Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gomarisme (suite)

On le voit, d’un côté, celui de Gomar, la logique de la spéculation sur la toute-puissance divine conduit à réduire l’homme au rang d’objet passif d’un destin terrifiant ; de l’autre, Arminius et ses partisans vont renouveler les erreurs du pélagianisme et retirer au croyant toute certitude que son salut soit bien l’œuvre parfaite et définitive de Dieu. Le débat sans merci se poursuivra jusqu’à la mort d’Arminius, en 1609.

Sans doute serait-il moins impitoyable s’il ne servait d’infrastructure idéologique à un conflit sociopolitique, bien historique et concret celui-là : l’orthodoxie ombrageuse de Gomar vient soutenir l’autoritarisme politique du stathouder contre les plus libéraux des pasteurs, des États et gouvernements municipaux. Les gomaristes veulent mettre de leur côté les autorités civiles en les invitant à « surveiller l’enseignement donné à leurs sujets » ; en contrepartie, leur théologie d’un certain arbitraire divin appuiera le caractère absolu que le pouvoir entend conserver ; à l’inverse, les esprits éclairés voient dans le libéralisme arminien une promesse d’évolution démocratique.

À coups d’arguments théologico-politiques, la lutte se poursuit, même après la mort d’Arminius, dans les universités, les églises et les parlements : en 1610, les arminiens, pour se laver des accusations qui les visent, publient une « remontrance » où ils s’en tiennent à la position ouverte de la confessio belgica (1561) : Dieu prédestine au salut ceux qui persévèrent jusqu’à la fin dans la foi et l’obéissance à Jésus-Christ.

Les « remontrants » semblent marquer des points, mais les gomaristes en appellent au peuple, qu’irrite la propension des élites humanistes à rechercher une trêve avec l’occupant espagnol : une période d’intense confusion s’ouvre ; Amsterdam gomariste s’oppose à Rotterdam arminien.

Un synode chargé de définir les grandes lignes « de la foi et de la discipline » dans le but de résoudre la crise s’ouvre le 13 novembre 1618, dans la grande église de Dordrecht ; il durera jusqu’au 9 mai 1619 et tiendra 145 séances. Il « cite à comparaître » 13 remontrants, qui, dès le 7 décembre, sont considérés comme accusés, avant d’être expulsés, au terme d’une lutte acharnée et vaine, le 14 janvier. Condamnés comme menteurs, perturbateurs et profanateurs, ils sont déclarés indignes de servir dans les églises et les universités, ce qui ouvre une période d’intense persécution : le 12 mai, l’un de leurs chefs, le vieil avocat et homme politique libéral Oldenbarnevelt, est décapité à La Haye ; 200 arminiens sont déposés, 80 exilés, 70 se rétractent... provisoirement ; bon nombre choisissent l’exil volontaire. Et pourtant le synode, tout en adoptant une ligne prédestinatienne stricte, n’a pas été aussi loin que Gomar, s’en tenant à une position strictement infralapsaire tout en refusant la moindre participation de l’homme à l’œuvre du salut.

La violence des mesures répressives et la rigueur des canons synodaux déclenchent une vague de protestations et de réactions qui amènent les remontrants à reprendre partout droit de cité et parfois le pouvoir ; comme toujours, la vague intégriste provoque une onde en retour, qui ne tarde pas à balayer la digue théologico-politique que l’on a voulu élever pour tenter d’arrêter sinon le mouvement de l’Histoire, du moins la libre recherche ; sans doute les arminiens mettaient-ils en danger le message de la libre grâce divine, mais Gomar et ses amis illustraient un système dogmatique plus fait de logique philosophique que de fidélité évangélique ; leur appel au bras séculier pour faire triompher leur vérité rendait celle-ci odieuse et la condamnait à ne remporter qu’une éphémère victoire.

Les canons de Dordrecht ne tardent pas à tomber en désuétude et restent un sombre monument de rigueur intolérante. Petit à petit écartés des premières places, les gomaristes se plongent dans la théologie ou dans la mystique ; c’est occupé à des travaux de traduction de la Bible et d’exégèse que Gomar meurt en 1641, à Groningen, au milieu de sa nombreuse descendance.

G. C.

 F. Lichtenberger (sous la dir. de), Encyclopédie des sciences religieuses, t. I : Arminianisme et t. V : Gomar (Fischbacher, 1876-1882 ; 13 vol.). / Daniel-Rops, l’Église des temps classiques, t. II : l’Ère des grands craquements (Fayard, 1958). / E. G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, t. II : l’Établissement (P. U. F., 1961).

Gombrowicz (Witold)

Écrivain polonais (Małoszyce, près d’Opatów, 1904 - Vence 1969).


Après une enfance partagée entre le domaine familial (il est issu d’une famille de noblesse moyenne, mais ancienne) et des séjours à Varsovie, il fait ses études dans la capitale et y termine son droit en 1927. Il songe un moment à la magistrature, mais y renonce bientôt pour les lettres. Avant même de connaître un début de célébrité avec Ferdydurke (1938), il s’impose dans les milieux littéraires d’avant-garde par l’imprévu et l’originalité de ses idées et de sa parole. En août 1939, il fait, en tant que journaliste, un voyage en Argentine, où la guerre le surprend et où il demeurera jusqu’en 1963. Il y connaît des années difficiles, mais fécondes pour son œuvre. Invité en 1963 par la fondation Ford, il passe un an à Berlin, puis vient se fixer en France. Il reçoit le prix international des éditeurs en 1967.

Gombrowicz débute par des nouvelles fantastiques consacrées à des « cas » psychologiques extraordinaires et par une comédie bouffonne : Yvonne, princesse de Bourgogne (1938). Il attire l’attention des critiques avec l’épopée grotesque de Ferdydurke, où promenant son héros, miraculeusement transformé en adolescent, à travers toute la société, il esquisse les thèmes fondamentaux de son œuvre. Viennent ensuite : le Mariage (1953), drame onirique et parodique où Gombrowicz expose sa philosophie des relations interhumaines ; le Transatlantique (1953), conte d’un baroquisme délirant dans lequel il s’attaque, d’une manière particulièrement corrosive, aux anciennes traditions polonaises ; la Pornographie (1960), plus sévère, centrée sur la fascination qu’exerce la jeunesse sur deux hommes d’âge mûr ; enfin Cosmos (1965), qui utilise une intrigue quasi policière pour présenter l’univers comme un ensemble indéchiffrable de signes et scruter les rapports équivoques du hasard et de la pensée ordonnatrice. La dernière pièce de Gombrowicz enferme dans le cadre désuet et ridicule d’une véritable Opérette (1966) une vision tragique des grandes transformations sociales du xxe s. De 1953 à sa mort, Gombrowicz tient un Journal agressif et mystificateur où, mélangeant des confidences parfois futiles aux considérations philosophiques les plus hautes, il brosse le plus extraordinaire autoportrait de la littérature polonaise. Un rare courage intellectuel, qui s’attaque aussi bien aux poncifs traditionnels qu’à l’anticonformisme systématique, unit une attitude ludique à une quête angoissée de la mesure et de l’humain.