Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

impressionnisme (suite)

La diffusion de l’impressionnisme à l’étranger

L’impressionnisme à l’étranger reflète, sans innover, les découvertes françaises, mais joue un rôle essentiel en libérant les arts nationaux des servitudes académiques.

Les théories impressionnistes, généralement transmises par des artistes ayant séjourné à Paris, aboutissent souvent à une sorte de « pleinairisme » plus proche de Jules Bastien-Lepage (1848-1884) que de Monet et s’imposent seulement vers la fin du siècle. Toutefois, deux artistes importants appartiennent à la génération des grands créateurs de l’impressionnisme : un Américain, James Abbott McNeill Whistler*, et un Suédois, Carl Frederik Hill (1849-1911).

De 1862 à 1866, l’exécution des « Symphonies en blanc », dont fait partie la Petite Fille blanche (1864, Tate Gallery), chantée par Swinburne, et, à partir de 1864, celle des « Nocturnes », puis des « Harmonies » et des « Arrangements » mettent Whistler au premier rang des inventeurs de l’art moderne.

Hill était invité par les impressionnistes à exposer avec eux en 1877, quand il fut atteint de troubles mentaux qui l’éloignèrent définitivement de la vie publique. Ses paysages sont comparables aux meilleurs Sisley, et ses œuvres ultérieures ont des beautés foudroyantes pré-expressionnistes et présurréalistes.

Les pays scandinaves, où la vie intellectuelle est particulièrement brillante à la fin du xixe s. (Kierkegaard, Ibsen, Björnson, Strindberg), accueillent favorablement les nouveautés picturales et auront bientôt, grâce à Munch*, une influence exemplaire sur l’art européen.

Les artistes suédois viennent traditionnellement étudier à Paris. Leur impressionnisme se nuance d’expressionnisme chez Ernst Josephson (1851-1906), fondateur d’une ligue d’opposition à l’Académie, « Konstnärsfförbundet », grand créateur dont la folie n’atténuera pas le talent ; il se teinte de japonisme chez Carl Trägårdh (1861-1899), d’irréalisme chez Olof Sager-Nelson (1868-1896), d’une virtuosité un peu académique chez le portraitiste Anders Zorn (1860-1920), dont l’audience est internationale, et permet enfin l’épanouissement d’un paysagiste remarquable, Bruno Liljefords (1860-1939).

Les peintres norvégiens, avant d’assimiler l’art français, sont d’abord attirés par Karlsruhe, où professe l’un des leurs, Hans Gude (1825-1903). La découverte du plein air s’accompagne pour eux d’une prise de conscience du folklore local, sensible chez Christian Krohg (1852-1925), Erik Werenskiold (1855-1938). Un impressionnisme plus véridique, fondé sur des effets de brume, de neige et de nuit, apparaît chez Fritz Thaulow (1847-1906). Ce beau-frère de Gauguin, membre du jury de l’Exposition universelle de 1889, fixé définitivement en France à partir de 1892, appartient, sans abandonner son réalisme nordique (Verhaeren le trouvait « lourd et maçon »), à la coterie d’esthètes gravitant autour de Jacques-Émile Blanche.

Au Danemark, Karl Madsen (1855-1925) soutient les impressionnistes français par des articles et des expositions ; il faut noter les recherches luministes de Viggo Johansen (1851-1935) et de Peter Severin Krøyer (1851-1909).

En pays germaniques, où dès 1879 sont exposées à Munich des œuvres impressionnistes françaises, le réalisme académique et l’idéalisme s’opposent à la pénétration de ce style, que rejette aussi le public au nom d’un patriotisme borné. Fritz von Uhde (1848-1911), à Munich, et Fritz Mackensen (1866-1953), à Worpswede, éclaircissent leur palette sans se détacher d’un lourd naturalisme. L’impressionnisme berlinois s’impose à la fin du siècle dans le cadre de la Sécession de 1898. Trois artistes, formés à Munich et à Paris, le représentent : Max Liebermann (1847-1935) évolue d’un naturalisme inspiré par Mihály (Michel) Munkácsy vers des effets de lumière proches de Manet et de Degas, auquel il consacre un essai en 1898 ; Lovis Corinth (1858-1925) abandonne une manière vaporeuse pour une facture éclatante et agressive ; Max Slevogt (1868-1932) balafre ses toiles de coups de brosse impétueux. Tous trois ont en commun le graphisme incisif caractéristique de l’art allemand et un tempérament déjà expressionniste. Grâce à Liebermann, collectionneur averti qui présente en 1896 son ami Hugo von Tschudi (1851-1911), conservateur du musée de Berlin, à Durand-Ruel, nombre de chefs-d’œuvre français prendront le chemin de l’Allemagne. Le Hongrois Munkácsy, grand maître du réalisme, subit dans ses dernières œuvres l’influence impressionniste, qui, à Prague, s’exerce très heureusement sur les vues urbaines d’Antonín Slavíček (1870-1910).

En Russie, le naturalisme des « ambulants » marque encore les initiateurs de l’art nouveau, tels Konstantine Alekseïevitch Korovine (1860 ou 1861-1939) et Issaak Ilitch Levitan (1860-1900), mais une liberté de touche très impressionniste apparaît chez Filipp Andreïevitch Maliavine (1869-1940) et Igor Emmanouïlovitch Grabar (1871-1960).

La tradition réaliste hollandaise, si tenace au sein de l’école de La Haye*, s’oppose à une influence importante de l’art français, et le qualificatif d’impressionnistes donné dans leur pays aux frères Maris s’applique moins à leur manière qu’à leurs sujets ; il convient mieux à Floris Verster (1861-1927) et surtout à George Hendrik Breitner (1857-1923). L’exemple de Manet et celui des estampes japonaises sont puissamment assimilés chez ce dernier, qui se plaît aussi avec beaucoup de talent aux impressions nostalgiques de pluie, de brume et de neige sur Amsterdam.

Les paysagistes belges de Tervuren, le Barbizon flamand, ouvrent la voie à un impressionnisme autochtone, qui se manifeste d’abord dans l’école de Termonde (Adriaan Jozef Heymans [1839-1921], Jacob Rosseels [1828-1912]). Certains artistes, tels Theodoor Verstraete (1850-1907) et Henri de Braekeleer (1840-1888), ne délaissent pas la technique réaliste, tandis que d’autres, comme Albert Baertsoen (1866-1922) et Frans Courtenz (1854-1943), rompent avec celle-ci pour l’emploi de tons clairs et d’une écriture plus spontanée. Émile Claus (1849-1924) est le plus important représentant du style apparenté à l’école française. La fondation du cercle des XX (1884), dirigé par le journaliste Octave Maus (1856-1919), a pour objet de soutenir l’impressionnisme belge, mais ce mouvement défendra toutes les tendances avancées, qu’elles soient symbolistes (Ensor*) ou divisionnistes (Van Rysselberghe et Van de Velde). L’impressionnisme belge, dont Guillaume Vogels (1836-1896) est le meilleur représentant et qu’adopte aussi le Grec Périclès Pantazis (1849-1884), se différencie de son homologue français par un lyrisme mélancolique, où les tons purs et soutenus servent à peindre la neige, la pluie et les bourrasques dans des faubourgs crépusculaires.