Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grèce (suite)

La prise de Constantinople en 1204 par les croisés de la quatrième croisade, le démembrement de l’Empire et l’installation plus ou moins permanente, selon les régions, des catholiques occidentaux sur le sol de la Grèce continentale et insulaire, à une époque où la querelle du schisme entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique divise la population chrétienne de l’Empire, bouleversent la société orientale sur tous les plans. À dater de cette époque, l’influence de la littérature occidentale marquera, tantôt négativement, tantôt positivement, la littérature néo-hellénique. Cette influence se manifestera d’abord par la Chronique de Morée, poème de 10 000 mauvais vers qui date du xiiie s. et décrit les faits de cette « conqueste », puis, au xive s., par des traductions ou des adaptations en grec de poèmes chevaleresques occidentaux, qui, en ce début de la littérature néo-hellénique, prennent la forme et le nom de « romans en vers » (mythistories). C’est encore à travers l’Occident et la Renaissance que la Grèce ancienne, bannie par le christianisme en Orient, sera redécouverte en son propre berceau. Plusieurs adaptations populaires de l’Iliade et plusieurs variantes du Roman d’Alexandre le Grand verront le jour pendant cette période.

Il reste, malgré tout, que la création la plus importante de toute cette période de la littérature néo-hellénique qui précède la chute de l’Empire sous la domination turque est l’épopée de Dhighenís Akrítas. Une première variante de cette épopée, qui daterait du xe ou du xie s., n’a pas été sauvée. Dans les cinq variantes subsistantes de l’épopée datant du xive au xviiie s. et dans une adaptation en prose du xviie s. se révèle la coexistence de plusieurs cultures et de plusieurs influences : chansons acritiques, mythes orientaux, tradition savante byzantine, amours chevaleresques occidentales, le tout composé en une œuvre de forme linguistique mixte, sans grand mérite littéraire, mais d’une grande valeur philologique et historique.

La prise de Constantinople en 1453 signifiera la fin de cette première période et l’arrêt brutal de l’évolution de la vie économique et culturelle néo-grecque. Pendant les quatre longs siècles de la turcocratie, la seule expression littéraire dans les régions dominées par les Ottomans sera la poésie populaire, anonyme et orale, témoin des rapports féodaux et du caractère fermé et agraire d’une économie domestique.

Pourtant, cette poésie populaire donnera, durant son long cheminement vers son point de perfection au xviiie s., un nombre considérable de chansons, qu’on peut classifier selon leur fonction dans la vie quotidienne paysanne : chansons de mariage, chansons d’expatriation et d’émigration, chansons de travail, chansons de mort, etc. ; les chansons klephtiques (kleftika), glorifiant la vie en commun et les luttes des kleftes (des réfractaires à la loi ottomane qui prenaient le maquis) contre les Turcs, deviendront les chansons populaires les plus célèbres et les plus chantées. La métrique déjà traditionnelle (vers de quinze syllabes), la langue vivante, la simplicité et la sobriété de l’expression, la personnification de toute force et de tout élément naturel, toutes ces caractéristiques constitutives de la valeur littéraire des chansons démotiques (dhimotiká) suscitent l’enthousiasme en Europe, lorsque Claude Fauriel en publiera une première collection (Chants populaires de la Grèce moderne, Paris, 1824-25).

À l’encontre des régions sous occupation turque, dans toutes les régions qui sont restées sous domination surtout vénitienne (la plupart des îles de la mer Égée et les Sept-Îles), le développement rapide des rapports marchands, la création de centres urbains et le contact permanent avec l’Occident et la Renaissance contribueront à la formation d’une littérature régionale qui se développera à côté de la littérature savante métabyzantine (traités théologiques, dogmatiques, etc.) et de la création populaire (chansons démotiques, surtout d’amour dans ces régions).

Les Complaintes, poèmes pleurant la perte de Constantinople, sont les premières manifestations de cette littérature régionale. Le caractère grec de ces poèmes est souligné d’une part par une conscience nationale préoccupée par la conquête turque, de l’autre par l’orthodoxie, qui différencie les populations grecques des catholiques dominants. Une nouvelle intelligentsia originaire de ces régions, constituée déjà au début du xvie s., se met : traduire des textes anciens en langue grecque vivante, démontrant ainsi le ; possibilités et les vertus de celle-ci. La personnalité la plus importante de ce mouvement est l’humaniste Nikólaos Sofianós († v. 1545), originaire de Corfou.

Dans le domaine de la création littéraire, le pétrarquisme influence fortement la production poétique à Chypre et ailleurs, tandis que la vie dans les centres urbains et marchands donnera naissance à une poésie satirique et didactique. Boccace trouvera des imitateurs ou des traducteurs : Emmanouíl Gheorghillás de Rhodes, Iákovos Trivólis de Corfou, Márkos Dheferánas de Zante, Stéfanos Sakhlíkis et Bertadis de Crète sont les principaux représentants de ce courant. Toute cette floraison de la littérature trouve son plein épanouissement en Crète dans la première moitié du xviie s.

L’idylle la Belle Bergère de I. Voskopoúla, en vers de onze syllabes, se rattachant à la pastorale antique, témoigne de la maturité de cette poésie crétoise, tandis qu’Erotókritos, roman héroï-érotique en vers de quinze syllabes écrit par Vitzéntzos Kornáros sur le modèle du roman français Paris et Vienne, est la dernière et en même temps, grâce à la maturité de la langue et du vers ainsi qu’à l’authenticité de l’imagination poétique, la plus importante des œuvres poétiques crétoises. Entre ces deux œuvres se situe le reste de la production poétique, qui est théâtrale sous deux aspects : le drame et la comédie. Citons parmi ces œuvres théâtrales destinées à être montées sur scène : Erofíli, drame païen de Gheórghios Khortádzis, et le Sacrifice d’Abraham, drame religieux attribué au poète d’Erotókritos.