Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gluck (Christoph Willibald, chevalier von) (suite)

Au printemps suivant, il reçoit la commande d’un opéra pour Vienne, La Semiramide riconosciuta (14 mai 1748). Malgré son désir de mettre fin à sa vie aventureuse, il va ensuite à Hambourg, puis à Copenhague, où la Cour entend son opéra-sérénade La Contesa dei Numi (9 avr. 1749). Vers la fin de 1749, il abandonne la troupe des Mingotti pour celle du nouveau directeur du théâtre de Prague, J. B. Locatelli, qui fait représenter Ezio (Carnaval 1750) et Issipile (Carnaval 1752), opéras qui marquent l’apogée de la carrière italienne du musicien, hors d’Italie.

Entre-temps, Gluck a épousé, le 15 septembre 1750, Marianne Pergin, âgée de dix-huit ans. Après un voyage à Naples, où il fait entendre La Clemenza di Tito (la Clémence de Titus) le 4 novembre 1752, il s’installe définitivement à Vienne. Une carrière déjà glorieuse, mais aussi sa distinction et sa culture lui permettent alors, avec la protection du prince de Saxe-Hildburghausen, favori de l’impératrice Marie-Thérèse, d’entrer en contact avec le monde de la Cour. Au palais Rofrano, résidence du prince, il connaît de nombreux artistes étrangers et fait entendre ses symphonies et ses airs. Au cours d’une fête champêtre en l’honneur du couple impérial, il présente au château de Schlosshof, avec l’appui de son protecteur, son opéra-sérénade Le Cinesi (les Chinoises) le 24 septembre 1754. Sur l’ordre de l’empereur François Ier, l’œuvre est reprise l’année suivante au Burgtheater. Le spectacle se termine par un Ballet chinois (de Gluck, selon Dittersdorf) qui enchante l’auditoire. Ce succès marque un tournant dans la carrière de l’artiste. Il incite le comte G. Durazzo, directeur du théâtre de la Cour, à l’engager comme compositeur. De 1750 à 1756, Gluck écrit surtout des œuvres de circonstance et exécute une commande pour Rome, Antigono (9 févr. 1756), qui lui vaut les titres de « comte palatin de Latran » et de « chevalier de l’Éperon d’or ». Mais, stimulé par Durazzo, il se passionne bientôt pour l’opéra-comique français, dont quelques modèles, venus des foires Saint-Germain et Saint-Laurent, circulent à Vienne. Chargé par son directeur d’adapter ces comédies-vaudevilles, il les traite librement, à la manière française, ajoute des ouvertures, et, dès son premier essai, la Fausse Esclave (1758), comme d’ailleurs dans toutes les partitions suivantes, substitue à quelques vaudevilles ses propres airs. Cependant, le dernier livret qu’il met en musique, la Rencontre imprévue ou les Pèlerins de La Mecque (Vienne, 7 janv. 1764), ne contient plus de vaudevilles. C’est un véritable opéra-comique. Sur un arrangement par Dancourt de la pièce de Le Sage, jouée jadis (1726) à la Foire, Gluck écrit une musique entièrement originale. Il y réussit d’autant mieux qu’il s’est familiarisé — sa correspondance avec Favart en témoigne — avec la prosodie française. Le style est simple, familier, naturel ; le tragique se mêle au comique, l’émotion à la gaieté, et la fantaisie à la couleur locale. Alors qu’en France la période d’élaboration de l’opéra-comique n’est pas encore achevée, Gluck se classe parmi les pionniers du genre. Sa nouvelle conception du drame, qu’il méditait depuis longtemps, devait se ressentir de cette expérience. Durazzo eut le mérite d’en précipiter l’évolution, en faisant connaître à Gluck le librettiste Ranieri de’ Calzabigi, qui avait fait siennes les idées de réforme de l’opéra défendues à Paris par D. Diderot, J.-J. Rousseau, F. M. Grimm et Voltaire. Avec ce collaborateur inattendu, le musicien pouvait entreprendre une réforme sérieuse de l’opéra italien. Le livret, exempt des froides conventions d’un art de cour, aura une action simple et traduira des sentiments vrais et des émotions profondes. La musique servira « la poésie par l’expression et par les situations de la fable, sans interrompre l’action ou la refroidir par des ornements inutiles » (dédicace d’Alceste). Il faudra donc accorder à l’ouverture, qui doit annoncer le drame, plus d’importance, écarter les airs inutiles, éviter une coupure disparate dans le dialogue entre le récitatif et l’air — ce qui entraîne la suppression du clavecin dans les récits —, donner au chœur un rôle actif et non plus décoratif et l’intégrer, de même que le ballet, dans l’action. Le musicien devra enfin rechercher avant tout la simplicité, la vérité et le naturel. Dans Orfeo ed Euridice (Vienne, 5 oct. 1762), première partition italienne sur un livret de Calzabigi, Gluck applique l’essentiel