Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Hébreux (suite)

Et d’abord, quel est le rôle de la tradition orale ? Si la transmission orale de souvenirs anciens invente et aussi oublie, elle reste cependant fidèle sur certains points. D’ailleurs, assez souvent, ce n’est pas le fait qu’elle invente, mais l’explication du fait ou sa justification. La légende ou le mythe ne sont pas nécessairement une négation du fait historique, mais quelquefois un de ses modes d’expression. Il n’est donc pas impossible a priori qu’Israël ait conservé dans ses anciennes traditions des souvenirs authentiques de ses origines. Et de fait, on peut constater que, sur de nombreux points, les traditions patriarcales s’accordent avec l’histoire de l’Ancien Orient en cette première partie du IIe millénaire. Les noms propres des patriarches se retrouvent dans les documents de l’Ouest sémitique, Mari ou Ras Shamra (Ougarit). Et il est important de remarquer que ces noms ne seront jamais plus donnés dans toute la période de l’Ancien Testament. Ils appartiennent donc à des types de noms connus avant l’apparition des Israélites comme peuple et dans les régions d’où la Bible fait venir les patriarches. Les étymologies populaires données par la Bible (par exemple, Abraham, « père d’une multitude ») montrent bien que leur signification primitive n’était plus comprise. Ce qui suppose qu’ils ont été transmis par une tradition très ancienne.

L’ancienneté du fond de ces récits est encore confirmée par l’histoire du milieu de l’Ancien Orient. Les migrations patriarcales ne sont pas sans rapport avec les mouvements des peuples à cette époque : les vagues amorrites (ou proto-araméennes), bientôt suivies par d’autres groupes de bédouins qui cherchent à s’infiltrer dans les régions cultivées. Les tablettes de Mari nous font connaître l’activité de ces nomades et mentionnent les Habiru et les Benjaminites (Benē Yamina), dans lesquels les savants ont cru pouvoir reconnaître les premiers Hébreux.

On peut aussi établir d’intéressants parallèles entre les coutumes des ancêtres d’Israël et celles que nous font connaître les tablettes de Nouzi ou les anciens codes mésopotamiens du IIe millénaire, ceux d’Hammourabi*, d’Our-Nammou ou de Lipit-Ishtar.

Sans doute ne faut-il pas trop abuser de ces rapprochements, car, dans l’interprétation d’une découverte archéologique, il reste toujours une zone d’incertitude. Ils montrent toutefois qu’un certain nombre de traits relatifs aux patriarches s’inscrivent dans le cadre général de la vie et des coutumes du Proche-Orient de cette époque.

En conclusion, le témoignage qu’apporte l’archéologie confirme dans une grande mesure la présentation biblique des premiers temps de l’histoire d’Israël. Cela ne veut pas dire qu’il soit possible d’établir une biographie des patriarches. Mais la vaste documentation acquise permet d’esquisser à grands traits le destin des ancêtres des Hébreux.


Les traditions sur le séjour et la sortie d’Égypte

Le séjour en Égypte est une partie vitale de la plus ancienne tradition d’Israël. Mais il faut bien constater qu’il n’y a pas de tradition sur le séjour en Égypte. Il y a une tradition sur l’entrée en Égypte — c’est l’histoire de Joseph — et une tradition sur la sortie d’Égypte. Entre ces deux événements, Israël semble n’avoir conservé aucun souvenir concernant le temps du séjour au pays des pharaons.


L’histoire de Joseph

Les récits qui relatent l’histoire de Joseph sont parmi les plus beaux de la Bible par leur qualité littéraire. Joseph, avant-dernier fils de Jacob, vendu par ses frères à des caravaniers, devient esclave en Égypte et, grâce à sa sagesse, accède au rang de premier ministre du pharaon. Oublieux des mauvais traitements passés, il fait venir sa famille et l’installe en bordure du delta dans les riches pâturages de Gessen.

L’essentiel de cette histoire est ordinairement associé à l’invasion des Hyksos* (xviiie s.), qui amène en Égypte un afflux d’étrangers, surtout des Sémites. Les Hyksos, sémites eux-mêmes, ne pouvaient que leur faire bon accueil. La fortune de Joseph, quoi qu’il en soit des détails, se comprend mieux sous le règne de pharaons, originaires d’Asie.

Bien que ces récits aient été mis par écrit vers le règne de Salomon, il est important de noter la couleur égyptienne des traditions anciennes qu’ils rapportent. Les découvertes archéologiques nous font connaître le nom de Sémites qui sont parvenus en Égypte à de hautes fonctions. Les usages égyptiens sont aussi parfaitement notés : les songes et leur interprétation, le régime foncier égyptien, l’embaumement de Jacob et sa mise au cercueil, usage, notons-le, absolument étranger à la Palestine.

Toutefois, il faut constater que, à lire les textes de près, on ne saisit pas trop bien quelle fonction remplit Joseph : administrateur des biens royaux, maître du palais, premier ministre ? Ajoutons que les marchands à qui Joseph est vendu sont dits tantôt Madianites, tantôt Ismaélites. Le pharaon qui prend Joseph à son service n’est pas nommé, pas plus d’ailleurs que celui de l’Exode, ce qui est d’autant plus étonnant que l’on connaît le nom de Putiphar, le premier maître de Joseph, celui de son beau-père et de sa femme.

On n’échappe pas à l’impression que la tradition a véhiculé des légendes et que le récit a voulu exalter un grand ancêtre en le faisant le premier personnage d’Égypte après le roi.


Le temps de l’esclavage

Installés dans la terre de Gessen, les Hébreux du clan de Jacob y mènent une existence pastorale assez semblable à celle qu’ils ont vécue en Canaan. Cette terre de Gessen (en hébreu Goshen) est à situer près du Wādī Tumilāt, à l’ouest du lac Timsah.

Après un temps difficile à évaluer, quatre siècles selon la chronologie biblique, la situation change pour les immigrants. Au xvie s., une révolte contre les conquérants étrangers éclate en Haute-Égypte. Ahmosis, fondateur de la XVIIIe dynastie, chasse les Hyksos d’Égypte et les poursuit même jusqu’en Palestine.