Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grenoble (suite)

Victime de nombreuses inondations au Moyen Âge (rupture du barrage du lac d’Oisans en 1219, débordement du Drac en 1377), la ville souffre au xvie s. des conséquences des guerres de Religion. Pénétrée par le luthéranisme dès les années 1520, elle devient un important centre protestant. Elle est prise en 1562 par le baron des Adrets, qui laisse saccager les tombes delphinales à l’église Saint-André ainsi que le trésor de la cathédrale, mais elle évite en 1574 les horreurs de la Saint-Barthélemy grâce au lieutenant général Bertrand de Gordes. Occupée le 22 décembre 1590 au nom du roi Henri IV par le duc de Lesdiguières, elle est systématiquement fortifiée entre 1590 et 1692 selon un plan remodelé en 1832. L’université de Grenoble, temporairement restaurée entre 1542 et 1565, est définitivement établie en 1808.

Point de concentration des troupes françaises en route pour l’Italie du xvie au xviiie s., Grenoble soutient activement le parlement lors de la célèbre journée des Tuiles du 7 juin 1788, qui a pour objet d’empêcher que le souverain ne dissolve une seconde fois cet organisme, comme il l’a déjà fait entre 1771 et 1775. À l’hôtel de ville, J.-J. Mounier rédige alors dès le 14 juin 1788 la demande de convocation des états généraux qui déclenche en fait la Révolution. Chef-lieu du département de l’Isère, créé en janvier 1790. Grenoble accueillera en triomphateur Napoléon Ier au retour de l’île d’Elbe du 7 au 9 mars 1815. Théâtre, dans la nuit du 4 au 5 mai 1816, de l’inutile coup de force de l’agitateur bonapartiste Jean-Paul Didier (1758-1816), la ville ne se rallie réellement ni aux Bourbons ni aux Orléans, mais elle accueille avec plus de faveur Napoléon III en 1852 et en 1860, avant de faire son entrée dans l’âge industriel grâce à Aristide Berges (1833-1904), qui crée la première usine hydro-électrique dans le Dauphiné en 1869.

Sur le plan culturel, on soulignera, à côté du musée Stendhal, l’importance du musée des Beaux-Arts de Grenoble (fondé en 1798) qui, grâce à différents dons et à l’action de ses conservateurs, s’est enrichi au xxe s. en œuvres anciennes (quatre chefs-d’œuvre de Zurbarán) et surtout modernes : sa collection de peinture contemporaine fut longtemps unique en France.

P. T.

➙ Dauphiné.

 J. Pilot, Histoire municipale de Grenoble (Maisonville, 1843-1846 ; 2 vol.). / A. Prudhomme, Histoire de Grenoble (Gratier et A. Picard, Grenoble, 1888). / F. Chavant, la Peste à Grenoble, 1410-1643 (Storck, Lyon, 1903). / R. Blanchard, Grenoble, étude de géographie urbaine (Didier et Richard, 1930 ; 3e éd., 1966). / P. et G. Veyret, Grenoble et ses Alpes (Arthaud, 1963). / Grenoble (la Documentation française, « Notes et études documentaires », 1966). / P. Dreyfus, Grenoble, de César à l’Olympe (Arthaud, 1967). / P. et G. Veyret et F. Germain, Grenoble, capitale alpine (Arthaud, 1967).

Grétry (André Ernest Modeste)

Compositeur liégeois (Liège 1741 - Montmorency 1813).


C’est à Liège que Grétry reçoit sa première formation avant d’aller en Italie — où il prendra conseil du padre G. Martini —, séduit qu’il a été par l’art de Piccinni et surtout de Pergolèse. À son retour, après un bref séjour à Genève, où il rencontre Voltaire, il se fixe à Paris et aborde dès 1766 l’opéra-comique français avec Isabelle et Gertrude. Mais son premier succès véritable sera le Huron (1768, d’après l’Ingénu de Voltaire), point de départ d’une brillante carrière jalonnée par Lucile, le Tableau parlant (1769), Sylvain (1770), Zémire et Azor (1771), la Rosière de Salency, Céphale et Procris (2 versions, 1773 et 1775), l’Amant jaloux (1778), l’Épreuve villageoise (1784). Richard Cœur de Lion (1784) connaît un véritable triomphe : l’air « Ô Richard, ô mon roi » sera le chant de ralliement des royalistes pendant la Révolution, et sa seule exécution sera l’occasion des journées d’Octobre 1789. Durant l’ère révolutionnaire, Grétry puise des sujets héroïques dans l’Antiquité (Denys le Tyran, maître d’école à Corinthe, 1794) et, plus heureusement, dans l’actualité (Joseph Bara ; la Rosière républicaine ou la Fête de la Raison, 1794). Un de ses ouvrages datant de cette période, Cécile ou les Deux Couvents (1792), lui est inspiré par un livret de Rouget de Lisle. Grétry ne collabore qu’une fois aux fêtes civiques (Ronde pour la plantation d’un arbre de la Liberté, 1799). Inspecteur des études au nouveau conservatoire, premier membre de l’Institut pour la section des beaux-arts, il est décoré de la Légion d’honneur par Bonaparte (1802) et meurt, à la fin de l’Empire, à Montmorency, dans l’Ermitage de Jean-Jacques Rousseau, qu’il a acheté aussitôt après la mort de l’écrivain.

On a dit, avec raison, que la musique de Grétry avait les exquisités un peu mièvres de Trianon. Elle correspondait si parfaitement au goût du règne de Marie-Antoinette que la carrière de son auteur se déroula pratiquement sans concurrence ; elle avait commencé au moment même où s’achevaient celles d’Antoine d’Auvergne, de E. R. Duni, de P. A. Monsigny, de F. A. Philidor... L’adhésion de Grétry à l’esthétique civique fut assez superficielle : sa musique ne fit que coiffer le bonnet phrygien. L’invention mélodique demeure la qualité maîtresse de son art. Par ses séductions un peu nonchalantes, elle compense la faiblesse de l’orchestration, qui provoqua les sarcasmes de Mozart. Cette déficience motiva tout au long du xixe s. des réinstrumentations qui desservirent cette musique, jusqu’au jour où une grande édition, entreprise sur ordre du gouvernement belge, permit l’accès aux partitions originales. Grétry a été mieux servi et plus souvent qu’aucun de ses devanciers par la musicologie.

Cet état de fait tient davantage sans doute à ses écrits qu’à sa musique même. Les Mémoires et les Réflexions d’un solitaire fourmillent de notations originales sur la musique et aussi sur les autres disciplines ou sur l’univers. Grétry apparaît comme un homme du Siècle des lumières et de l’Encyclopédie. En ce qui concerne la musique, on relèvera ses vues lucides sur l’avenir du drame lyrique ou de la musique instrumentale à programme. Mais la mise en pratique de conceptions aussi neuves reste embryonnaire. On n’en donnerait pour exemple que la répétition trop peu variée, dans Richard Cœur de Lion, de la romance comme motif conducteur (avant Wagner) : une « fièvre brûlante » qui inspirera à Beethoven des variations pour piano. Chez Grétry, comme chez Anton Reicha, le visionnaire n’aura pas été égalé par le créateur. Mais musicien du xviiie s. et annonciateur de l’avenir, Grétry demeure le maître de l’opéra-comique Louis XVI, tout comme Philidor et Monsigny avaient été ceux de l’opéra-comique Louis XV.