Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grande-Bretagne (suite)

Pendant la plus grande partie de la guerre de Cent Ans, les échanges artistiques avec le continent n’ont été guère favorisés. L’Angleterre s’est ainsi tenue à l’écart du prodigieux mouvement musical d’avant-garde qui s’est développé au xive s., en France et en Italie, sous le nom d’Ars nova, trouvant sa plus haute expression dans les œuvres de Guillaume de Machaut et de Francesco Landino. Mais au xve s., un merveilleux musicien anglais, John Dunstable (v. 1380-1453), avec un sens inné de la suavité harmonique, porte l’art polyphonique à un haut degré de raffinement. Et l’influence britannique rayonne sur toute l’Europe à la faveur de la victoire d’Azincourt, révélant aux musiciens du continent une tradition oubliée, considérablement enrichie depuis un siècle de l’autre côté de la Manche. En contrepartie, les musiciens anglais voyageant sur le continent subiront l’influence des musiciens flamands.

En 1485, l’avènement des Tudors marque le début d’une ère particulièrement féconde pour la musique britannique. Cette dynastie a plus fait pendant un siècle pour le développement des arts que tous les souverains qui l’ont précédée et suivie sur le trône d’Angleterre. Sous le règne d’Henri VIII, lui-même parfait musicien, un très grand compositeur, John Taverner (v. 1495-1545), exerçait son talent au collège d’Oxford, récemment fondé (futur Christ Church College). Trait d’union entre le Moyen Âge et la Renaissance, Taverner utilise un style d’imitation séduisant auquel Christopher Tye (v. 1500-1572?) et Thomas Tallis (v. 1505-1585, auteur d’un motet à 40 voix) donneront un plein épanouissement. La Chapelle royale (fondée au début du xiie s. par Henri Ier) commençait alors à devenir un prestigieux foyer de création musicale.

De l’avènement des Tudors à la mort de Purcell (1695), la musique anglaise connut un âge d’or interrompu seulement par la révolution et la dictature puritaines. Autour de la personnalité de la reine Élisabeth, notamment, surtout pendant la seconde moitié de son règne, s’est cristallisée une prodigieuse école artistique. Elle sut s’entourer des meilleurs talents et des plus grandes intelligences de son temps, cultiva la musique à sa cour (elle-même jouait du virginal) et favorisa l’influence italienne, qui eut un rôle fondamental dans l’éclosion du madrigal anglais. Pour être plus précis, l’âge d’or de ce madrigal et des autres formes nouvelles engendrées pendant l’« époque élisabéthaine » ne coïncide pas tout à fait avec le règne d’Élisabeth Ire (1558-1603) : il s’étend de 1593 à 1622, période que le musicologue T. Dart appelle « les trente plus belles années de la musique anglaise ».

Le génie poétique et les traditions musicales de l’Angleterre font du madrigal d’outre-Manche un genre original qui se distingue rapidement de son homologue italien. Il satisfait hautement un goût de plus en plus répandu dans la société cultivée : celui d’interpréter de la musique (vocale ou instrumentale) à plusieurs parties. Après le dîner, qui se prenait de très bonne heure, on s’asseyait autour d’une table pour déchiffrer la musique nouvelle, et quiconque s’en révélait incapable n’osait plus se prétendre honnête homme. Cependant, une mauvaise voix était remplacée par un instrument de même tessiture, et il pouvait arriver qu’une seule partie fût chantée, les autres constituant un « accompagnement » instrumental. Cette pratique a donné naissance aux formes nouvelles caractérisées par la prépondérance mélodique d’une partie. Ainsi, dans l’ayre, chanson polyphonique en manière de lied, la partie supérieure était toujours chantée, les autres parties étant interprétées soit par d’autres voix, soit par des violes, par un virginal (petit clavecin portatif) ou, plus souvent, par un luth. La notion nouvelle de « solo » accompagné, où l’individualisme lyrique fait son apparition (encore timide) dans la musique, suscite une vaste floraison d’œuvres vocales et instrumentales (orgue, virginal, luth, ensemble de violes). Et ce magnifique essor de la musique « de chambre », de la musique chez soi, favorise le développement de l’édition et de la lutherie. De riches recueils de madrigaux, d’ayres, de fantaisies pour les violes, de pièces pour luth ou pour virginal sont constitués et parfois publiés à l’initiative de grands amateurs, qui possèdent de superbes collections d’instruments et font peindre les couvercles de leurs virginals par les plus illustres artistes. Les instruments à clavier commencent alors à se constituer un répertoire, à base de transcriptions d’abord, puis d’œuvres originales, souvent très brillantes, grâce au génie de William Byrd* (1543-1623), puis surtout de John Bull (v. 1562-1628), l’un des promoteurs de la musique de clavier moderne. À la même époque apparaissent les « concerts de violes » (ancêtres de nos quatuors ou quintettes à cordes), dont le répertoire original est, à la fin du xvie et au début du xviie s., une spécialité des musiciens anglais, tout particulièrement du grand Orlando Gibbons (1583-1625). Toute famille anglaise cultivée se doit alors de posséder un chest of viols et d’en jouer entre soi. Dans le domaine du madrigal, les très grands noms sont alors Thomas Morley (1557-1602), Thomas Weelkes (v. 1575-1623) et surtout John Wilbye (1574-1638), dont l’œuvre, peu abondante, mais d’une originalité et d’une perfection exemplaires, mériterait la plus vaste diffusion. En matière de chansons au luth (qualifiées d’ayres ou de songs), le génie exceptionnel de John Dowland* (1563-1626) domine son temps par une ineffable invention mélodique et un sens harmonique en avance d’un demi-siècle. Enfin, la musique religieuse est magnifiquement représentée par Byrd et Gibbons, déjà nommés. La plupart de ces musiciens, cependant, ont excellé dans tous les genres. Et dans les nombreux recueils collectifs où leurs noms figurent, on est émerveillé de trouver aussi des œuvres de compositeurs presque inconnus qui sont dignes des plus grands maîtres. Cette quantité peu commune d’excellents musiciens appartenant à un même pays et à un même demi-siècle valut à l’école anglaise un grand prestige en Europe.