Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hutus (suite)

La subordination des Hutus à l’égard des Tutsis était à la fois foncière et pastorale. En fait, l’appropriation de la terre par le groupe des pasteurs permet l’exploitation des agriculteurs. Celle-ci se manifestait par un système de dépendance et de clientèle entre groupes familiaux hutus et groupes familiaux tutsis. Cette relation n’était pas répandue partout, mais elle justifiait idéologiquement la domination politique des Tutsis. Cette relation personnelle, ubuhake, attache un client, umugaragu, à un patron, she buja. Le Hutu offre ses services à un homme supérieur en prestige et en richesse, et celui-ci lui concède des têtes de bétail et lui accorde sa protection. Mais le bétail reste la propriété du patron (Tutsi), et le client (Hutu) n’en a que l’usufruit. Les Hutus devaient aussi un certain nombre d’autres services : en échange d’une tenure foncière, ils devaient des prestations vivrières en haricots et en sorgho ; ils devaient réparer et tenir en état les huttes et les abris de leur patron. Les Hutus, installés sur le domaine foncier d’un Tutsi, avaient des obligations différentes et devaient deux jours de travail sur cinq à titre de corvée (ubuletwa).

Mais cette relation de dépendance foncière ou pastorale n’empêchait pas les Hutus de disposer de vaches personnelles, et, d’autre part, il y avait aussi des Tutsis dans la clientèle de la minorité tutsi dominante.

Il n’existait pas de division sexuelle du travail agricole ; cependant, les femmes n’avaient pas le droit de s’occuper du bétail. Les Hutus cultivaient le sorgho, le mil, le maïs, le manioc, certains légumes et entretenaient des bananiers. Le système de parenté était fondé sur une organisation clanique patrilinéaire et patrilocale. Les Hutus étaient divisés en treize ou quinze clans (ubwoko), qui comprenaient aussi des groupes des autres castes.

Les croyances religieuses sont centrées autour d’Imana, à la fois dieu créateur et dieu suprême. Bien qu’il soit personnifié, Imana n’est pas responsable de l’ordre social des choses. Il existe également un culte de l’esprit des morts (bazimu), qui vise à apaiser leur méchanceté et à annuler leurs effets néfastes. Certains de ces esprits, les imandwa, jouent un rôle tout à fait particulier et s’intègrent avec le mythe de Ryangombe à un culte initiatique : le kubandwa. Ce système de croyance implique l’existence de devins qui interprètent la volonté d’Imana et identifient les esprits des morts. La sorcellerie, par contre, est entièrement maléfique.

La position de l’ethnie hutu a considérablement changé avec la situation d’indépendance. Elle a dirigé une véritable révolution sociale qui a renversé au Ruanda la domination politique, économique et sociale de l’ethnie tutsi. Cette lutte sociale s’est marquée par une élimination des réseaux de dépendance que la colonisation belge avait contribué à consolider. Il est donc difficile aujourd’hui de décrire les Hutus comme une caste, et le système social ruandais comme une féodalité (interprétation de J. J. Maquet).

Après l’indépendance du Burundi (1962), la rivalité entre les Hutus, majoritaires dans le pays, et les Tutsis se manifeste avec une violence accrue, malgré les tentatives d’administration commune, aboutissant à des massacres systématiques, notamment en avril-mai 1972 et au début de 1973, et entraînant l’exode de populations, notamment des Hutus, vers le Zaïre et la Tanzanie.

J. C.

➙ Burundi.

 J. J. Maquet, le Système des relations sociales dans le Ruanda ancien (Tervuren, 1955).

Huxley (Aldous)

Écrivain anglais (Godalming 1894 - Los Angeles 1963).


