Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Homère (suite)

Par là, l’illusion dramatique est quelque peu dissipée. Au pathétique guerrier de l’Iliade a succédé un roman d’aventures où la complaisance pour le conte, l’abondance des détails familiers, un goût certain pour les scènes de reconnaissance, ce qui signifie scènes d’attendrissement, affaiblissent un récit dans lequel le héros semble peu « engagé ». L’inspiration de l’Odyssée est moins forte que celle de l’Iliade : elle est malgré tout plus humaine, ne serait-ce d’ailleurs que par le simple fait que les dieux restent dans l’Olympe. Le vrai surnaturel est absent de l’Odyssée : la divinité n’existe que pour le décor. Quant au fantastique, exprimé dans tous ces récits fabuleux, il a beau peupler nos rêveries, nos désirs à demi exprimés, il n’appelle aucune transcendance. Livre essentiellement humain, et c’est peut-être là sa limite, le poème est une œuvre qu’on aime lire et relire pour autant que, par son imagination et son amour de l’insolite, elle sort le lecteur de lui-même, tout en lui montrant la victoire du courage et de l’énergie sur les traverses de l’existence.

Analyse de « l’Odyssée »

• La « Télémachie » (ch. I-IV) : les dieux décident le retour d’Ulysse retenu par Calypso. À Ithaque, Athéna exhorte Télémaque à agir contre les prétendants (I). Assemblée à Ithaque et départ de Télémaque (II). Arrivée de Télémaque à Pylos, où il est accueilli par Nestor, qui ne peut le renseigner sur le sort de son père (III). À Sparte, Ménélas raconte ce qu’il sait d’Ulysse à Télémaque, cependant qu’à Ithaque les prétendants dressent une embuscade contre ce dernier (IV).

• Les « Récits d’Ulysse » : obéissant aux dieux, Calypso laisse partir Ulysse sur un radeau. Il fait naufrage en vue de l’île des Phéaciens (V). Nausicaa, fille du roi Alcinoos, l’y découvre et le guide vers la ville des Phéaciens (VI). Reçu au palais d’Alcinoos, Ulysse raconte son naufrage (VII). Festin et jeux en l’honneur du héros, qu’Alcinoos presse de narrer ses aventures (VIII). Ulysse dit son départ de Troie, sa lutte contre les Kirkones, ses aventures au pays des Lotophages, puis chez le Cyclope (IX). Il poursuit son récit : son séjour dans l’île d’Eole, son arrivée chez les Lestrygons, puis chez Circé (X). Il conte son arrivée au pays des morts (XI). Il termine son récit par son retour dans l’île de Circé, son passage devant les îles des Sirènes, puis entre Charybde et Scylla, le massacre des bœufs du Soleil, son arrivée chez Calypso, qui le recueille (XII).

• La « Vengeance d’Ulysse » : le héros, reconduit par un vaisseau phéacien, aborde à Ithaque (XIII). Habillé en mendiant, il arrive chez le porcher Eumée, qui lui offre l’hospitalité (XIV). Retour de Télémaque à Ithaque. Il se rend chez Eumée (XV). Reconnaissance d’Ulysse et de Télémaque. Ils arrêtent des plans contre les prétendants (XVI). Ulysse gagne le palais avec Eumée et n’est reconnu que par son chien Argos (XVII). Le héros est insulté par le mendiant Iros et subit les outrages des prétendants (XVIII). Entretien d’Ulysse et de Pénélope, qui ignore qui il est. Le héros est reconnu par sa nourrice Euryclée (XIX). Festin des prétendants qui pressent Pénélope de choisir l’un d’eux comme époux (XX). Les prétendants essaient en vain de tendre l’arc d’Ulysse, Pénélope ayant promis d’épouser celui qui serait le vainqueur au tir. Ulysse, malgré les menaces, prend part au concours et le gagne (XXI). Aidé de Télémaque, il se fait reconnaître et massacre les prétendants (XXII). Reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope (XXIII). Le héros se rend chez son vieux père Laërte qui retrouve ses forces d’autrefois. Les vassaux des prétendants se révoltent, mais la paix est rétablie grâce à Athéna (XXIV).


Homère aujourd’hui

L’Iliade, livre d’ascèse, l’Odyssée, livre de fuite et d’apaisement. Les hommes de notre époque retrouvent dans l’Iliade leurs préoccupations comme leurs inquiétudes : la mort violente, la guerre, la captivité, la lutte pour la vie font partie des réalités quotidiennes ; l’Odyssée apporte la détente, le plaisir du jeu et laisse surgir des zones de la conscience humaine situées hors du temps. L’un et l’autre livre, si différents et pourtant si proches, sont les admirables témoignages d’une civilisation qui, malgré plus de vingt-cinq siècles, ne se sépare guère de la nôtre.

Homère n’était certes pas l’écrivain aveugle tel que la tradition s’est complu à le représenter. Il faut plutôt parler, et c’est une idée chère aux Anciens, de sa cécité comme liée à une divine intuition des choses, à une clairvoyance spirituelle apparentée au don poétique. L’homme qui a su enfermer le monde dans le bouclier d’Achille, au chant XVIII de l’Iliade, en donnant le spectacle de l’univers — « La terre et le ciel et la mer, le soleil inlassable et la lune en son plein... » —, de la vie de l’humanité dans ses travaux et ses jours est autant un poète qu’un voyant, un visionnaire dont la voix ne cesse de se faire entendre à travers les âges.

A. M.-B.

➙ Épopée / Grèce / Troie.

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