Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hongrie (suite)

« Corps étranger à l’Europe », la nation hongroise, dernière venue de notre continent, ne s’est jamais entièrement délivrée de fantasmes obsidionaux que l’audience injustement limitée de sa littérature semble aujourd’hui encore justifier. Plus que la rareté des traducteurs compétents ou que le faible poids politique du pays, la prééminence sur la prose d’une poésie qui fait corps avec la langue continue malheureusement à constituer un obstacle majeur à sa diffusion. La littérature hongroise se mérite.

J.-L. M.

 P. Ruzicska, Storia della letteratura ungherese (Milan, 1963). / I. Söter et O. Süpek, Littérature hongroise, littérature européenne (Budapest, 1966).


Le cinéma hongrois

En juin 1896, un premier spectacle cinématographique est offert aux habitants de Budapest par un commerçant avisé, Arnold Sziklai, qui, lors d’un voyage à Paris, avait assisté à la projection des films tournés par les opérateurs Lumière et n’avait eu de cesse de rapporter dans ses bagages un appareil semblable à celui qui étonnait les promeneurs du boulevard des Capucines. Bientôt, à Budapest, le cinématographe fit partie des « attractions » de certains cafés qui jusqu’alors proposaient surtout à leurs clients des récitals de musique ou des causeries littéraires. En 1898, la première société cinématographique hongroise, la Projectograph, est fondée par Mór Ungerleider, directeur du café Velence, et son associé, József Neumann. Parallèlement à certaines tentatives artisanales, d’autres initiatives voient le jour : en 1901, Béla Zsitkovszki réalise la Danse (A tánc) pour le compte d’une association culturelle et scientifique, la société Uránia. Cependant, l’organisation d’une véritable industrie du film est longue à s’implanter. Le premier studio (Hunnia) n’est construit qu’à la fin de 1911, et l’un des premiers longs métrages, les Sœurs (Nővérek) d’Ödön Uher, n’est présenté au public qu’en 1912. L’année 1912 marque d’ailleurs la véritable naissance du film hongrois. Quand la Première Guerre mondiale éclate deux ans plus tard le cinéma a définitivement oublié sa difficile période d’apprentissage. Des compagnies ambitieuses sont nées à Budapest et à Kolozsvár (auj. Cluj) en Transylvanie, les journaux ouvrent leurs colonnes aux chroniqueurs cinématographiques, cinquante-cinq films seront tournés en trois ans. Le cinéma est certes entièrement tributaire de la littérature, mais déjà certains metteurs en scène s’imposent, comme Mihály Kertész (qui sera plus tard connu sous le nom de Michael Curtiz) ou comme l’ex-journaliste Sándor Korda (qui deviendra le célèbre producteur Alexander Korda, responsable de la renaissance de l’industrie du cinéma en Grande-Bretagne). Sándor Korda est non seulement un habile réalisateur, mais un organisateur-né. En 1918, la firme Phönix de Mihály Kertész et la Corvin de Sándor Korda dominent la production du pays. Certains théoriciens comme Jenő Török annoncent Béla Balázs en cherchant une définition esthétique du cinéma. La guerre et les désordres qui vont suivre la défaite allemande entraînent cependant la Hongrie dans une instabilité politique peu propice à l’épanouissement du cinéma. Quand Béla Kun prend le pouvoir et impose la république des Conseils, l’industrie du cinéma, paradoxalement, réagit très favorablement au nouveau régime et à la nationalisation (historiquement, il s’agit de la première nationalisation, puisque ce n’est qu’en août 1919 que le décret de Lénine promulguera la nationalisation du cinéma soviétique). Les producteurs virent dans la nationalisation une possibilité de défendre leurs droits vis-à-vis des distributeurs, qui imposaient depuis quelque temps leur loi. Ils s’entraidèrent du mieux qu’ils purent pour établir divers organismes, dont un département central créé spécialement pour l’étude des scénarios.

Avec un enthousiasme fébrile, on décida de réaliser de nombreux films adaptés des grandes œuvres de la littérature mondiale progressiste. Les « 133 jours » furent trop courts pour mener à bien ces projets ambitieux. Néanmoins, 31 longs métrages furent réalisés par Sándor Korda, Béla Balogh, Márton Garas, Oszkár Damó, Alfréd Deésy, Pál Aczél, Ödön Uher, Károly Lajthay, Pál Sugár, Móric Miklós Pásztory, Cornelius Hintner, Joseph Stein, Béla Gerőffy, Gyula Szőreghy, Sándor Pallos et Dezső Orbán. Seul le film de ce dernier Hier a pu être retrouvé. Tous les autres ont disparu. La Terreur blanche qui suivit la chute de Béla Kun ruina l’industrie du cinéma. Fuyant arrestations et persécutions, la plupart des réalisateurs, qui avaient été actifs durant la république des Conseils, gagnèrent l’étranger. Les distributeurs réintégrés dans leurs privilèges tentèrent de sauver les apparences. On réalisa de 1919 à 1922 près de 86 films d’un assez médiocre niveau artistique. En 1923, la crise éclate, et ses conséquences sont immédiates. Les distributeurs se désintéressent peu à peu du film hongrois, préférant acheter des films étrangers, loués à haut prix aux exploitants. Béla Balogh, auteur de Blanche Colombe dans la cité noire (Fehér galambok a fekete városban, 1922), émigré après avoir cherché douze mois durant un exploitant pour son film les Enfants de la rue Pál (Pál utcai fiúk). Le plus prometteur des réalisateurs hongrois de l’époque, Pál Fejós (Paul Fejos), suit la même voie et part pour les États-Unis après avoir laissé inachevé les Étoiles d’Eger. La banqueroute est grande. Les firmes ferment leurs portes les unes après les autres. En 1929, le cinéma hongrois n’existe pratiquement plus. L’année suivante, aucun film n’est mis en chantier. La production ne reprend que modestement à partir de 1931. Pál Fejós revient dans son pays tourner pour le compte d’une compagnie française Marie légende hongroise (1933), mais le film, pourtant remarquable à bien des égards, ne remporte guère de succès. Après un nouvel échec (Tempêtes, 1933), Fejós se décourage et émigré définitivement, laissant les écrans hongrois à des artisans sans génie qui s’évertuent à imiter le style d’Ernst Lubitsch. István Székely et Béla Gaál remportent de confortables succès avec des comédies légères. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, les « films limonade » (opérettes tziganes, drames mondains) submergent le marché. Aussi est-ce avec un certain étonnement qu’on note en 1942 l’apparition d’une œuvre plus originale, les Hommes de la montagne (Emberek a havason), d’un jeune metteur en scène, István Szőts. Aujourd’hui Szőts, qui n’a pu bâtir l’œuvre qu’il portait en lui à cause des vicissitudes politiques de son époque, est considéré à juste titre comme le véritable père du cinéma hongrois moderne. En 1945, la production tombe à trois films. Les studios sont détruits. Pendant trois années, les films seront produits par les quatre partis de la coalition gouvernementale. Ce n’est qu’en 1947 que se situent certains changements profonds, dont la fin du financement des films par des entreprises privées. La même année, un film de Géza Radványi, Quelque part en Europe (Valahol Európában), attire l’attention internationale sur le cinéma hongrois. La nationalisation intervient le 21 mars 1948, année qui sera marquée par la réalisation de Un lopin de terre (Talpalatnyi föld), de Frigyes Bán.