Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

Le Péloponnèse* présente plus d’unité. Dans cette vieille province, affectée de longue date par une émigration continue et intense, l’abandon des montagnes (Taygète, Khelmos, Parnon) est presque consommé, et l’exode gagne les bassins intérieurs (Trípolis, Meghalópolis) : le nome d’Arcadie a perdu près d’un habitant sur trois depuis 1951. Le déclin démographique gagne désormais les huertas méridionales : en dépit de leurs atouts climatiques, les nomes de Laconie et de Messénie ont perdu le cinquième de leur population depuis 1961 parce qu’ils sont trop éloignés d’Athènes ; les cultures vivrières cèdent du terrain, et les bras manquent pour assurer la récolte de toutes les olivettes. La population des villes de Kalamáta (39 000 hab.), de Sparte (12 000 hab.) et de Trípolis (20 000 hab.) se maintient à peine depuis la fin de la guerre : ce ne sont que des marchés et des centres de services, mais Kalamáta abrite une usine de cigarettes qui, bien qu’à l’écart des zones de culture du tabac, est une des trois plus grandes de Grèce. Le tiède fossé d’Árghos (ou Argos), l’étroite bordure nord, de Corinthe à Patras, et les larges plaines d’Achaïe et d’Élide, à l’ouest, paraissent avoir un avenir mieux assuré, bien que leurs petites villes soient en général sans dynamisme ; ces zones agricoles se trouvent en effet plus proches d’Athènes depuis la construction d’une route moderne, et de vastes périmètres peuvent encore y être organisés en vue d’une irrigation systématique ; vignobles, olivaies, légumes de plein champ assurent aux campagnes des revenus en hausse. Mais l’industrialisation ne soutient guère cette tendance favorable, car l’attraction d’Athènes étouffe les possibilités d’un développement économique autonome : le gisement de lignite de Meghalópolis, le second de Grèce pour l’importance des réserves, est équipé quinze ans après celui de Ptolémaïs (Macédoine occidentale), pour fournir de l’électricité à la capitale ; le port du Pirée détourne à son profit le trafic des ports de Kalamáta et de Patras. La troisième ville de Grèce (118 000 hab.), Patras dispose des seules industries notables du Péloponnèse qui ne soient pas fondées sur les produits agricoles locaux : le textile et la fabrication de pneumatiques ; mais, en dépit de sa bonne position sur la façade maritime la plus proche des pays du Marché commun européen, auquel la Grèce est associée depuis 1962, et bien que son influence régionale (recrutement de ses habitants et des clients de ses commerces) s’étende du nord-ouest du Péloponnèse à une partie de la Grèce occidentale et de l’Heptanèse, la ville n’a compté que 25 000 habitants supplémentaires en vingt-cinq ans, alors que Lárissa en gagnait 30 000. La plus grande ville du Péloponnèse n’a pas assez de poids, ni de dynamisme pour résister à la concurrence de la capitale nationale.

Les archipels égéens sont des fragments montagneux dispersés dans une mer où la faune est assez pauvre et les conditions de navigation assez difficiles pour que les îliens soient plus souvent paysans que marins ou pêcheurs ; en outre, la croissance du Pirée a ruiné les fortunes édifiées, avant l’indépendance (Hydra) ou après (Ermoúpolis, dans l’île de Sýros), sur le commerce maritime : seuls subsistent les armateurs qui ont su s’adapter à l’augmentation des tonnages et élargir le champ de leurs activités au-delà de la Méditerranée ; l’engagement des hommes dans la marine marchande n’est qu’une des formes de l’émigration temporaire. Même quand les îles les plus petites (Cyclades, Sporades) disposent de certaines ressources (cultures spécialisées, minerais), leur avenir est grevé par leur étroitesse, leur éloignement des marchés, la difficulté de leurs relations (tout le trafic insulaire transitant par Le Pirée) et le déclin même de leur population. Les Cyclades (86 000 hab.) ont perdu un tiers de leurs habitants depuis 1951. Le tourisme est devenu la principale forme de mise en valeur de ces sites maritimes et de leurs attraits climatiques. Il domine désormais l’économie de plusieurs îles de très petite taille (Spétsai, Mýkonos), devenues de simples bases de loisirs à la disposition de la bourgeoisie des pays industriels ; il coexiste avec les activités traditionnelles, agriculture ou pêche, dans des îles plus vastes et mieux équilibrées (Skópelos, Páros, Thássos), où il contribue à les consolider en élargissant le marché de consommation local. Mais les circuits et les profits du tourisme sont en général animés et contrôlés par des entreprises athéniennes ou étrangères. La taille des îles voisines de la côte turque, Lesbos (ou Mytilène), Khíos, Sámos, et leurs productions particulières (huile, mastic, vin) pourraient leur garantir un équilibre plus durable si leurs structures agraires étaient plus égalitaires et leurs habitants moins nombreux. Mais leurs campagnes, bien tenues, et leurs villes, coquettes, dissimulent les conditions de vie difficiles, dont la réalité éclate à l’occasion des bilans migratoires : la diminution de leur population (210 000 hab.), qui fut respectivement de 9, de 7 et de 13 p. 100 de 1951 à 1961, a été de 18, de 13 et de 20 p. 100 au cours de la décennie suivante. La situation des îles du Dodécanèse (120 000 hab.), récupérées sur l’Italie en 1947, est meilleure, car Rhodes (32 000 hab.), directement reliée par avion à l’Europe du Nord-Ouest, est devenue la capitale d’un domaine touristique abondamment fréquenté, pendant la saison la plus longue de Grèce, par les Scandinaves et les Anglo-Saxons ; mais à la prospérité confirmée de Rhodes et à la vogue récente de Pátmos répondent la stagnation de Kós et le déclin de Kálymnos et Níssyros : le tourisme ne suffit pas à entretenir cet archipel éloigné du reste de la Grèce, séparé de la côte turque toute proche et où le gonflement des emplois du secteur tertiaire va de pair avec le recul des activités agricoles et maritimes.

La Crète* (456 000 hab.) arrive elle-même à un tournant : sa population, après avoir atteint son maximum en 1961, a diminué depuis de 6 p. 100, bien que la population urbaine ait augmenté dans l’île de 13 p. 100 pendant la même période. Cette grande île ne tire pas profit de sa position maritime : ses deux ports principaux, Khaniá (La Canée, 49 000 hab.) et Iráklion (84 000 hab.), ne sont que les pivots des relations avec Athènes et Le Pirée ; par eux transitent les émigrants et les marchandises : denrées agricoles locales (primeurs, fruits, vins, raisins secs), produits industriels distribués par la capitale et dont la concurrence a fait disparaître la plupart des entreprises insulaires. À l’intérieur, les paysans se détournent des montagnes, qui furent leur refuge pendant la période turque, et se concentrent dans les plaines (Messará) et les collines, plus favorisées par les conditions naturelles ; beaucoup recherchent les emplois procurés par l’essor du commerce et le gonflement des administrations que vaut à Iráklion l’extension récente de ses fonctions administratives et de son aire d’influence à l’ensemble de l’île. Enfin, à peine découverte par le tourisme, la Crète n’est plus protégée contre l’émigration par son particularisme : les Crétois, déjà installés en nombre en Grèce continentale, prennent à leur tour le chemin des usines d’Europe occidentale.