Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

ibn Baṭṭūṭa (suite)

Le pèlerin

Comme il se doit à un jeune diplômé en théologie, ibn Baṭṭūṭa commence par le pèlerinage de La Mecque. Parti en 1325, il parcourt l’Afrique du Nord en longeant le littoral. Parvenu au Nil, il fait un détour qui le conduit aux premières cataractes du grand fleuve. Il visite ensuite Damas et Alep, avant de prendre enfin la route des lieux saints : La Mecque d’abord (1326), puis Mechhed et le tombeau d’‘Alī al-Riḍā. Les dévotions accomplies, il se rend en Perse et à Bagdad, et revient ensuite en Arabie (1327), où il séjourne trois années. Puis il gagne les confins de l’islām par la mer Rouge et les côtes orientales de l’Afrique, et fait escale dans les divers comptoirs arabes, jusqu’à Kilwa. Il revient à La Mecque, de nouveau en pèlerin, mais après un large détour par le golfe Persique et la Perse (1332).


Le Nord

L’Arabie visitée et revisitée, les grandes aventures vont commencer. Ibn Baṭṭūṭa s’attaque d’abord aux régions septentrionales : il traverse l’Asie Mineure et, à Sinope, s’embarque pour la Crimée et Kaffa (auj. Feodossiia), comptoir sous la domination génoise. C’est le premier contact avec une terre chrétienne : les cloches des églises agacent fort le pieux voyageur, qui organise une petite contre-manifestation en jouant au muezzin depuis le minaret de la mosquée. Puis c’est la visite, en charrette, aux territoires de la Horde d’Or et aux Tatars de Qiptchaq : leur khān reçoit le voyageur au milieu d’un luxe étonnant et lui fait l’honneur de partager quelques-unes de ses épouses. Ibn Baṭṭūṭa lance ensuite une pointe vers les mystérieux pays du Nord, dans les steppes glacées où l’on se procure les peaux d’hermine et de zibeline. Il accompagne enfin à Constantinople une des femmes du khān, princesse grecque, en suivant le littoral de la mer Noire : il faut encore affronter une terre chrétienne. L’accueil impérial est pourtant fort courtois. Revenu chez le khān, ibn Baṭṭūṭa entreprend le grand périple oriental.


L’Inde

Par la Volga et les steppes aralo-caspiennes, le voyageur atteint l’Afghānistān et traverse péniblement l’Hindū Kūch. Arrivé en Inde en 1333, il gagne Delhi, où il va faire une pause de près de neuf années en se mettant au service du sultan.

Cependant, ses vœux sont comblés lorsqu’il peut abandonner cette vie sédentaire, au demeurant semée d’intrigues : en 1342, il est, en effet, chargé d’une ambassade dans la lointaine Chine.

Mais les navires de sa petite expédition sont détruits à Calicut par un ouragan : ibn Baṭṭūṭa doit reprendre, le voyage à son compte, et il effectue d’abord un séjour paradisiaque de plus d’un an aux îles Maldives, où il fait fonction de juge. À Ceylan, il escalade la célèbre montagne où l’on peut voir les traces de pas d’un géant, Adam selon les uns, Bouddha pour les autres. Puis, dépouillé par des pirates, il revient à Calicut, repart encore, visite le Bengale et touche à Sumatra, où le roi, musulman, lui trouve une place sur une jonque en partance pour la Chine.


La Chine et le retour

Une longue navigation conduit ibn Baṭṭūṭa à Zaiton (auj. Quanzhou [Ts’ivan-tcheou], dans le Fujian). Il effectue alors de nombreuses randonnées dans l’immense pays qui s’ouvre à lui, mais il ne semble pas qu’il ait atteint réellement Pékin, et il regrettera de n’avoir pu contempler la Grande Muraille. Il n’en dressera pas moins un remarquable tableau de l’Empire du Milieu : il s’étonne d’une civilisation étrange, de ses fêtes magnifiques, mais il décrit aussi le fonctionnement d’une administration tatillonne, d’une justice exemplaire, d’une économie complexe.

Le voyageur doit rentrer en Occident, plus vite qu’il ne l’aurait désiré, en raison de troubles politiques (1347) ; par Sumatra et l’Inde, il gagne de nouveau le golfe Persique, puis la Syrie et, une fois encore, La Mecque. En 1349, il est en Égypte, d’où il s’embarque pour Tunis. Après un crochet par la Sardaigne, il touche enfin à sa terre natale, l’Afrique du Nord-Ouest, pour lui, sans conteste, le plus beau pays du monde.


