Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grande-Bretagne (suite)

« Ma détresse est si grande que je ne peux me passer de ma gaieté... »

Le grand mot de la littérature anglaise, sa marque particulière, sa force cachée, c’est l’humour. Réflexe de défense, réserve d’énergie. Tantôt « humeur », tantôt légèreté d’esprit, wit des brillants sceptiques de la Restauration, émanation subtile qui environne ces personnages aussi nombreux qu’inimitables, par son Adams (Fielding), son William Walters (Defoe), son Mattew Bramble (T. G. Smollett) ou sa Betsy Trottwood (Dickens), l’humour anglais dément formellement que la drôlerie n’ait pas de valeur littéraire, suivant l’opinion de W. Bagehot. De la comédie de Sheridan — à mi-chemin entre Ben Jonson et le wit — aux personnages mondains de « Saki » (H. H. Munro), N. Coward, E. Waugh, P. G. Wodehouse ou H. Green, ondoyant comme la vie dont il est l’émanation, c’est une terre franche bénie où les esprits les moins portés à la légèreté se retrouvent parfois de plain-pied : Carlyle, Clough, Hardy, T. S. Eliot ou R. Knox. Il fait voisiner sous le signe de l’ironie, chère à Meredith, le raisonnable official de la Compagnie des Indes orientales, T. Peacock et le lord extravagant, le romantique Byron, l’homme politique Disraeli et miss Compton-Burnett, la vieille dame, ou K. Amis, le « jeune homme en colère », et l’auteur de best-sellers E. Compton Mackenzie. Humour encore, et d’essence intellectuelle, celui de Sterne, l’émotif cérébral, de L. Carroll, le mathématicien logicien, ou de J. K. Jérôme, le faux naïf imperturbable. Parfois caustique, impitoyablement féroce et sombre, il s’arme pour la bataille chez Swift, S. Butler, B. Shaw, E. Waugh ou A. Wilson. Mais, le plus souvent, l’humour n’est que couleur de la bienveillance, teinte de la mélancolie, nuance du sentiment dont use sans réserve mais avec une étrange vigueur Dickens, tandis qu’une sorte de pudeur le retient chez G. Eliot. Humour intimiste en quelque sorte, où les Anglais sont les maîtres inégalés et que Ch. Lamb immortalise. Toujours humain sous la diversité chez Goldsmith, Trollope, Mrs. Gaskell, H. Belloc, Chesterton, J. Betjeman ou J. Cary, en lui s’opère la chimie impossible à analyser où se fondent harmonieusement l’irrationnel et le rationalisme, le merveilleux et le pragmatique, l’optimisme et le pessimisme, la mélancolie et la gaieté, la religiosité austère et l’esprit pratique bourgeois.

D. S.-F.

 G. Smith, Scottish Literature (Londres, 1919). / J. B. Priestley, The English Comic Characters (Londres, 1925). / E. Blunden, Nature in English Literature (Londres, 1929). / J. D. Seymour, Anglo-Irish Literature (Cambridge, 1929). / R. Macaulay, Some Religious Elements in English Literature (Londres, 1931). / C. Chassé, Physionomie de la littérature en Angleterre (Éd. universelles, 1945). / W. Y. Tindall, Forces in Modern British Literature, 1885-1946 (New York, 1947). / C. M. Bowra, The Romantic Imagination (New Haven, 1950). / A. L. Morton, The English Utopia (Londres, 1952 ; trad. fr. l’Utopie anglaise, Maspéro, 1964). / M. Friedman, Stream of Consciousness (Londres, 1955). / T. A. Birch, The English Mind as Reflected in Literature (Montreal, 1956). / P. Coveney, Poor Monkey / (Londres, 1957). / D. P. Varma, The Gothic Flame (New York, 1957 ; nouv. éd., 1966). / J.-J. Mayoux, Vivants Piliers (Julliard, 1960). / M. D. Legge, Anglo-Norman Literature and its Background (Londres, 1963). / W. Allen, Tradition and Dream (Londres, 1964). / B. Bergonzi, Heroe’s Twilight. A Study of Literature of the Great War (New York, 1964). / S. B. Greenfield, A Critical History of Old English Literature (New York, 1965). / A. O. J. Cockshut, The Unbelievers. English Agnostic Thought, 1840-1890 (New York, 1966). / Aspects du comique dans la littérature anglaise (Didier, 1966). / K. M. Briggs, The Fairies in English Tradition and Literature (Chicago, 1968). / S. Monod, Histoire de la littérature anglaise de Victoria à Élisabeth II (A. Colin, 1970). / P. Vitoux, la Poésie romantique anglaise (A. Colin, coll. « U 2 », 1971). / Formes du roman anglais du xvie au xxe siècle (Didier, 1972).


La musique

On a maintes fois montré que la singularité géographique de la Grande-Bretagne peut aider à comprendre l’histoire de ses peuples. Sur le plan musical, la fameuse « insularité » britannique a souvent été un facteur d’originalité, en provoquant certain filtrage des influences étrangères. Mais elle est responsable aussi de l’isolement de la musique anglaise, qui ne bénéficie pas, dans le concert européen, d’une juste diffusion.

La pauvreté de la production nationale aux xviiie et xixe s., période prestigieuse pour la musique européenne, a pu faire conclure inconsidérément à l’insuffisance du génie musical britannique. Pourtant, dès le haut Moyen Âge, la Grande-Bretagne fut une terre d’élection de la musique. Au viie s., peu après la christianisation, il y avait à Canterbury, premier siège épiscopal, une brillante école de chant romain, et plus tard Winchester deviendra l’un des hauts lieux du « grégorien », avec les abbayes de Saint-Martial à Limoges et de Saint-Gall en Suisse, tandis que de nombreuses écoles étaient créées dans les monastères au cours des « siècles d’or » du chant grégorien.

Cependant, l’avènement de la polyphonie* place bientôt la Grande-Bretagne à l’avant-garde de l’évolution musicale. Dès le ixe s., un Irlandais, Jean Scot Erigène (Johannes Scotus Eriugena), aurait enseigné la méthode de l’organum bien avant qu’elle ne fût généralisée. Au xiie s., l’Angleterre compte des théoriciens de la musique qui passent pour les plus savants d’Europe ; l’un d’eux, John Cotton, est sans doute le premier à recommander le mouvement contraire des parties, dont on sait l’importance dans la théorie du contrepoint. Au xiiie s., l’art musical britannique, enrichi dès l’avènement des Plantagenêts par le rayonnement des troubadours, est techniquement en avance sur celui du continent. On en trouve un témoignage dans le célèbre canon du manuscrit de Reading, Sumer is icumen in (v. 1240), unique en son temps pour l’aisance et l’originalité de son écriture polyphonique.