Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

groupe de pression (suite)

De même, le caractère associatif (première condition) se dégrade dans les groupes où l’adhésion cesse d’être volontaire (exemple : ordre des médecins) et dans ceux où il n’y a pas d’adhésion formelle (exemple : Église catholique) ou pas d’adhésion du tout (exemples : l’armée, une entreprise, une commune) ; on aboutit aux simples catégories sociales dont certains s’instituent les porte-parole (exemple : les vieux).


Groupe de pression, « lobby » et « groupe d’intérêt »

La science politique dispose de deux vocables susceptibles de jalonner l’espace que ne couvre pas le groupe de pression stricto sensu. Le mot lobby met l’accent sur le petit noyau actif qui applique la pression, et il laisse dans l’ombre ceux qui en sont à l’origine. Le lobby peut œuvrer pour le compte d’une ou plusieurs associations coalisées ou pour le compte d’un intérêt singulier (exemple : une firme) ou d’un complexe d’intérêts parfois savamment coordonnés (exemple : le lobby routier qui intègre fabricants d’automobiles, transporteurs, pétroliers, etc.), d’autres fois en conjonction tacite et inorganisée (exemple : le lobby nord-africain, dont on a beaucoup parlé en France dans les années 50, résultait des interventions parallèles d’intérêts hétérogènes, notamment d’armateurs, de représentants élus des colons, de militaires et de fonctionnaires ayant fait tout ou partie de leur carrière au Maghreb, d’associations patriotiques, etc.).

À l’inverse, l’expression groupe d’intérêt laisse dans l’ombre les éventuelles interventions et fait porter l’attention sur l’ensemble de personnes qui peuvent avoir un intérêt, des activités, des attitudes identiques. Cet ensemble n’a pas les contours précis du groupe de pression, car il repose non pas sur le geste formel de l’adhésion, mais sur l’estimation soit de ceux qui se sentent dans une situation identique, soit de l’observateur qui classe ensemble des gens qu’il trouve semblables sous un certain aspect. Le groupe d’intérêt est un concept fondamental de la science politique pour au moins deux raisons.

La première raison est le rapport du groupe d’intérêt au groupe de pression. Le groupe d’intérêt, c’est d’abord la réalité sociale au nom de laquelle revendique le groupe de pression, qui, en tant qu’association, ne reçoit pourtant l’adhésion que d’une minorité (exemple : les syndicats, qui parlent au nom des salariés bien que moins du quart d’entre eux soient syndiqués en France). Le groupe d’intérêt, c’est aussi l’acteur que l’on retrouve dans le jeu des « tendances » des « blocs » et des querelles de personnes au sein même du groupe de pression, la façade unitaire de l’association masquant plus ou moins bien une confédération de groupes d’intérêt dont les visées sont loin de toujours concorder (exemple : syndicats d’agriculteurs censés représenter la petite ferme familiale et la grande exploitation mécanisée, la viticulture et l’élevage, etc.).

Cela amène à la seconde raison : le groupe d’intérêt permet d’analyser d’un bout à l’autre la dynamique sociale (depuis les relations face à face jusqu’aux formes et aux processus complexes des institutions spécialisées dans le regroupement et l’ajustement des intérêts) et de rendre compte de son mouvement dialectique de production de solidarité (appartenance, autorégulation, morale) et de conflit (antagonisme, épreuve de force, règle imposée).


Histoire du groupe de pression

On peut dire que le phénomène « groupe de pression » ne passe au premier plan de la politique qu’avec la conjonction de la révolution industrielle* (qui diversifie les intérêts économiques et décuple leur vigueur) et de la démocratie* libérale (qui semble ouvrir toutes grandes les voies d’accès aux centres de décision). Deux conditions se trouvent désormais réunies pour que des individus cherchent à s’organiser en vue d’exercer des pressions sur les pouvoirs publics : des intérêts multiples et dynamiques s’opposent pour des enjeux souvent considérables (par exemple dans l’affrontement entre protectionnistes et libre-échangistes), et, par ailleurs, les pouvoirs publics, dont l’idéologie justifie la compétition des intérêts, se trouvent beaucoup plus à la portée des revendications des citoyens, non seulement parce que, pour ceux-ci, un pouvoir institutionnalisé, fragmenté (entre un gouvernement, un législatif souvent divisé en deux chambres, une administration et des collectivités locales) et issu du suffrage, est bien moins insaisissable qu’un pouvoir arbitraire, mais aussi parce que chaque intérêt peut se trouver des appuis parmi les détenteurs du pouvoir et peut même, par l’élection, faire accéder ses défenseurs aux centres où se prennent les décisions.

Dans cette participation massive des groupes de pression au jeu politique, on peut, suivant P. Herring, distinguer deux phases que séparerait à peu près (car en fait il y a eu et il y a encore chevauchement) la Première Guerre mondiale. Dans la première phase, celle de l’ancien lobby, l’intervention auprès des hommes politiques et des fonctionnaires est essentiellement le fait d’individus ou de firmes qui recherchent, dans l’ambiance d’un capitalisme jeune et agressif, des passe-droits ou le concours financier de l’État. C’est une intervention clandestine parce qu’il s’agit de ne pas attirer l’attention sur les privilèges obtenus et aussi parce que les moyens employés sont souvent illégaux : intimidation ou corruption de fonctionnaires, de députés, de journalistes, etc. Les agissements de la Compagnie du canal de Panamá ou de la plupart des grandes compagnies de chemin de fer européennes ou américaines sont des exemples hauts en couleur et riches en scandales du comportement typique de l’ancien lobby.

Avec le nouveau lobby, au contraire, tout se passe au grand jour ; on recherche même souvent la publicité. Les auteurs des pressions ne sont plus des individus, mais des associations regroupant des milliers ou des millions d’adhérents ; leurs revendications sont connues de tous, car ce n’est pas des privilèges que chacun réclame, mais bel et bien ce qu’il considère comme son dû ; et, auprès des agents publics et des élus, ce ne sont pas des menées souterraines, mais toute une politique de bonnes relations, d’information et de persuasion. Le changement le plus important est sans doute l’effort qui est entrepris simultanément pour se gagner les sympathies de l’opinion ; on peut dire que la stratégie idéale du groupe de pression moderne serait de réussir si bien dans sa politique continue de relations publiques que, environné de compréhension et de sympathie, il n’aurait plus besoin de rappeler son existence et ses désirs aux dirigeants publics.