Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gibraltar (suite)

Ce promontoire porta d’abord le nom de Calpé, et des colonies phéniciennes et ibères s’installèrent dans la baie toute proche d’Algésiras. Au moment de l’invasion arabe, un chef berbère, Ṭāriq ibn Ziyād, qui franchit le détroit en 711 — le premier des Maures à passer en Espagne —, lui laissa son nom, la « montagne de Ṭāriq » (djabal al-Ṭāriq), qui deviendra Gibraltar.

Au cours des péripéties de la Reconquista, les Castillans réoccupèrent une première fois le site au début du xive s. (1309-1333), puis ils le recouvrèrent définitivement le 20 août 1462. Gibraltar allait, durant plusieurs siècles, partager le sort de l’Espagne.

En 1704, durant la guerre de la Succession d’Espagne, l’amiral anglais George Rooke, qui venait d’essuyer plusieurs échecs en Méditerranée et qui craignait de rentrer à Londres les mains vides, jeta son dévolu sur le promontoire. Un corps expéditionnaire composé d’Anglais et de Hollandais, sous le commandement du landgrave Georges de Hesse-Darmstadt, s’empara par surprise de Gibraltar. Par ses articles 10 et 11, le traité d’Utrecht (1713) en reconnaissait la possession à la Grande-Bretagne. Mais il grevait la souveraineté anglaise sur Gibraltar de deux clauses restrictives : l’interdiction de commercer par terre et le droit de préemption accordé à l’Espagne au cas où l’Angleterre abandonnerait sa possession.

Toutes les tentatives de l’Espagne pour reprendre le rocher à l’occasion des fluctuations de la situation politique au xviiie s. échouèrent. En 1721, si Philippe V ne put obtenir des Anglais la restitution de Gibraltar par la voie diplomatique, le roi George Ier accepta le principe d’une révision du traité de 1713. En 1727, les Espagnols assiégèrent la ville, mais sans succès, et le traité de Séville de 1729 confirma celui d’Utrecht.

Au moment de la guerre de l’Indépendance américaine, l’Espagne s’allia à la France contre l’Angleterre. En juin 1779, 15 000 Français et 25 000 Espagnols, sous le commandement de Crillon, assiégèrent Gibraltar par terre. La place fut secourue par l’amiral George Rodney en janvier 1780. En 1782, une escadre franco-espagnole l’investit par mer. Mais les alliés essuyèrent un échec complet, et, si l’Espagne récupéra Minorque, Gibraltar resta à l’Angleterre.

Au xixe s., la place devint l’une des bases principales de la puissance anglaise dans le monde, mais c’est surtout à partir de l’ouverture du canal de Suez en 1869 qu’elle connut sa plus grande prospérité. Raccourcissant considérablement la route des Indes, Suez fit de Gibraltar l’escale obligée et, partant, très fréquentée des relations entre la Grande-Bretagne et ses colonies d’Extrême-Orient, avec lesquelles elle entretenait un trafic intense.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, si Gibraltar resta le symbole de la puissance anglaise, la colonie fut vivement attaquée. Les Français la bombardèrent en représailles de l’agression anglaise contre les navires mouillés à Mers el-Kébir, puis ce fut le tour des Allemands, qui, en outre, y coulèrent de nombreux bateaux anglais. Au début de la guerre, Hitler, pour décider l’Espagne à s’engager à ses côtés, lui avait proposé son aide pour reprendre Gibraltar, mais Franco avait refusé d’entrer dans le conflit.

L’Espagne n’avait pas pour autant renoncé à faire valoir ses droits. Le gouvernement espagnol, à partir de 1954, a rouvert un dossier qui a envenimé les relations entre Anglais et Espagnols.

En 1964, l’O. N. U. a reconnu le bien-fondé des revendications espagnoles. Franco, se référant à l’article 10 du traité d’Utrecht, a entrepris à plusieurs reprises encore (en 1969 en particulier) un sévère blocus de la ville. En 1966, il avait proposé en vain au Royaume-Uni le maintien d’une base militaire et un statut particulier pour la population britannique en échange de la reconnaissance de la souveraineté espagnole sur le territoire.

Malgré ces pressions, la Grande-Bretagne a toujours refusé de rétrocéder Gibraltar. Le 10 septembre 1967, elle organisa même un référendum, dont l’O. N. U., d’ailleurs, n’admit pas le principe : la population gibraltarienne proclama sa volonté de rester unie à la Grande-Bretagne.

L’attachement de la Grande-Bretagne au rocher de Gibraltar tient plus à des raisons de prestige qu’à des motivations économiques ou stratégiques. Pour l’Espagne, Gibraltar demeure le symbole de son idéal nationaliste ; l’alignement des Espagnols en exil à l’étranger sur les thèses gouvernementales est significatif à cet égard.

P. P.

➙ Empire britannique / Grande-Bretagne.

 B. Larsonneur, Histoire de Gibraltar (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1955).

Gide (André)

Écrivain français (Paris 1869 - id. 1951).


Changeante et monotone, souple et pourtant d’une trame serrée, l’œuvre gidienne est difficile à saisir. Elle épouse toutes les postures, se coud, se découd, se retourne, de l’envers fait l’endroit. Point d’enchaînement, mais des ruptures et des reprises : au lecteur, semblable à Thésée s’aventurant dans le labyrinthe, de saisir le fil qui relie au passé, le fil caché d’une fidélité intérieure.

En Gide, les tendances les plus contradictoires s’affrontent : « Les extrêmes me touchent », avoue-t-il. Hédoniste et puritain, narcissique et ouvert aux autres, artiste et critique, sincère jusqu’à l’artifice, torturé et retors, ce prince de l’ambigu se querelle sans cesse avec lui-même, mais « ce sont querelles d’amoureux » (Thibaudet). Ne parlons pas même des contradictions extérieures qui l’amenèrent, riche bourgeois, à prêcher le dénuement, ou, non-conformiste en rupture de société, à recevoir le prix Nobel et à se laisser embaumer vivant...

Cette oscillation perpétuelle entre pôles contraires imprime à toute son œuvre un frémissement, non point crainte, mais tremblement, qui fera de lui un éveilleur de conscience, un « inquiéteur », dira-t-il ; un « malfaiteur », diront ses adversaires.