Après la Première Guerre mondiale, l’univers victorien s’effondre. À l’euphorique croyance dans le progrès matériel succède un doute angoissé. Chacun l’exprime à sa manière, et la satire connaît un renouveau caractéristique, qu’illustrent George Orwell autant qu’Evelyn Waugh. De même, Aldous Huxley, qui publie son premier recueil de poèmes, Defeat of Youth (la Défaite de la jeunesse), en 1918, fustige sévèrement le vide spirituel, l’amoralité, la futilité de la jeunesse d’entre les deux guerres dans Antic Hay (Cercle vicieux, 1923). Petit-neveu du célèbre pédagogue Thomas Arnold, petit-fils de Thomas Huxley le naturaliste, il a pour père le philosophe Leonard Huxley, pour frère le biologiste Julian Huxley. Lui-même enseigne un temps à Eton — où il a fait ses études ainsi qu’à Oxford — avant de se consacrer très tôt entièrement à la littérature. Tous les genres le sollicitent, de la critique littéraire (pour la Westminster Gazette, par exemple) à la poésie (Leda, 1920), et plus tard l’histoire (The Devils of Loudun [les Diables de Loudun], 1952) après l’art dramatique (The World of Light [le Monde de la lumière], 1931). D’une insatiable curiosité intellectuelle, il parcourt le monde, consignant ses réflexions de voyage dans Along the Road (Chemin faisant, 1925), Jesting Pilate (le Tour du monde d’un sceptique, 1926) ou Beyond the Mexique Bay (Croisière d’hiver en Amérique centrale, 1934). À côté des sujets littéraires comme On the Margin (En marge, 1923), il écrit de nombreux essais sociologiques, religieux, artistiques, philosophiques ou moraux : Prosper Studies (le Plus Sot Animal, 1927), Do What You Will (l’Ange et la bête, 1929), Music at Night (Musique nocturne, 1931) ou Texts and Pretexts (Textes et prétextes, 1932). Son érudition hors du commun s’accompagne d’une intelligence extrême, et on ne saurait s’étonner de la lucidité qu’il manifeste à l’égard des problèmes de l’époque. Scepticisme aigu, ironie mordante, voire cruelle, ressuscitant Swift (Ape and Essence [Temps futurs], 1948), caractérisent une œuvre où, à travers la foule des personnages pittoresques (Those Barren Leaves [Marina di Vezza], 1925 ; Crome Yellow [Jaune de chrome], 1921), sa plume alerte dénonce impitoyablement les faiblesses humaines. La peinture du machiavélisme de Janet Spence, de la naïveté de la jeune nonne des Mortal Coils (Dépouilles mortelles, 1922), la tromperie, la prétention, la dureté de cœur étudiées dans Little Mexican (le Petit Mexicain, 1924) annoncent les analyses psychologiques sans pitié de Brief Candles (Après le feu d’artifice, 1930), que ne tempère même pas cette nuance d’émotion perçue dans Two or Three Graces (Deux ou Trois Grâces, 1926). Le pessimisme que ressent Huxley à l’égard de l’homme rejoint celui qu’il éprouve face à sa destinée. Son attitude devant les progrès de la science le place à l’opposé de cet autre vulgarisateur, H. G. Wells*, que ce soit avec Brave New World (le Meilleur des mondes, 1932), jalon important de l’histoire de l’utopie anglaise, son chef-d’œuvre, ou avec After Many a Summer (Jouvence, 1939). Le mysticisme et les hauteurs abstraites ne constituent pas non plus son refuge. Hésitant entre l’Église et ses rites, dont il se méfie, quoiqu’il lui reconnaisse une certaine utilité (Ends and Means [la Fin et les moyens], 1937), et la pensée orientale (The Perennial Philosophy [la Philosophie éternelle], 1946), il ne parvient pas, comme T. S. Eliot*, à trouver sa certitude dans la foi chrétienne. Pourtant, son éthique n’apparaît pas désespérée. La lutte pour conserver sa vue sans cesse menacée, le combat qu’il mène contre la guerre (Pamphlets pacifistes, 1934-1939) en témoignent. Si le « sauvage » du Meilleur des mondes se suicide, déçu à mort par le monde qu’on lui offre, M. Rampion de Point Counter Point (Contrepoint, 1928) ou A. Beavis de Eyeless in Gaza (la Paix des profondeurs, 1936) — œuvres à structure complexe —, comme W. Propter de Jouvence ou B. Bontini de Time Must Have a Stop (l’Éternité retrouvée, 1945), semblent entrevoir la solution. Ouverture sur les autres. Indépendance, détachement du monde, de ses compromissions. Surtout, équilibre. Équilibre des fonctions animales et spirituelles — on retrouve son ami D. H. Lawrence* —, de la science et de la religion, de toutes les activités et aspirations de l’homme, tel est par la bouche du raja de Pala (Island [Île], 1962) le dernier mot de Huxley.

D. S.-F.

 P. Jouguelet, Aldous Huxley (Temps présent, 1948). / P. Bowering, Aldous Huxley (Londres, 1969).