de sa doctrine. Il soulève de nombreuses discussions parmi les amateurs et les musiciens, mais devient bientôt le compositeur viennois le plus en vue. En 1764, il fait un court voyage à Paris, où l’on grave l’Orfeo. Il corrige ses épreuves, étudie Lully et Rameau, et rencontre Favart. De retour à Vienne, son opéra Alceste (Vienne, 26 déc. 1767), déjà porté à la scène par Quinault et Lully, s’impose rapidement. Joseph von Sonnenfels, hostile à l’opéra italien, exprime son admiration : « Je me trouve, dit-il, dans le pays des merveilles. Un Singspiel sans castrats, une musique sans vocalises ou, pour mieux dire, sans gargarismes, un poème welche (italien) sans enflures ni pointes... » (Lettres sur les spectacles de Vienne). En 1769, Gluck conclut une association avec un pseudo-comte d’Affligio pour la direction du Burgtheater. L’opération financière est un désastre, et le compositeur y perd presque toute sa fortune et celle de sa femme. Habitué à la lutte, il ne se laisse pas abattre. Il va à Parme présenter une commande, Le Feste d’Apollo (les Fêtes d’Apollon), puis revient à Vienne pour y faire représenter Paride ed Elena (3 nov. 1770). Il s’accorde ensuite un temps de réflexion et met en musique des Odes de Klopstock, lieder qui compteront parmi les plus anciens du genre. Enfin, sur les conseils d’un de ses fervents admirateurs, le marquis Gand-Leblanc du Roullet, attaché à l’ambassade de France à Vienne, avec lequel il partage les opinions sur l’art lyrique, il se consacre à un nouveau projet : écrire une tragédie lyrique française, selon les principes qu’il vient de réaffirmer dans la dédicace de Paride ed Elena. Du Roullet lui fournit le livret français d’Iphigénie en Aulide, et, l’œuvre achevée, demande à Antoine d’Auvergne, directeur de l’Opéra de Paris, d’en assurer la création. Appuyée par la Dauphine Marie-Antoinette, qui avait été à Vienne l’élève de Gluck avant d’épouser le futur roi Louis XVI (1770), la tragédie est acceptée à condition que son auteur s’engage à livrer six partitions. En 1773, Gluck vient à Paris. Iphigénie en Aulide est représentée le 19 avril 1774 avec un immense succès, en dépit des intrigues et des critiques. Le 2 août suivant, on joue Orphée et Eurydice, adaptation française de l’Orfeo, dont la musique a été remaniée par Gluck, qui sera repris quarante-sept fois jusqu’au 20 novembre. Après ce triomphe, le musicien regagne Vienne. Il allait cependant revenir encore trois fois à Paris pour y présenter, en 1776, la version française d’Alceste (23 avr.), beaucoup plus profondément remaniée que l’Orfeo, en 1777, Armide (23 sept.), tragédie lyrique de Ph. Quinault, déjà mise en musique par Lully, et, en 1779, Iphigénie en Tauride (18 mai) et Écho et Narcisse (24 sept.). Après Alceste, deux clans s’étaient formés. L’un groupait les partisans de la vieille tragédie lyrique française, les gluckistes, l’autre les amateurs de l’opéra italien, avec à leur tête J. F. Laharpe et J. F. Marmontel, qui réussirent à faire venir N. Piccinni à Paris (31 déc. 1776) afin de ruiner la réputation de Gluck, d’où leur nom de piccinnistes. Marmontel avait adapté le Roland de Quinault et fit proposer son livret aux deux compositeurs. Gluck, prévenu à temps, refusa d’entrer en rivalité avec l’Italien. Une guerre d’épigrammes s’ensuivit. On reprocha au chevalier son orchestre « bruyant ou gémissant », ses voix « déchirantes ou terribles » et son harmonie « escarpée et raboteuse ». La querelle se situait en réalité sur le plan esthétique : opéra italien ou drame musical ? Dans ses œuvres parisiennes, Gluck faisait en effet figure de révolutionnaire. Sa volonté de transformer l’opéra se manifestait surtout dans sa manière de modeler les airs et les récits, à la fois déclamés et mélodiques, sur la langue française. Citons, parmi ses plus belles pages, la scène des « Ombres heureuses » de l’Orfeo, l’invocation d’Alceste aux puissances infernales : « Divinités du Styx », le cri passionné d’Armide : « Ah ! si la liberté me doit être ravie » et la véhémente ouverture d’Iphigénie en Tauride. Avant la représentation d’Écho et Narcisse, qui fut un échec, Gluck avait eu en juillet une attaque d’apoplexie. Hors de danger, mais fatigué, écœuré et quelque peu gallophobe, il rentra à Vienne. Il avait formé le projet de revenir à Paris pour y faire jouer les Danaïdes, opéra composé sous sa direction par Antonio Salieri, mais la représentation eut lieu sans lui (1784), avec son nom à l’affiche — il voulait lancer son disciple —, tandis qu’il achevait ses jours dans la campagne viennoise.