Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gouvernementale (fonction) (suite)

Ce démembrement de la souveraineté en trois pouvoirs a conduit à l’élaboration d’une théorie de la séparation des pouvoirs qui a inspiré les constituants américains de 1787 et, bien plus encore, les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, puis de la Constitution de 1791. Il convient, cependant, de rappeler que Montesquieu n’a pas une seule fois utilisé l’expression séparation des pouvoirs, et que le régime parlementaire anglais repose en fait sur la collaboration et l’équilibre des pouvoirs.


La collaboration des pouvoirs

Il ne faut pas confondre la notion de « pouvoirs », qui, pour retenir une formule de Robespierre, « sont les diverses parties essentielles et constitutives de la souveraineté », avec les « fonctions », par lesquelles l’État formule le droit et ordonne les mesures nécessaires pour en assurer le respect, ni avec les « organes », définis par Duguit comme « les individus ou groupes d’individus qui participent, sous une forme ou sous une autre, aux manifestations de l’activité volontaire de l’État », c’est-à-dire les divers corps que constituent les gouvernants. Dans l’esprit des constituants de 1791, les gouvernants étaient répartis en trois organes ayant chacun pour fonction d’exercer l’un des trois pouvoirs et lui seul, sans possibilité d’immixtion dans les attributions de chacun des deux autres (exception faite du droit de veto suspensif du roi).

La pratique constitutionnelle moderne est, d’une manière générale, fort différente. On tend, d’une part, à ne distinguer que deux grandes fonctions : la fonction législative et la fonction gouvernementale. Il y a, par ailleurs, collaboration et interpénétration des organes : le gouvernement participe largement à la fonction législative et le Parlement exerce un contrôle sur la gestion du gouvernement (contrôle administratif en régime présidentiel, contrôle politique et administratif en régime parlementaire) ; ainsi, aux États-Unis, les services présidentiels préparent et rédigent les principales lois, bien que la Constitution de 1787 refuse l’initiative législative au président, et les commissions d’enquête du Congrès contrôlent d’une façon assez tatillonne les administrations dirigées par les collaborateurs du président.


Le gouvernement

Le terme de gouvernement prête à une grande confusion.

Dans un de ses emplois (où il pourrait avantageusement être remplacé par le mot régime), il désigne l’ensemble des organes composés par les gouvernants d’un pays : gouvernement monarchique ou républicain, gouvernement présidentiel ou parlementaire, etc.

Dans un autre emploi — que nous retenons ici —, il sert à qualifier l’organe, ou l’ensemble d’organes, qui est investi de la seule fonction gouvernementale.

Dans un troisième emploi, plus restreint, il désigne le ministère ; de la langue courante, cet emploi s’est introduit dans les textes constitutionnels eux-mêmes, notamment dans la Constitution française de 1958.

• Dans la monarchie despotique, la confusion des pouvoirs et des fonctions est totale. Le roi décide seul : cependant, le plus souvent, il prend conseil des membres de sa famille, des collaborateurs qu’il s’est choisis ou qui lui ont été imposés par les « grands », des corps constitués nés de sa volonté ou de celle de ses prédécesseurs, ou encore de la tradition ; en réalité, il exerce presque toujours une sorte d’arbitrage entre les clans ou les groupes de pression qui l’entourent. Dans bien des cas, le pouvoir royal est d’ailleurs limité par la nécessité où se trouve la Couronne de faire accepter de nouveaux impôts par les divers groupes sociaux.

Le dictateur est un peu dans la même situation : une force armée de métier ou composée de militants du parti unique qui l’a porté au pouvoir le rend plus indépendant des réactions des divers groupes sociaux, mais, en revanche, il est tenu de n’en pas mécontenter les membres et surtout les dirigeants. Le monarque absolu ou le dictateur sont généralement assistés de fonctionnaires et de conseillers, responsables devant lui seul et constituant parfois un cabinet, mais au sein duquel ne joue aucune solidarité politique, Institutionnellement, ou pratiquement, il n’y a qu’un gouvernant — même lorsque le « chef » a conservé ou créé un Parlement dont le rôle est exclusivement d’entériner ses décisions —, qui incarne ou est censé incarner la souveraineté de la nation. Ici, le pouvoir gouvernemental a confisqué tous les pouvoirs.

• En régime présidentiel, le président et le Parlement assument une collaboration d’autant plus indispensable que, élus par le peuple, ils détiennent tous les deux une délégation directe de la souveraineté nationale. Aux États-Unis, l’équilibre entre ces deux organes est tel qu’un conflit entre eux n’aurait aucune issue légale s’il atteignait un grand degré d’acuité. Les secrétaires d’État choisis par le président ne sont pas des gouvernants, bien qu’en pratique soient convoquées des réunions hebdomadaires de cabinet où sont délibérées les affaires de l’État : le président décide seul, et il n’existe aucune solidarité politique entre les hommes auxquels a été confiée la mission d’assurer la gestion d’un département ministériel.

• Dans le gouvernement collégial ou directorial, dans certaines républiques de l’Antiquité notamment, l’exécutif était constitué de deux hommes égaux en titre et en pouvoir (consuls romains), qui devaient se mettre d’accord entre eux avant d’agir ; ce système fut employé en 1943 pour la direction du Comité français de Libération nationale d’Alger (généraux de Gaulle et Giraud). Dans la formule du directoire, un petit nombre d’hommes sont généralement égaux en droit ; toutes les décisions sont prises par ce groupe, soit à l’unanimité, soit, plus fréquemment, à la majorité ; ses membres nomment souvent un président sans voix prépondérante ni privilège particulier ; quelquefois un des membres du directoire s’assure un rôle prépondérant. Les Constitutions de l’an III et de l’an VIII avaient confié la fonction gouvernementale à un directoire de cinq membres pour la première, à un consulat de trois membres pour la seconde, mais, dans ce dernier cas, l’un des consuls exerçant en fait seul le pouvoir. En Suisse, un Conseil fédéral de sept membres exerce la fonction gouvernementale ; ses membres sont élus séparément, pour quatre ans, à la majorité absolue par les deux chambres du Parlement réunies en assemblée fédérale, son président, élu pour un an par la même assemblée, représentant la Confédération suisse à l’extérieur et à l’intérieur et dirigeant les délibérations du Conseil : les décisions sont prises à la majorité. Lorsque le Conseil fédéral est mis en minorité au Parlement, il reste en fonctions, mais change de politique. En Union soviétique, il semble que, depuis la mort de Staline (1953), le pouvoir gouvernemental soit exercé par un quasi-collège de trois membres, composé du président du Praesidium du Soviet suprême, du président du Conseil des ministres et du secrétaire du parti communiste, ce dernier semblant jouer le plus souvent un rôle prépondérant.

Il arrive que la fonction gouvernementale soit exercée par plusieurs collèges spécialisés et égaux entre eux : cela a été le cas en France pendant la Convention (Comité de salut public et Comité de sûreté générale jusqu’au 9-Thermidor ; pluralité de comités ensuite).