Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Husserl (Edmund) (suite)

Ego radical et intersubjectivité

Puisque tout sens est fondé dans la conscience individuelle donatrice de sens, la démarche du philosophe ne va-t-elle pas aboutir fatalement au solipsisme ? Husserl tourne aisément l’objection. Pour lui, « autrui soi-même m’est donné dans une expérience absolument originale. L’altérité de l’autre est un moi pur, il est une existence absolue et un point de départ pour lui-même comme je le suis moi-même ».

Ainsi, l’analyse intentionnelle d’autrui fait passer la radicalité du moi dans l’intersubjectivité, c’est-à-dire dans l’histoire. Par ce biais, Husserl a beau jeu d’aborder la crise des sciences. Ce qui est en cause, ce ne sont plus les sciences en particulier, c’est l’objectivisme qui a prétendu les fonder. Leur crise se situe dans leur absence de signification pour la vie elle-même. Seul l’ego fondamental, donateur de sens, vivant d’une vie préobjective et immédiate, peut réconcilier, dans un rapport de vérité toujours précisé, le savoir abstrait et le vécu.

La vérité ne peut se définir que comme expérience vécue de la vérité, comme l’évidence que consacre le moment où la chose dont on parle se donne « en personne » à la conscience. Et Husserl précise : « Même une évidence qui se donne comme apodictique peut se dévoiler comme illusion, ce qui présuppose néanmoins une évidence du même genre, dans laquelle elle « éclate ». »

Ainsi, la vérité se corrige toujours dans une expérience actuelle, et si tel vécu se donne maintenant à moi comme une évidence passée et fausse, cette actualité même constitue un nouveau moment qui exprime dans le vécu à la fois l’erreur passée et la vérité présente qui la corrige.

La vérité selon Husserl n’est pas un objet mais un mouvement, et un mouvement qui n’existe que s’il est effectivement fait par moi. Seule l’analyse intentionnelle, revenant au monde au sein duquel le sujet reçoit les choses comme synthèses passives antérieures à tout savoir, dévoile le fondement radical de toute vérité.

De sorte que, après avoir écarté le monde par la réduction pour rendre à l’ego son authenticité de donateur de sens, Husserl le retrouve comme la réalité même du constituant. Bien entendu, il ne s’agit plus du monde où l’homme s’abandonne comme existant, objective naïvement la signification des objets et s’aliène, mais bien du monde primordial, matière initiale des expériences vécues sur lesquelles s’élève la vérité théorique.

D’une recherche sur les bases de la logique, le philosophe en vient à fonder toute rationalité et toute vérité sur le vécu immédiat d’une évidence par laquelle l’homme et le monde se trouvent originairement d’accord.

Sur l’anté-rationnel du subjectif, dont certains disciples et en particulier Heidegger vont faire abusivement un anti-rationnel, Husserl élabore une nouvelle objectivité. Son rationalisme « totalisant », qui tire du vécu le principe d’intelligibilité du monde, comme Descartes le tirait de Dieu, a quelque chance d’apparaître aujourd’hui, dans la crise de la culture, comme le dernier état de la bonne conscience philosophique. S’il est vrai que la catégorie existentielle, en sauvant ici la mise de l’abstraction pure, écarte à la fois la séduction du mysticisme et la dichotomie entre être et conscience, elle n’en reste pas moins étrangère à l’histoire concrète, telle que « les hommes la font dans certaines conditions ».

R. V.

 E. Levinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger (Vrin, 1949 ; nouv. éd., 1967) ; Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl (Vrin, 1963). / Tran Duc Tao, Phénoménologie et matérialisme dialectique (Vrin, 1951). / J.-F. Lyotard, la Phénoménologie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1954 ; 7e éd., 1969). / Q. Lauer, Phénoménologie de Husserl. Essai sur la genèse de l’intentionnalité (P. U. F., 1955). / A. L. Kelkel et R. Schérer, Husserl, sa vie, son œuvre (P. U. F., 1964 ; 2e éd., 1971). / P. Ricœur, Idées directrices pour une phénoménologie (Gallimard, 1965). / E. Fink, Studien zur Phänomenologie, 1930-1939 (La Haye, 1966). / J. Derrida, la Voix et le phénomène. Introduction au problème du signe dans la phénoménologie de Husserl (P. U. F., 1967). / R. Schérer, la Phénoménologie des « Recherches logiques » de Husserl (P. U. F., 1967). / G. Granel, le Sens du temps et de la perception chez Husserl (Gallimard, 1968).

Hutus

Ethnie d’Afrique orientale installée au Burundi* et au Ruanda*.


Le pays qu’ils occupent est fait de hauts plateaux vallonnés, situés entre le lac Kivu et la Tanzanie, qui s’élève de plus en plus vers l’ouest et le nord. À l’ouest domine la forêt et à l’est la savane. C’est l’ethnie dominante du point de vue démographique (85 p. 100 des habitants du Ruanda), mais sa position et sa fonction sociale ne correspondaient pas à cette importance numérique. En effet, les sociétés du Ruanda et du Burundi étaient stratifiées ethniquement, et les caractéristiques ethnologiques de cette ethnie ne peuvent se saisir qu’à l’intérieur d’un réseau pluriethnique.

À l’époque précoloniale et coloniale, les Hutus étaient subordonnés socialement et politiquement à une ethnie dirigeante, les Tutsis. Les Hutus, considérés comme les défricheurs du pays, sont agriculteurs, alors que les Tutsis sont un peuple de pasteurs, installé plus tardivement et bien moins important démographiquement que les Hutus (17 p. 100 de la population ruandaise). Il existe, enfin, un troisième groupe, dont la présence est en fait antérieure à celle des Hutus, constitué par une ethnie de Pygmées chasseurs ou potiers, les Twas, qui ne représente que 1 p. 100 de la population totale. Comme l’explique Jacques J. Maquet, « dans la vie domestique et les loisirs, dans les cultes et les cérémonies chaque groupe était séparé des autres. Chacun pratiquait l’endogamie... [Ils] étaient clairement rangés selon un ordre de supériorité-infériorité. Aucun individu n’échappait à la classification : chacun faisait nécessairement partie d’un des groupes hiérarchisés. » La spécificité des occupations, l’endogamie, les différences physiques et l’existence d’une hiérarchie des groupes ethniques ont conduit un certain nombre d’anthropologues à les définir comme des castes.