Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

géographie (suite)

La vision écologique

La définition de la géographie qui a eu sans doute le plus de succès est celle qui donne la première place au principe écologique. Depuis Friedrich Ratzel (1844-1904), il est fréquent de voir écrit et professé que la discipline a pour tâche spécifique d’étudier les rapports de l’homme et du milieu. On évite de la sorte la concurrence des autres sciences : il n’en est pas d’autre qui se soit donné pour tâche l’étude de ce problème dans toute sa complexité ; l’écologie* au sens restreint du mot précise les rapports de complémentarité ou de concurrence entre les êtres. Elle s’intéresse aux hommes, mais ne cherche pas à voir comment la diversité des cultures, l’inégal développement des techniques viennent modifier les pyramides dans lesquelles ils s’insèrent.

Dans une première phase, celle que l’on qualifie de déterministe ou d’environnementaliste, cette géographie écologique a l’ambition de mettre en évidence des rapports nécessaires entre les forces naturelles et les faits de civilisation. Elle prend des positions irritantes par leur parti pris. Au bout d’une génération, la réaction vient, et le déterminisme sous sa forme extrême est déconsidéré. Le possibilisme, qui en constitue la critique, ne renonce cependant pas à certaines de ses hypothèses de base. Il cherche lui aussi à préciser les rapports entre le milieu et les groupes humains, mais ne croit pas à des relations univoques simples. Il n’a pas l’espoir d’arriver à des généralisations intéressantes à partir de quelques analyses de cas concrets. La complexité du réel est telle qu’on essaie de n’en rien laisser échapper en élaborant des monographies descriptives : peut-être un jour l’induction sera-t-elle possible à partir de leur comparaison ? En attendant, on se satisfait d’une description des unités régionales qui ressemble à s’y méprendre à celle que pratiquent les géographes qui se sont donné pour but d’étudier la différenciation territoriale de l’écorce terrestre.


Les points communs

Ainsi, les trois premières manières de concevoir la géographie moderne diffèrent plus par leurs positions épistémologiques que par leur contenu et le type des recherches qu’elles suscitent. La géographie conçue comme différenciation de la surface terrestre demeure une histoire naturelle à la manière du xviiie s. : elle cherche à décrire l’ordre qui règne dans le monde, mais ne se préoccupe pas au premier chef de préciser les raisons profondes des distributions. Le problème de l’unité de la discipline n’a pas de sens pour elle, puisqu’elle utilise les résultats obtenus par d’autres disciplines et les réinterprète du point de vue spatial. Peu importe que les géologues et les sociologues emploient des démarches hétérogènes, et que l’objet de leur recherche ne puisse être appréhendé avec les mêmes outils conceptuels : la synthèse régionale ne s’en trouve pas affectée.

La géographie conçue à la manière de Humboldt et de Ritter peut conduire à des analyses explicatives. Ce n’est pourtant pas une règle absolue chez ceux qui conçoivent ainsi l’enquête géographique. Ils se contentent (c’était le but de la science du xviiie s.) d’une mise en ordre des observations au sein de typologies ou de classifications.

Les deux autres façons de concevoir la discipline correspondent à des inquiétudes plus modernes : elles traduisent le souci de donner à la géographie une structure analogue à celle des autres sciences, elles témoignent également de l’inquiétude qui naît de ce que la géographie physique et la géographie humaine s’ignorent tous les jours un peu plus : ne va-t-on pas les voir se détacher de l’arbre commun de la géographie, comme cela a déjà été le cas, nous l’avons vu, pour la géodésie, pour la géophysique, pour la topographie et pour la cartographie ? En fait, l’étude des paysages ou celle des rapports entre la nature et l’homme ne constituent pas des domaines aussi clairement individualisés que ceux d’autres disciplines ; à concevoir ainsi la géographie, on crée plus de difficultés qu’on n’en résout ; faute de s’intéresser à ce qui rend les rapports nécessaires entre les divers ordres de répartition, on se trouve réduit à donner plus de place à la description qu’à l’interprétation et à l’explication.


La nouvelle géographie

Il existe depuis la Renaissance, depuis le xviiie s. surtout, une autre manière de concevoir la géographie. Elle est moins connue, car elle a d’abord été pratiquée par des économistes ou des statisticiens, et s’est développée en marge des courants principaux de la géographie ; elle ne les féconde que depuis une génération. Le but des recherches menées dans cette optique est d’expliquer la localisation des phénomènes et l’origine des configurations qu’ils dessinent. Dans le monde physique, les régularités sont depuis longtemps décrites et interprétées : on connaît les familles de formes qui portent l’empreinte de la structure, on montre comment elles se rangent par séries en fonction du stade atteint par l’érosion. Dans le domaine climatique, Wladimir Köppen établit que les zones climatiques s’ordonnent nécessairement selon un même plan sur les continents, car elles témoignent des courants planétaires de la circulation atmosphérique et des eaux océaniques. Dans le domaine des faits économiques et humains, Johann Heinrich von Thünen était arrivé à des résultats de portée aussi générale dès le début du siècle passé, et il avait eu de nombreux prédécesseurs. Mais on ne se rendit compte de la fécondité de son œuvre qu’un siècle plus tard.

La géographie moderne est de plus en plus semblable aux autres sciences : elle établit des lois plutôt qu’elle ne souligne la singularité de chaque situation ; il n’est d’ailleurs pas de singularité sans loi, pas de singularité aussi qui ne soit un défi à l’ordre intellectuel, ne suscite de nouvelles réflexions et ne puisse un jour être expliquée dans un schéma plus complet et plus fidèle aux contours du réel.