Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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géographie (suite)

La géographie ainsi conçue s’intéresse aux êtres régionaux, mais elle ne les voit pas comme des absolus, elle les considère comme des structures ou des faisceaux de relations, que le chercheur isole dans un réel fait de continuité. Le but ultime n’est pas de dresser l’inventaire d’unités qui existeraient de manière évidente à la surface de la Terre, mais bien de comprendre la manière dont les phénomènes s’inscrivent dans l’espace. La géographie cesse d’apparaître comme une discipline de synthèse : elle travaille à saisir la manière dont les forces physiques créent des configurations et des répartitions ; elle chemine avec l’économie spatiale, lorsque celle-ci établit les règles générales de la localisation, ou avec l’anthropologie politique, lorsque cette dernière mesure le poids de l’espace et de la distance sur l’efficacité de l’autorité. Elle se retrouve seule au moment où elle s’interroge sur la structure des circuits complexes, montre la manière dont ils s’ordonnent et arment les êtres régionaux, dont les contours varient en fonction des faits ainsi analysés.

La géographie moderne n’est plus obsédée par la question de son unité : avec le développement des connaissances, il devient de plus en plus difficile de dominer tous les aspects d’une discipline ; il n’y a plus de mathématiciens, de physiciens ou de biologistes qui soient universels. L’apparition de spécialités, leur épanouissement ne sont pas des signes de faiblesse, mais, bien au contraire, des preuves de fécondité et de dynamisme. Le chercheur essaie plutôt de s’initier à des disciplines voisines que de tout connaître dans son propre domaine : la découverte naît souvent de ces rapprochements ; pourquoi s’insurger alors si la spécialisation et la pratique pluridisciplinaire sont fréquentes en géographie ?

L’unité d’une discipline, c’est d’abord celle du point de vue qu’elle se donne du réel, et, à cet égard, la géographie est cohérente, puisqu’elle se préoccupe de souligner les articulations et de comprendre les configurations qui se développent dans l’espace. L’unité est confirmée par les résultats de la recherche lorsque les formes analysées s’expliquent dans tous les cas selon les mêmes principes. Ainsi, les règles de hiérarchisation qui permettent d’éclairer la structure régionale, celle des réseaux urbains et celle des réseaux hydrographiques sont logiquement équivalentes.


L’analyse géographique

La géographie qui est en train de se constituer sous nos yeux rompt avec certaines traditions fort anciennes : elle ne renonce pas à décrire le réel, mais pour elle le regard naïf de l’honnête homme ne suffit pas pour mettre en évidence l’ensemble des relations et des structures spatiales. Jusqu’à ces vingt dernières années, le géographe ne disposait que d’un arsenal réduit de moyens d’analyse : il s’intéressait à des phénomènes complexes et localisés, à des populations de points, de lignes ou de surfaces caractérisées par un grand nombre de traits. Il ne savait les aborder que sous l’angle de la description physionomique ou sous celui de la représentation cartographique. Il est possible de porter à leur place pour chacun des éléments de l’espace considéré les valeurs des caractères : il n’est malheureusement pas de moyens exacts qui permettent de les figurer simultanément sur le plan de la carte ; on n’y parvient qu’au prix de conventions qui rendent en partie subjective l’élaboration des documents thématiques. Leur lecture est facile, mais les résultats qu’on obtient de la sorte manquent de rigueur, car ils ne sont pas reproductibles : le même document donne lieu à des interprétations diverses lorsqu’il est confié à des observateurs différents...

On sait maintenant triompher de ces difficultés. On peut substituer à la carte une matrice dont les lignes correspondent aux lieux étudiés, et les colonnes aux caractères. La statistique moderne traite cette matrice et calcule les corrélations entre les éléments qui la composent. Elle permet de substituer à l’univers nombreux et peu homogène des variables observables un univers réduit à ses quelques dimensions essentielles : nous voilà renseignés sur la structure logique du phénomène et mis sur la voie de l’élaboration théorique. Ces opérations sont lourdes à mener : elles ne seraient pas possibles sans le secours de l’ordinateur ; celui-ci sert ensuite à vérifier la validité des hypothèses que l’on a émises. À la limite, il permet de faire de véritables expériences : il autorise la simulation, dont le rôle est important dans un domaine où on ne peut faire varier à son gré les phénomènes.

La géographie moderne comporte donc, à son point de départ, toute une série de démarches qui constituent l’analyse géographique. Les progrès ont été si rapides en cette matière qu’il n’existe guère de manuels qui permettent de faire le tour des moyens dont on dispose : il y a dix ans, on en était aux balbutiements, alors qu’aujourd’hui l’arsenal éprouvé à travers de multiples études est très riche.

Peu de gens ont pris conscience des nouvelles dimensions que cette révolution méthodologique est en train de donner à la géographie. Au sein des études pluridisciplinaires, on sent encore que, pour les naturalistes comme pour les spécialistes des sciences de l’homme, le géographe n’est qu’un touche-à-tout incapable de prendre part à l’élaboration des données et qui prétend piller les résultats d’autrui pour proposer une synthèse élaborée selon des méthodes approximatives. Lorsqu’on confronte ces chercheurs avec les méthodes modernes, lorsqu’on leur montre par des exemples ce qu’elles permettent d’obtenir en matière de compréhension des mécanismes spatiaux, leur optique change : la place qui est faite au géographe cesse d’être perpétuellement contestée.


Les branches de la géographie

L’analyse géographique permet de donner plus d’importance à la réflexion théorique en géographie : on se contentait généralement de schémas grossiers, faute de moyens pour tester des hypothèses fines. En géographie physique, la situation était relativement bonne, car les méthodes expérimentales sont utilisables ; en climatologie, en écologie, en géomorphologie, on dispose depuis déjà longtemps de schémas déductifs efficaces. En géographie humaine, la situation était très médiocre : on réduisait généralement l’homme à un mécanisme élémentaire. Les déterministes en faisaient un robot dont les actes dépendaient totalement des impulsions venues de l’environnement. Les possibilistes le voyaient également comme une machine, mais ils insistaient sur le rôle de l’habitude ou du conditionnement social pour expliquer ses réactions. Les conceptions de la société et de la manière dont elle se perpétue et s’organise dans l’espace étaient également grossières : elles n’allaient guère au-delà des modèles les plus primitifs proposés par les économistes, les anthropologues et les géographes.

La situation contemporaine est très différente : pour le montrer, il est nécessaire de passer en revue les différents chapitres de la discipline, d’analyser leurs résultats et d’indiquer comment ils se trouvent imbriqués dans un schéma général complexe.