Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hispano-américaines (littératures) (suite)

(Mexicain ; 1871-1952). Médecin de province, professeur, puis diplomate, il est l’auteur d’un sonnet mémorable, « Tords le cou au cygne au plumage spécieux... », où il condamne certains aspects superficiels et précieux du modernisme, déjà ridiculisé par José Asunción Silva dans sa Sinfonía color de fresa con lèche. Au cygne, il oppose le hibou, dont la « pupille mobile [...] interprète le mystérieux livre du silence nocturne ». Poète de l’ineffable, il laisse une œuvre abondante, noble et austère, écrite dans une forme soignée et savante.


Manuel González Prada

(Péruvien ; 1848-1918). Combatif, sarcastique, cet athée nourri de philosophie positiviste est un autre grand fourrier du mouvement par sa révolte même contre toute tradition rassie, par son amour de la vérité. Excellent prosateur, il introduit des formes oubliées dans sa poésie (rondeau, triolet, etc.) et s’efforce d’exprimer « l’intime harmonie entre le rythme des mots et le rythme silencieux des idées ».


Manuel Gutíerrez Nájera

(Mexicain ; 1859-1895). Journaliste à la plume alerte, conteur élégant — ses chroniques sont de petits chefs-d’œuvre —, fondateur de la Revista Azul (1894), tribune du modernisme, c’est un ciseleur de vers, fortement marqué par ses lectures françaises (il rêvait d’« exprimer des idées françaises en vers espagnols »). Sa poésie, pleine d’une douce mélancolie, est remarquable par sa musicalité et sa légèreté.


Julio Herrera y Reissig

(Uruguayen ; 1875-1910). Aristocrate déchu, autodidacte, il vécut une existence misérable, mais fière, composant des poèmes incompris. Pourtant, de tous les modernistes, celui qui recherchait la « pyrotechnie crépusculaire des mots » fut le plus grand artificier du verbe : ses vers, ruisselants d’images coruscantes et de métaphores inattendues, ont déjà quelque chose de surréaliste.


Leopoldo Lugones

(Argentin ; 1874-1938). Il est le grand représentant du modernisme dans son pays. Personnalité débordante, esprit curieux de tout, anarchiste, puis socialiste et enfin fasciste, il boira à toutes les sources de la poésie, mais en restant toujours tel qu’en lui-même. Depuis Las montañas del oro (1897), dans le style de Whitman, jusqu’au Lunario sentimental (1909), fortement inspiré de Laforgue, et aux Odas seculares (1910), où il se montre épique et patriote, il offre l’exemple d’une carrière poétique en constant renouvellement. Comme prosateur (La guerra gaucha, 1905), il met l’esthétique moderniste au service du genre gauchesque.


José Martí

(Cubain ; 1853-1895). Par le poids de sa personnalité, il se place au premier rang des précurseurs du modernisme. Héros de la tardive indépendance de son pays — il meurt sous les balles au service de la liberté —, il est à la fois orateur au verbe violent, essayiste, éducateur, conteur, poète. Ses poèmes (Ismaelillo, 1882 ; Versos sencillos, 1891) renferment déjà tous les éléments caractéristiques du modernisme : sensibilité, clarté, élégance, musicalité. Mais Martí est surtout un grand Hispano-Américain par son refus d’une culture d’emprunt (« notre Grèce à nous est préférable à la véritable Grèce qui n’est pas à nous ») et d’une ingérence yankee (« l’influence excessive d’un pays sur le commerce de l’autre se transforme en influence politique »). Dans la zone des Caraïbes, un seul homme peut lui être comparé, mais en dehors du modernisme, le Portoricain Eugenio María Hostos (1839-1903), dont le rêve était celui d’une fédération antillaise libre et qui fut le mentor de toute une génération.


Amado Nervo

(Mexicain ; 1870-1919). Ancien séminariste, diplomate, âme crépusculaire que ses recherches mystiques conduiront à la spiritualité hindoue, il laisse une œuvre baignée dans une atmosphère en demi-teinte, mélange de religiosité et de sensualité diffuse (Elevación, 1917).


José Enrique Rodó

(Uruguayen ; 1871-1917). Critique et essayiste de vaste culture, il sera le maître à penser de sa génération, et son essai Ariel (1900) lui vaudra une gloire continentale. Dédié à la jeunesse américaine, Ariel est, sous forme symbolique, une exaltation des valeurs spirituelles de la latinité opposées au matérialisme anglo-saxon. À une époque où commence à s’affirmer la puissance yankee, la leçon d’idéalisme d’Ariel suscitera l’enthousiasme de l’élite, et Darío, en particulier, sera sensible à cette leçon. Tout aussi remarquables par leur style d’une pureté parnassienne, les autres essais de Rodó (Motivos de Proteo, 7909) le consacreront comme le meilleur prosateur du modernisme.


José Asunción Silva

(Colombien ; 1865-1896). Mort à trente et un ans d’une balle qu’il se tira au cœur, il connut une jeunesse heureuse et facile. À dix-huit ans, il est en Europe, où il fait la connaissance de Wilde, de Mallarmé, de Verlaine et de D’Annunzio. Les malheurs qui s’abattent sur lui vers la fin de sa courte vie ont raison de cette âme sensible à l’excès. Un célèbre et mélancolique Nocturno (1894), dont la richesse rythmique annonce Darío, compte parmi les plus belles œuvres de la lyrique espagnole.


Guillermo Valencia

(Colombien ; 1873-1943). De famille noble comme Jaimes Freyre, ce grand seigneur des lettres, orateur et homme politique, illustre, à côté de son infortuné compatriote Silva, le modernisme colombien. Comme Jaimes Freyre aussi, il a le culte de la forme : ses vers, impeccables, sont ceux d’un des plus parfaits disciples des parnassiens (Ritos, 1898). Il a traduit Wilde, D’Annunzio et des poètes chinois.

 M. Daireaux, Panorama de la littérature hispano-américaine (Kra, 1930). / A. Torres-Rioseco, Nueva historia de la gran literatura iberoamericana (Buenos Aires, 1945 ; rééd., 1967). / P. Darmangeat et A. D. Tavares Bastos, Introduction à la poésie ibéro-américaine (le Livre du jour, 1947). / L. A. Sánchez, Nueva historia de la literatura hispanoamericana (Asunción, 1950). / R. Bazin, Histoire de la littérature américaine de langue espagnole (Hachette, 1953). / E. Anderson Imbert, Historia de la literatura hispanoamericana (Mexico, 1954 ; rééd., 1970). / C. V. Aubrun, Histoire des lettres hispano-américaines (A. Colin, 1954). / M. Picón Salas, De la Conquista a la Independencia (Mexico, 1954). / A. Zum Felde, La narrativa en Hispanoamérica (Madrid, 1964). / L. Harss et B. Dohmann, Portraits et propos (Gallimard, 1970).
On peut également consulter les numéros spéciaux de la revue Europe consacrés aux littératures du Mexique (1959), de Cuba (1963), de Colombie (1964), du Pérou (1966), du Guatemala (1968), du Paraguay (1970).