Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

impressionnisme (suite)

Les peintres français avaient découvert en Grande-Bretagne l’exemple essentiel de Turner. Le choc en retour de l’impressionnisme, soutenu par les écrits de George Moore, touche les artistes de l’école de Glasgow, Charles Conder (1868-1909), sir John Lavery (1856-1941), s’exerce sur William MacTaggart (1835-1910) et sir George Clausen (1852-1944), et se mêle à des relents d’orientalisme chez Frank Brangwyn (1867-1956). Mais cette vision un peu molle ne satisfait pas entièrement deux excellents peintres soucieux de renouveler l’art anglais : Philip Wilson Steer (1860-1942) et Walter Richard Sickert (1860-1942). Beaucoup d’éclat et de fraîcheur caractérisent les marines de Steer, tandis qu’un humour un peu cruel teinte les scènes de music-hall chères à Sickert, disciple de Whistler et de Degas, et membre influent de cette intelligentsia franco-anglaise qui évolue entre Londres, Dieppe et Paris.

Les États-Unis ont envoyé à l’Europe Whistler et Mary Cassatt ; l’impressionnisme n’y pénètre pourtant que tardivement. Il est pratiqué sans innovation par Théodore Robinson (1852-1896) et Childe Hassam (1859-1935), mais Maurice B. Prendergast (1859-1924) l’assimile de façon très personnelle mi-naïve, mi-nabi, et John Marin (1870-1953) lui devra une légèreté allusive qui s’accorde bien avec son lyrisme fauve.

En Espagne, où certaines œuvres de Goya* posaient déjà les prémices de l’impressionnisme, les adeptes de celui-ci sont souvent bien superficiels. Le régionalisme mondain de Joaquin Sorolla (1863-1923), le paysagisme horticole de Santiago Rusiñol (1861-1931) évoquent davantage Besnard que Monet. De grandes qualités de coloriste, un sentiment très vrai de la nature apparaissent toutefois dans les paysages madrilènes ou tolédans d’Aureliano de Beruete y Moret (1845-1912), peintre écrivain et collectionneur, et dans les vues de la côte catalane de Dario de Regoyos (1857-1913), qui étudia à Bruxelles, exposa chez les XX et fut lié avec Verhaeren, Rodenbach, Mallarmé, Degas, etc.

Des Italiens parisianisés, Federico Zandomeneghi (1841-1917), qui fréquente le groupe des « macchiaioli » et Giuseppe De Nittis (1846-1884), participent directement au mouvement impressionniste dans le sillage de Degas (écriture appuyée et réaliste). Le très mondain Giovanni Boldini (1842-1931) applique avec un brio mécanique le maniérisme whistlérien, mais, en Italie même, la composition par masses chromatiques des « macchiaioli » s’oppose à la touche morcelée de Monet ou de Pissarro ; l’« impressionnisme lombard », auquel appartient Filippo Carcano (1840-1914), n’est qu’une adaptation du réalisme de Barbizon. Des apports impressionnistes apparaissent cependant chez Armando Spadini (1883-1925) et chez des paysagistes, tels Lorenzo Delleani (1840-1908) et Enrico Reycend (1855-1928), qui fait parfois penser à Sisley, mais c’est seulement avec le divisionnisme introduit par Vittore Grubicy de Dragon (1851-1920) qu’une technique tout à fait nouvelle s’imposera.

S. M.


L’impressionnisme musical

Lorsqu’on parle d’impressionnisme en musique, c’est par analogie avec la peinture, et tout parallèle de ce genre comporte sa part d’arbitraire et de subjectivité, et exige donc la prudence. Il s’agit plus d’une orientation esthétique, d’une attitude créatrice que d’un style nettement définissable. Mais on peut placer l’impressionnisme musical, lui aussi, sous le signe de la formule de Corot : « Soumettons-nous à l’impression première. » À l’époque où il fut inventé, le terme avait une nuance nettement péjorative dans la pensée des critiques qui l’utilisaient. Il n’en alla pas autrement lorsque l’Académie des beaux-arts jugea en ces termes Printemps, envoi de Rome du jeune Debussy (1887) : « Il serait fort à désirer qu’il se mît en garde contre cet impressionnisme vague, qui est un des plus dangereux ennemis de la vérité dans les œuvres d’art. » Or, c’est précisément d’une recherche plus étroite de la vérité que relève la démarche impressionniste, d’une analyse spectrale de la lumière et de la couleur allant bien au-delà du réalisme photographique. Ce réalisme poétique anime aussi tous les musiciens, « plus curieux d’ordonner la sensation que d’exprimer le sentiment », pour reprendre l’excellente formule de Roland-Manuel. C’est là ce qui, opposant un Chabrier ou un Debussy à un Beethoven (lequel, pour sa symphonie Pastorale, précisait qu’elle était « plus expression des sentiments que peinture »), définit cette attitude que l’on peut qualifier d’impressionniste. Or, accordant une certaine primauté à la dimension purement sensuelle du phénomène sonore, accordant donc un soin particulier à l’harmonie et au timbre, elle semble une démarche spécifiquement française, ou, du moins, latine, étrangère au contraire au tempérament germanique. Il faut, bien sûr, se garder de généraliser, mais les noms auxquels on penserait d’abord pour infirmer cette constatation sont ceux d’Autrichiens, Germains du Sud, proches soit de l’Italie (Mozart), soit du monde slave (Schubert). Il reste que, par essence, la recherche de la couleur harmonique pour sa valeur propre et autonome, jusqu’à la conception, pour la première fois réalisée chez Debussy, d’une harmonie-timbre, entraîne l’émancipation de chaque agrégat, consonant ou non, et se situe donc à l’opposé de l’harmonie fonctionnelle classique, dans laquelle chaque accord occupe une place déterminée par la logique d’une syntaxe et ne prend son sens véritable que par rapport à ses voisins. Ainsi que le soulignait déjà Louis Laloy, c’est là ce qui oppose l’Allemand Bach, représentant de l’harmonie dynamique et expressive, au Français Rameau, maître de l’harmonie statique et colorée. Mais ce statisme harmonique entraîne celui de la pensée musicale tout entière, en particulier celui de la forme. L’artiste impressionniste ne narre pas une histoire, il propose de l’objet une vision instantanée, aussi vive et spontanée que possible. Les peintres impressionnistes, abandonnant l’atelier, travaillent en plein air, sur le motif. C’est le sens véritable de l’affirmation célèbre de Debussy : « Voir le jour se lever est plus utile que d’entendre la symphonie Pastorale », affirmation s’adressant aux compositeurs et non pas au public !

En poursuivant, avec la prudence qui s’impose en la matière, le parallèle avec la peinture, on peut définir les caractères d’un langage musical « impressionniste ».