Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hölderlin (Friedrich) (suite)

Son temps lui échappe, car il n’a le droit ni de le flatter ni tout à fait de le maudire et, s’il vient à s’en détourner entièrement, il trahirait le meilleur de lui-même. À tous les moments de sa vie poétique, du moins depuis Tübingen, Hölderlin s’est attaché à l’actualité et aux grands événements politiques. Le Zeitgeist, l’esprit de son temps, a été son inspirateur. En 1798, il faisait des vœux pour le succès des armées républicaines, il magnifiait la Mort pour la patrie et Bonaparte. Après la paix de Lunéville, en février 1801, il composa la Fête de la paix (Friedensfeier).


L’Allemagne

Le poète est aussi lié au pays natal, aux collines, aux rivières, aux horizons du Wurtemberg qui s’ouvrent sur le lac de Constance et dont l’imagination créatrice fait une petite Hellade (Heimat). « L’avantage des voyages, écrivait-il à sa mère en 1787, est de nous faire mieux aimer notre pays natal » ; quand il reviendra de son dernier voyage vers la Souabe, où il devait finir, il écrivait : « Après tant de chocs et d’émotions mon âme avait besoin de se reposer quelque temps [...]. Plus je l’étudie, plus je suis captivé par mon pays natal. »

Ce sont les grands fleuves qui mènent de la petite à la grande patrie, de la Heimat au Vaterland, en particulier les deux grands fleuves divergents de l’Allemagne du Sud : le Rhin et son affluent le Neckar, qui vont vers l’ouest, et puis, en tout dernier lieu, le Danube, qui emmène les rêveries du poète jusque vers l’Orient.

Mais, au cœur de l’Europe, au milieu de l’assemblée des peuples, il y a la patrie allemande :
O cœur sacré des peuples, ô patrie,
Patiente autant que la terre maternelle et muette
Et méconnue de tous ; pourtant tes profondeurs
Ont donné aux étrangers le meilleur d’eux-mêmes.
Le poème intitulé Hymne de l’Allemand est contemporain d’une ode de Schiller, la Grandeur allemande, qui est à la gloire des poètes et des penseurs allemands. Le patriotisme de Hölderlin rêvait d’instaurer plutôt une république idéale et allemande, terre d’élection des vertus politiques et poétiques, et où serait devenu possible ce « retour des dieux », qui n’a cessé de le hanter. Dans cette patrie idéale, vieille comme l’Hellade et nouvelle chaque jour, la vertu républicaine et l’enthousiasme dionysiaque auraient animé la vie publique.


Le retour des dieux

Dans des élégies comme l’Archipel, le Pain et le Vin, dans ses derniers grands hymnes, comme À la terre mère, l’Unique et surtout Patmos, Hölderlin a développé en longues méditations élégiaques sa douleur de vivre dans un monde d’où les dieux s’étaient retirés et son espoir de voir un temps, à la fois ancien et nouveau, « où les dieux seraient revenus ». Être poète, c’est, pour lui, ressentir partout la présence du divin, quelque chose de spirituel au-delà du sensible ; ainsi, le poète peut donner valeur divine et forme mythique aux forces de la nature.

Dionysos est le dieu le plus souvent invoqué, mais le Christ apparaît aussi. Il est « un des fils de Dieu », frère par là d’Héraclès et de Dionysos, comme eux porteur de salut. Parce qu’il est amour, il est appelé l’Unique et, à la fin du poème le Pain et le Vin, il est « un génie silencieux, de céleste consolation, qui annonce la fin de l’assemblée des dieux et puis qui disparaît ». Est-ce l’annonce que la nouvelle journée, la nouvelle assemblée des dieux, qui doit se tenir au jardin des Hespérides, c’est-à-dire en Occident, sera chrétienne ? Même en dehors de tout dogme positif, le poète ressent profondément le besoin du salut :
Le Dieu est proche et difficile à saisir
Mais où il y a danger il y a promesse de salut.

Le poète garde le droit à l’obscurité, qui est son privilège. Et son appel en est plus saisissant. La religion de Hölderlin est la poésie, mais il ne peut concevoir que le sentiment religieux soit étranger à ce métier de poète qu’il appelle « le plus innocent des travaux ».


La fin du poète

Alors qu’il souffrait déjà depuis quelque temps de ce que ses contemporains appelaient l’hypocondrie, Hölderlin, à la fin de 1801, quitta l’Allemagne pour aller à Bordeaux occuper un poste de précepteur dans la maison d’un négociant allemand. Après un assez long voyage, qu’il a relaté dans ses lettres, il ne devait faire à Bordeaux qu’un séjour de quelques mois. Il quittait la ville en mai 1802, dans un état qu’il décrit ainsi : « L’élément violent, le feu du ciel et le silence des hommes [...] cela m’a saisi et, comme on le dit des héros, je peux dire de moi aussi qu’Apollon m’a frappé. » Un mois après ce départ et après un voyage dont on ne sait rien, il reparaissait à Stuttgart, « blanc comme un mort, amaigri, avec de grands yeux creux et le regard égaré, la barbe et le cheveu longs, vêtu comme un mendiant ». Passant par Francfort, il y aurait appris que Diotima venait de mourir.

Sinclair, son ami de Homburg, le recueillit et le fit même nommer par son landgrave « bibliothécaire de la Cour ». Mais, jacobin et conspirateur, il devait être arrêté en février 1805 par ordre du duc de Wurtemberg. Cette arrestation, de courte durée, frappa vivement Hölderlin, qu’il fallut bientôt envoyer à Tübingen pour y être soigné.

Après un traitement médical, le poète malade fut pris en pension par le menuisier Zimmer, chez qui il devait passer trente-six années. Au début, il souffrait de fréquents « paroxysmes » ; puis sa vie devint beaucoup plus calme ; il faisait des promenades et griffonnait parfois des vers. La « Tour de Hölderlin », où était sa chambre, devint un lieu de pèlerinage pour les romantiques. Les poètes souabes entouraient et écoutaient le poète, se souvenant qu’il avait écrit, quelques années plus tôt : « Ce sont les poètes qui disent les choses essentielles. » En 1826 paraissait chez Cotta, à Stuttgart, la première édition des Poésies de Hölderlin.

P. G.

 M. Heidegger, Erläuterungen zu Hölderlins Dichtung (Munich, 1951 ; trad. fr. Approches de Hölderlin, Gallimard, 1962). / R. Leonhard et R. Rovini, Hölderlin (Seghers, 1953). / B. Allemann, Hölderlin und Heidegger (Zurich, 1954 ; trad. fr. Hölderlin et Heidegger, P. U. F., 1959). / J. Laplanche, Hölderlin et la question du père (P. U. F., 1961). / U. Gaier, Der gesetzliche Kalkül, Hölderlins Dichtungslehre (Tübingen, 1962). / M. Konrad, Hölderlins Philosophie im Grundriss (Bonn, 1967).