Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

Quinze siècles de littérature impliquent nécessairement une évolution. Les différentes phases de celle-ci se sont faites naturellement, sans effort ni révolution. Aux œuvres issues de l’imagination poétique la plus vive et la plus spontanée (des origines aux guerres médiques) succède une forme plus élaborée, dans laquelle le sentiment et la réflexion sont intimement mêlés (période attique). Viennent ensuite des siècles où le raffinement et le savoir l’emportent sur les facultés d’invention (période hellénistique). Puis, Rome devenant la capitale du monde civilisé, l’imitation prend le dessus sur la nouveauté : le déclin littéraire est évident, malgré quelques grands noms et l’essor de la littérature chrétienne, jusqu’au jour où c’est à Byzance que se trouve le centre de la culture grecque.


Période ionio-dorienne (ixe s.? - vie s. av. J.-C.)

Il est certainement une longue tradition littéraire antérieure à Homère*. L’Iliade et l’Odyssée sont les premières œuvres parvenues jusqu’à nous, mais on peut supposer qu’elles sont l’aboutissement de toute une poésie, dont nous ne savons pratiquement rien, chantée par les aèdes, qui ont probablement existé dès l’époque mycénienne. Ces deux grands ensembles de la poésie épique donneront naissance à d’autres épopées constituant le Cycle, qui se répartit en deux groupes principaux, ayant trait l’un à la légende de Troie et l’autre aux légendes thébaines. Or, après Homère, un besoin nouveau de vérité morale et d’exactitude se fait sentir avec Hésiode (milieu du viiie s. av. J.-C.). Si les œuvres de celui-ci, la Théogonie et les Travaux et les Jours, sont tributaires de la même tradition quant à la langue et à la versification, le souffle qui les anime est bien différent. Hésiode se détourne du passé pour contempler d’un regard positif la vie de son temps : il s’efforce d’instruire, d’expliquer l’origine du monde ; il donne des conseils de morale pratique, parle des techniques agricoles. Il est l’initiateur de temps nouveaux, qui prône une société gouvernée par un idéal de travail et de justice.

Ce changement dans la conception de l’œuvre littéraire, désormais plus tournée vers le raisonnement, s’accuse dans la poésie lyrique qui s’annonce dès le début du viie s. av. J.-C. Une littérature plus personnelle s’instaure, liée aux progrès de la musique et de la danse, et laissant apercevoir des habitudes de pensée et des jugements plus subjectifs. À la poésie épique et didactique se substitue la poésie lyrique, où mythes et légendes n’ont de valeur par eux-mêmes que pour autant qu’ils éveillent des échos dans l’âme humaine. À côté du lyrisme choral (Alcman, viie s. ; Stésichore, vii-vie s.), on voit surgir l’élégie (Callinos d’Éphèse, Tyrtée, Mimnerme de Colophon, viie s. ; Theognis, Phocylide de Milet, vie s.), l’ïambe (Archiloque, viie s.), l’épigramme (Simonide de Céos, vie-ve s.), la scolie ou chanson de table (Terpandre, viie s.). L’école de Lesbos, illustrée aux viie et vie s. par Alcée et Sappho, livre une poésie pleine de force et de grâce, vive et heureuse chez Alcée, grave et émouvante chez Sappho, dont les accents atteignent parfois la limite du pathétique. Anacréon (fin du vie s.), dont l’art raffiné inspirera Ronsard, compte également parmi les plus grands.

Cette magnifique floraison, qui s’épanouit dans tous les domaines de la poésie, est contemporaine des premières œuvres en prose, qui apparaissent avec l’éveil de la pensée philosophique et de la recherche historique. Des philosophes (Xénophane, Parménide d’Élée, Empédocle, vie-ve s.) écrivent en vers, mais d’autres, tels Anaximandre et Héraclite, leurs contemporains, abandonnent la poésie. À la même époque, les logographes — ces « faiseurs de récits en prose » — donnent les premières ébauches de la littérature historique : ainsi Hécatée de Milet (ve s.), géographe et historien, véritable précurseur d’Hérodote.


Période attique (ve - ive s. av. J.-C.)

L’année 510, à partir de laquelle Athènes s’organise en démocratie, est le point de départ de l’âge d’or de la littérature grecque. Athènes, peu après victorieuse dans les guerres médiques, s’assure la primauté intellectuelle, et cette riche cité commerçante devient le foyer de rayonnement du monde hellénique. Pindare*, par la gravité religieuse de ses odes, reste très supérieur au brillant Bacchylide (première moitié du ve s.), tout en atteignant la perfection du lyrisme.

À la poésie lyrique succède le drame, c’est-à-dire la tragédie, la comédie et le drame satyrique. Le genre est essentiellement athénien, si l’on excepte la comédie sicilienne d’Epicharme (début du ve s.) et de Sophron (seconde moitié du ve s.). Née au siècle précédent avec Thespis, la tragédie, qui est une transformation du dithyrambe — hymne en l’honneur de Dionysos —, trouve sa plus belle expression avec Eschyle*, Sophocle* et Euripide*, qui allient à la puissance créatrice l’observation et l’analyse morale. Simultanément, la comédie, grâce à Aristophane*, règne avec éclat dans la seconde moitié du ve s., unissant, elle aussi, la réflexion aux fantaisies de l’imagination.

À la même époque, la prose, qui n’avait fait jusqu’alors qu’une timide apparition, prend une place de plus en plus importante, recherchant aussi bien l’effet dramatique que la clarté et la précision dans l’exposé. En histoire, du récit plein d’instruction d’Hérodote*, on passe aux hautes vues de Thucydide* ; à un degré inférieur, Xénophon* sera un heureux continuateur de l’un et de l’autre. La philosophie, si elle est encore un brillant reflet de la poésie chez Platon*, apparaît comme une science avec Aristote* ; dans ce domaine, invention et sensibilité servent de support à l’observation et au raisonnement. L’essor de la prose se manifeste également dans l’éloquence, qui, à des fins politiques ou privées, prend à son compte tout ce que la poésie laisse d’énergie et de passion sans emploi. Après l’ingéniosité savante des sophistes, ce sont la variété vivante de Lysias (ve-ive s.), le ton harmonieux d’Isocrate (ve-ive s.) et surtout les accents vibrants de Démosthène*, conscience de l’État athénien, et, dans un autre registre, les discours passionnés d’Eschine, de Lycurgue et d’Hypéride (ive s.).

Au total, en dépit des réussites évidentes de la comédie moyenne et de la comédie nouvelle, représentée par Ménandre (ive s.), la poésie cède le pas devant la prose. De façon plus générale, Athènes, parvenant à son point de maturité, glisse insensiblement vers la réflexion, l’enseignement, sans rien perdre encore de sa liberté créatrice.