Écrivain autrichien (Vienne 1874 - Rodaun, près de Vienne, 1929).
Hofmannsthal est le poète autrichien par excellence, non qu’il ait cherché ses sujets particulièrement dans l’histoire nationale comme Grillparzer ou dans une tradition viennoise, mais parce que sa vie et son œuvre n’ont jamais cessé d’être liées au destin de l’Autriche et de sa capitale. Il n’est pourtant pas un poète politique. Dès le début de sa carrière, il aspirait à l’intemporel, il était attiré par les légendes et les mythes. Mais sa vie et ses aspirations sont demeurées remarquablement centrées sur Vienne : il a beaucoup voyagé et il a été, entre les deux guerres mondiales, un éminent représentant d’un esprit européen qui essayait de se former autour des institutions de la Société des Nations ; mais il revenait toujours à son point fixe, cette belle maison de Rodaun, non loin de Vienne, où il s’était établi au lendemain de son mariage et où il est mort.
Encore au collège, il faisait publier en 1891 une « étude en un acte et en vers » intitulée Hier (Gestern). Dès le début, sa forme d’expression préférée a été le théâtre poétique, dans des décors raffinés et sans date, avec des personnages dont on ne sait à quel degré de réalité ils appartiennent, mais qui parlent tous un langage cadencé, avec des inflexions souples et libres, rythmées par la rêverie et le souvenir.
En 1893, Hofmannsthal écrivait le Fou et la mort (Der Tor und der Tod), pièce lyrique faite de méditations alternées et rimées, qui peut servir d’ouverture à toute l’œuvre du poète : le fou n’est pas un insensé, mais plutôt un homme qui a peur de commencer à vivre parmi les hommes ; il demeure dans ce que l’auteur appelle, dans un essai intitulé Ad me ipsum (1916), un état de préexistence. Être isolé, son refuge est le royaume de la beauté, qui est aussi celui de la gratuité. Ce fou, qui n’est pas sans ressembler au Tonio Kröger de Thomas Mann, revient dans presque toutes les œuvres de jeunesse, réunies dans les œuvres complètes sous le titre Poèmes et petits drames (Gedichte und kleine Dramen). Ce qui distingue cette première phase de l’œuvre est une langue d’une rare musicalité, qui marie la lucidité et un voile de symbolisme évocateur, où se perdent les contrastes et les tensions. La Mort du Titien (Der Tod des Tizian) et le Petit Théâtre du monde (Das kleine Welttheater), espèce de bref mystère publié en 1903, se rattachent à une inspiration du même ordre.
La mort est un personnage sinon toujours présent, du moins qui partout fait sentir sa présence. « Dieu des âmes », car elle les délivre de leur prison de chair, elle les ramène vers leur principe, qui est hors du monde et en même temps le comprend.
L’artiste seul — à l’inverse du fou — accepte entièrement, et par là surmonte, la mort. Le vieux Titien, presque centenaire, aime les couleurs changeantes du monde ; il se réjouit d’avoir donné une âme aux choses avant de les quitter. Il sait même les transformer. Ce dernier trait apparaîtra plus nettement dans les œuvres de la maturité. Jedermann, pièce publiée en 1911, la plus connue des pièces de Hofmannsthal, toujours donnée avec succès sur la scène du festival de Salzbourg, est une autre danse de la mort, moins détachée que celle de la jeunesse, mais également loin de la « danse macabre » traditionnelle. Dans Ariane à Naxos, dont Hofmannsthal a écrit le livret et Richard Strauss la musique (1912), c’est encore la mort, musicienne ensorcelante, qui règle le drame.
Hofmannsthal a eu sa part dans la grande résurrection hellénique dans les pays de langue allemande, sur les traces de F. Nietzsche : Œdipe et le sphinx (1906), Électre (1908), Ariane à Naxos (1912). Mais les pièces les plus connues traitent de sujets plus modernes : ainsi le Chevalier à la rose (Der Rosenkavalier), comédie en trois actes avec une musique de Richard Strauss (1910) et la Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten), opéra en trois actes, avec une musique de Richard Strauss, daté de 1916 ; en 1919 paraissait, sous le même titre, un récit, sorte de longue nouvelle. Une dernière « comédie lyrique », Arabella, devait paraître, avec musique de Richard Strauss, en 1933, après la mort du poète.
En 1925, une grande tragédie symbolique, la Tour (Der Turm), avait exprimé la réaction du poète à un demi-siècle d’histoire auquel il venait d’assister. La réponse de Hofmannsthal était, malgré tout, une confiance dans la vie, une attention redoublée à l’enfance, à ce qui ne se laisse pas corrompre.
L’horizon du dialogue avec la mort s’était donc beaucoup élargi. L’intemporel était devenu aussi bien passé qu’avenir.
P. G.
E. Hederer, Hugo von Hofmannsthal (Francfort, 1960). / E. Coche de La Ferté, Hoffmansthal (Seghers, 1964). / W. Volke, Hugo von Hofmannsthal (Hambourg, 1967). / G. Pickerodt, Hofmannsthal Dramen, Kritik ihres historischen Gehalts (Stuttgart, 1968).