Gombrowicz (Witold) (suite)
L’œuvre de Gombrowicz est centrée autour de deux grands thèmes, la forme et l’immaturité, qu’il charge graduellement de significations nouvelles. Pour lui, l’homme n’est jamais lui-même : soumis au regard des autres, il se plie (tel le héros de Ferdydurke) aux coutumes, formes et conventions sociales engendrées par les innombrables relations interhumaines. Indépendamment du jeu de ces relations, il existe une logique interne de la forme que pressent l’individu, sans pouvoir toutefois discerner s’il déchiffre les rapports réels des êtres ou s’il s’embrouille parmi les illusions de son esprit : d’où l’énigme de Cosmos, parabole hautement sophistiquée dont le (les) sens semble(nt) s’annuler en se développant. La liberté s’exprime par le pouvoir de détruire les formes, notamment par le rire. C’est pourquoi toute forme doit être considérée au niveau de l’homme concret (même terrifié par sa puissance, comme dans le Mariage), et non au niveau des entités abstraites telles que Dieu, la Nature ou l’Histoire. La vie oscille entre la forme, qui se pétrifie, et le chaos, qui attire par son énergie aveugle et désarmée à la fois : ainsi, l’immaturité se trouve être, paradoxalement, un facteur de développement. C’est de l’obsession de l’immaturité que semble découler chez Gombrowicz la fascination de la laideur (Yvonne, princesse de Bourgogne), des sous-cultures (Ferdydurke), du primitivisme sarmate (le Transatlantique). Elle se charge progressivement de résonances érotiques (la Pornographie) pour aboutir, dans l’Opérette, à une apothéose quelque peu ambiguë de la jeunesse et de la « nudité », don de renouveau et d’indifférence. L’art naît de l’informe pour aboutir nécessairement à la convention la plus strictement réglée : Gombrowicz conseille de dépasser la contradiction en adoptant une attitude méfiante, juvénile et sceptique de « distance envers la forme ». Voulant unir l’insignifiance et la grandeur, le ridicule et le sérieux, le caprice et l’ordre, il propose, dans son Journal, un modèle de personnalité dynamique et intérieurement ambivalent : l’authenticité de l’individu (et particulièrement de l’artiste, opposé au savant, qui, lui, est voué à l’esprit de système) s’y mesurerait à la richesse et à la qualité des métamorphoses qu’il serait capable d’assumer dans un renouvellement continuel.
J. B.
D. de Roux, Entretiens avec Gombrowicz (Belfond, 1969) ; Gombrowicz (U. G. E., 1971). / Gombrowicz, numéro spécial de la revue l’Herne (1971).
