Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

idéologie (suite)

S’ensuit-il que la subjectivité soit réductible à l’imaginaire, la seule causalité réelle étant celle de l’économie ? Sortir de l’illusion vécue serait reconnaître et réaliser la nécessité historique inscrite dans la contradiction entre les rapports de production et les forces productives. Cette conclusion suggérée par le marxisme paraît irrecevable au regard de la psychanalyse, aussi intéressée et autorisée à rendre compte de l’illusion idéologique.

À travers la culture, l’économie impose au sujet les impératifs et les interdits ; les normes de comportement correspondent aux exigences de l’appareil de production. De ce fait, le moi se constitue en s’identifiant à ces idéaux culturels. L’idéologie est ainsi le moyen d’assujettir l’individu à l’économie en lui masquant cet assujettissement. Dissoudre l’illusion constitutive du moi laisse donc apparaître la causalité de l’économie. Mais le moi n’est pas le psychisme : porteur des idéaux culturels, il a fonction de méconnaître l’ordre de causalité propre au psychisme : celui du désir inconscient. Cet ordre, subjectif, n’a rien d’illusoire ; il est aussi réel que celui de l’économie et n’en dérive pas. Chacun des deux ordres est informé par l’autre, et l’on pourrait montrer les effets du désir inconscient à tous les niveaux de la structure sociale. Le désir de posséder, de pouvoir, de savoir renvoie au désir primitif, inconscient, de l’enfant d’être le phallus de sa mère. C’est le désir de reconnaissance qui le fait s’aliéner dans les rôles socialement composés. De ce point de vue, qui ne met nullement en cause la légalité propre au développement de l’économie et à ses effets sur la structure sociale, on doit conclure que l’inconscient du psychisme est à l’œuvre dans l’importance reconnue à la production, dans la voie de son développement et jusque dans les instruments de production. Ces derniers sont de l’idéologie, matérialisée au sens où Bachelard définit les instruments scientifiques comme des théories matérialisées. L’idéologie est bien méconnaissance, mais renvoie à deux ordres de causalité, et pas seulement à l’économie. Sortir de l’illusion du vécu, c’est donc aussi reconnaître la vérité du désir qui s’est aliénée dans les idéaux culturels du moi. Refuser cette aliénation n’est pas renoncer à la subjectivité, mais chercher à vivre au plus près de ce désir.

A. S.

 M. Vadée, l’Idéologie (P. U. F., 1973).

Idrīsides

Dynastie musulmane du Maroc.



Les origines des Idrīsides

La dynastie tire son nom d’Idrīs Ier, descendant d’‘Ali ibn Abī Ṭalīb, gendre et cousin du prophète Mahomet. En 786, Idrīs Ier réussit à la suite de l’avortement d’une révolte ‘alide contre les ‘Abbāssides, à fuir en compagnie de Rāchid — un affranchi qui lui est particulièrement dévoué — l’Arabie, pour gagner d’abord l’Égypte, ensuite le Maghreb. Après un court séjour à Tlemcen, il trouve refuge dans la province de Tanger, où il s’installe en 788 à Volubilis sous la protection de la tribu berbère des Awraba.

Fort de ses origines chérifiennes, il se fait proclamer en février 789 imān souverain par plusieurs tribus marocaines. Il fonde alors la ville de Fès (Madīnat Fās) et dirige plusieurs expéditions contre des tribus voisines qui constituent encore des îlots chrétiens, juifs et même idolâtres. Il parvient ainsi à jeter les jalons d’une dynastie qui présidera à la destinée du Maroc jusqu’à la fin du xe s.


L’apogée des Idrīsides

Mort en 791, empoisonné dit-on sur l’ordre de Hārūn-al-Rachīd, Idris Ier laisse une concubine berbère Kanza, qui met peu après au monde un enfant, Idrīs II, à qui les tribus berbères prêtent serment dans la mosquée de Walīla. En attendant la « majorité » d’Idrīs II, Rachīd assure la régence jusqu’à son assassinat, en 802, sous l’instigation de l’émir arhlabide Ibrāhīm ibn al-Arhlab. L’année suivante, Idrīs II prend le pouvoir à l’âge de onze ans et se réconcilie avec le maître de l’Ifrīqiya. Deux ans plus tard, pour se dégager de l’emprise berbère, il reçoit des partisans arabes venus de Kairouan et d’Espagne. Sur leurs conseils, il transporte sa résidence de Walīla à Fès, qu’il dote de deux quartiers : celui des Kairouanais (Karawiyyīn) et celui des Andalous (al-Andalus). Durant son règne, il mène, à l’instar de son père, des expéditions contre certaines tribus berbères, et principalement celles qui professent le khāridjisme et le paganisme. À sa mort, en 828, il laisse douze fils, dont l’aîné, Muḥammad, prend le pouvoir.


Le déclin des Idrīsides

La dynastie idrīside, solidement établie sous les deux premiers souverains, entre alors en décadence. Sur les conseils de sa grand-mère Kanza, Muḥammad se partage le royaume avec ses sept frères les plus âgés. Très vite, les frères entrent en lutte les uns contre les autres. À la mort de Muḥammad en 836, les tribus berbères prêtent serment de fidélité à son fils ‘Ali, alors âgé de neuf ans. Une fois majeur, celui-ci parvient à organiser le pays et à assurer la stabilité de l’État. Son frère Yaḥyā Ier, qui lui succède en 849, continue son œuvre. Sous son règne, Fès s’enrichit de nombreux immigrants arabes d’al-Andalus et d’Ifrīqiya. C’est alors que sont édifiées dans la capitale idrīside deux grandes mosquées : celle des Karawiyyīn et celle d’al-Andalus.

Après le règne paisible de Yaḥyā Ier, le pouvoir passe en 863 à son fils Yaḥyā II, qui précipite la décadence des Idrīsides. Souverain scandaleux, adonné à la boisson, Yaḥyā II mène une vie dissolue. Il meurt en 866 dans des conditions mystérieuses. Son cousin et beau-père ‘Alī ibn ‘Umar s’empare alors du trône, qui passe de la famille de Muḥammad à celle de son frère ‘Umar. Mais il le perd quelques années plus tard, au profit d’abord d’un usurpateur khāridjite ‘Abd al-Razzāq, ensuite de Yaḥyā III (autre frère de Muḥammad). Le pays est alors déchiré par des luttes intestines opposant les diverses branches de la famille idrīside. Chacun des chérifs rivaux trouve appui auprès d’un clan berbère, et, à Fès même, le divorce est total entre le quartier des Kairouanais et celui des Andalous.