aux pays qui acceptaient de lui verser un impôt spécial : le chauth.

Jusqu’à sa mort, en 1680, Marathes et Moghols guerroyèrent constamment avec des succès divers et des pauses éphémères. Néanmoins, en 1680, les Marathes contrôlaient tout le nord de la côte occidentale.

En outre, au-delà de ses luttes et de ses succès contre l’Empire moghol, Śivājī eut un autre mérite historique : relancer le sentiment national indien en lui donnant une base étatique. Les nationalistes du xviiie s. ne s’y trompèrent pas, qui, tel Tilak, se réclamèrent toujours du prestigieux chef marathe. Celui-ci avait également montré les limites de la puissance moghole. La leçon devait être comprise par les Européens, dont l’implantation en Inde commençait justement à croître.

La principale cause du déclin de l’Empire moghol réside dans le fait qu’il était bien difficile d’assurer longtemps une grande cohésion à un empire aussi vaste : tout affaiblissement du pouvoir central ne pouvait que mettre en action des forces centrifuges favorisant l’éclatement du pays en un certain nombre de principautés quasiment indépendantes : confédération marathe, niẓām d’Hyderābād, etc. C’est ce qui se passa après 1707.


L’Inde britannique


Les débuts de l’implantation européenne

Aux mains des Arabes depuis le viie s., le commerce entre l’Inde et l’Occident, via la Méditerranée, devait s’« européaniser » à la fin du xve s. B. Dias, en doublant le cap de Bonne-Espérance, Vasco de Gama, en abordant à Calicut, où le souverain hindou, le zamorin, lui réserva un bon accueil, ouvrirent la voie à cette mutation radicale. Ce n’est, toutefois, qu’en 1510, avec la prise de Goa, qu’Afonso de Albuquerque*, promu pour la circonstance « gouverneur des affaires portugaises dans l’Inde », donna une assise territoriale à ce premier établissement européen de l’Inde.

L’exemple portugais ne devait pas tarder à être suivi. En 1600 fut fondée la Compagnie des Indes orientales britannique. En 1602, un véritable monopole pour le commerce avec l’Inde fut octroyé à la Compagnie des Indes orientales néerlandaise. En 1612, les Danois firent de même ; en 1664, ce furent les Français. Très vite se posa un problème d’ordre géographique : l’impérieuse nécessité d’utiliser les alizés (surnommés trade winds [vents du commerce] par les marins) amena les Européens à demander des concessions territoriales (factoreries). Ces points d’appui permanents, comptoirs commerciaux en même temps que ports d’escale, furent les premiers jalons d’une implantation politique.

À la fin du xviie s., les Européens possédaient des bases importantes. Les Portugais avaient Diu, Damão (Gujerat), Bassein et Goa (Mahārāshtra). Ils avaient également un comptoir à Hūglī (Hooghly), au Bengale, mais Chāh Djahān, irrité de leurs nombreuses exactions, devait les en chasser en 1632. Les Danois contrôlaient Tranquebar (pays tamoul) et Śrīrāmpur (Serampur) [Bengale] ; les Hollandais, Cochin (actuel Kerala), Negapatam, Sadras (Tirukkalikkunram) et Pulicat (pays tamoul) ; les Français, Pondichéry (pays tamoul) et Chandernagor (Bengale) ; les Britanniques, Bombay (Mahārāshtra), Madras (pays tamoul) et Calcutta (Bengale).

Ce tableau se modifia rapidement : les Portugais réduits à un rôle de figuration, les Danois et les Hollandais évincés, seuls restèrent face à face Français et Britanniques. Cette évolution n’était d’ailleurs que le reflet des mutations qui étaient survenues en Europe dans le rapport des forces politiques, économiques et militaires.