L’Afrique noire

Le dernier périple d’ibn Baṭṭūṭa, effectué pour le compte du sultan du Maroc, n’est pas, et de loin, plus lointain que les précédents ; il présente pourtant un grand intérêt pour la connaissance géographique de son temps : le grand voyageur, en effet, a parcouru le premier, avec sa méticuleuse curiosité, une partie des mystérieux pays des Noirs, sur lesquels, pendant encore des siècles, on ne saura guère plus que ce qu’il en a dit.

Parti de Sidjilmāsa, la principale « porte du Désert », en 1352, avec une caravane de marchands, il traverse le Sahara en deux mois, après avoir observé ce qui fait l’essentiel du trafic commercial de la région, l’échange du sel gemme de Taghasa contre l’or du Soudan. Le contact du monde noir, bien frugal pour celui qui a connu les splendeurs de l’Orient, le déçoit ; les cas d’anthropophagie le consternent ; ce vieil habitué des sérails bien clos juge les femmes « impudiques ». Après avoir atteint le Niger, il descend le grand fleuve, qu’il imagine être un affluent du Nil, visite Tombouctou et Gao, et atteint « Taccada » (sans doute l’actuelle Agadès). Il revient à Sidjilmāsa par l’Aïr et le Hoggar à la fin de 1353.

Ibn Baṭṭūṭa commencera à dicter ses souvenirs peu de temps après, sur l’ordre du sultan. Le travail sera terminé en 1356.

S. L.

ibn Khaldūn (‘Abd al-Raḥmān)

Historien, sociologue et humaniste arabe (Tunis 1332 - Le Caire 1406).


Dès le xie s., quelques membres de la famille arabe des Banū Khaldūn se distinguent à Séville comme théologiens et philosophes. Après la prise de cette ville en 1248 par les chrétiens, des descendants de cette famille cherchent refuge à Bougie, puis à Tunis, où ils passent au service des califes ḥafṣides. À ce moment, Tunis fait figure de métropole intellectuelle. ‘Abd al-Raḥmān y trouve les conditions les plus favorables à l’épanouissement de ses dons et des ambitions qui s’éveillent en lui ; sous la conduite de son père et de quelques maîtres, il parcourt le cycle des études grammaticales, philologiques, juridiques et théologiques, qui sont le bagage de l’« honnête homme » et du courtisan de cette époque. En 1347, il est vivement impressionné par la venue à Tunis de docteurs et de savants marocains qu’amenait à sa suite le sultan marīnide Abū al-Ḥasan lors de son éphémère conquête de l’Afrique du Nord. Parmi eux se trouve al-Ābilī, un Andalou originaire d’Ávila, fixé à Fès, renommé pour son savoir en philosophie et en mathématiques. Le jeune homme sent alors poindre en lui le désir d’une évasion vers le Maghreb occidental ; quelques années s’écoulent, cependant, avant qu’il le réalise. Enfin, en 1354 — il a alors vingt-deux ans —, il se rend à Fès, et, par une miraculeuse ascension, le voilà secrétaire du nouveau souverain, Abū ‘Inān ; l’ambition, la perspective d’un rôle révélateur de ses mérites bouillonnent en lui ; mais la chute est immédiate, et deux années d’emprisonnement le ramènent à plus de réalisme. L’avènement d’un nouveau sultan le tire toutefois de sa disgrâce, sans pour autant satisfaire ses ambitions. Ibn Khaldūn se rend alors à Grenade auprès de son ami ibn al-Khatīb, vizir des Banū al-Aḥmar. Comblé d’honneurs, chargé d’une mission auprès de Pierre le Cruel, il paraît vouloir se fixer en Espagne. Toutefois, il sent venir la crise, la prévient et se rend à l’appel de l’émir de Bougie, qui fait de lui son chambellan (1365). Alors commence pour lui une nouvelle période, où son appétit de puissance et son goût de l’intrigue se donnent libre cours. À Biskra, chez des amis bédouins, ibn Khaldūn entretient les oppositions politiques entre les émirs du Constantinois, ceux de Tlemcen et les Marīnides de Fès. En 1372, ses desseins semblent se réaliser : il rentre en grâce auprès du sultan de Fès, puis du roi de Grenade, mais il regagne bientôt Tlemcen (mars 1375), où l’émir berbère Abū Ḥammū lui assure protection.