Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Genève (suite)

Bourgeois de naissance ou par achat de lettres de naturalité, ces marchands investissent une grande partie de leurs capitaux en terres, sur lesquelles ils développent les cultures maraîchères et la vigne. Malheureusement, la banlieue de Genève étant alors d’une superficie inférieure à celle de l’actuel canton, la ville dépend de l’étranger en matière céréalière à l’heure où sa population, qui a échappé aux conséquences démographiques de la Grande Peste, croît de 2 300 à 10 600 habitants entre 1356 et 1464. Aussi doit-elle assurer au xve s. la liberté des importations et limiter l’accaparement en ville, alors qu’au xvie, puis au xviie s. elle préfère se rapprocher des États vendeurs de céréales (cantons suisses), puis instituer en 1628 la Chambre des blés, chargée de veiller au maintien des stocks de grains.

En fait, l’économie genevoise est pénétrée dès le xiiie s. par des marchands étrangers, dont les éléments les plus dynamiques sont les Italiens. Accéléré, sinon suscité par la tenue des foires internationales, ce mouvement contribue à faire de Genève au xive et au xve s. une ville cosmopolite, où se rencontrent des marchands de toutes origines regroupés en nations : Milanais, importateurs de futaines, d’épices, d’armes et exportateurs de laine, de draps, de pelleteries, de métaux non ferreux ; Florentins, plus nettement orientés vers les spéculations financières sous l’impulsion des Pazzi, des Baroncelli et surtout des dirigeants de la filiale des Médicis (v. 1420-1465), en particulier du plus célèbre d’entre eux, Francesco Sassetti, qui, de 1448 à 1459, soutient le Conseil de ville de son crédit ; Génois, qui font transiter par Genève les draps de Flandre et d’Angleterre, les soieries italiennes et les épices du Levant, et qui établissent avec la ville un important trafic de change de place en place et de change en foire avec ricorsa ; rares Vénitiens, qui y trafiquent sur les changes ; Bourguignons et Français, beaucoup plus nombreux que les Italiens, mais qui y pratiquent un commerce de caractère surtout régional, Genève étant pour eux un marché d’approvisionnement en articles de consommation courante et de concentration de produits régionaux (draps de Toulouse et de Normandie) destinés à l’exportation ; Suisses de Fribourg et même de Berne, les premiers y écoulant leurs draps, les seconds y achetant des produits de luxe et de demi-luxe ; hauts Allemands, apparus en 1388 seulement à Genève, où ils relaient à la fin du xve s. les Italiens émigrés à Lyon et où ils écoulent les toiles de Constance, puis de Saint-Gall, les métaux et la quincaillerie d’Europe centrale sous l’impulsion de Nuremberg et de la Grosse Ravensburger Handelsgesellschaft ; Flamands et Brabançons, dont le nombre décroît avec le déclin de leur draperie ; Catalans et Espagnols, qui, à la fin du xve s. et au xvie s., disparaissent totalement de Genève, sans doute parce que les marchands de cette ville, à la suite de leurs collègues allemands, vont trafiquer personnellement en Espagne.

La prospérité de la ville, ébranlée dès 1450 par une récession alimentaire, et affectée par le déséquilibre des finances publiques, conséquence des prêts consentis de bon ou de mauvais gré aux ducs de Savoie, survit mal à celle de ses foires, victimes des privilèges accordés par Louis XI, le 20 octobre 1462, aux foires de Lyon, afin de priver Charles le Téméraire des possibilités de crédit qu’il trouvait antérieurement à Genève.

Menacés par ailleurs dans leur indépendance par les ducs de Savoie, qui soutiennent dans la ville le parti des Mamelucs contre celui des Eidgenots, attachés à la défense de leurs libertés politiques et religieuses, les conseils de bourgeois s’allient à Fribourg en 1519, puis à Berne en 1526. Cette dernière ville introduit alors le protestantisme à Genève et l’aide à repousser une offensive savoyarde en juillet 1536. Ayant chassé l’évêque en 1533, Guillaume Farel (1489-1565) fait alors appel à Jean Calvin*. Après un premier séjour de 1536 à 1538, celui-ci fait de Genève la « Rome du protestantisme », foyer de diffusion de sa foi vers la France et le reste de l’Europe. Il y stimule à partir de 1550 l’essor de l’imprimerie, première industrie urbaine timidement apparue dans la ville à la fin du xve s. En même temps, il impose à Genève un gouvernement théocratique. Comprenant six ministres et douze anciens désignés par les conseils, le Consistoire associe l’Église et l’État dans la surveillance intolérante des mœurs (exécution de Michel Servet en 1553), tandis que l’Académie, fondée en 1559, assure le rayonnement intellectuel et religieux de la ville. Résistant à une nouvelle offensive marquée par la guerre de 1589-1593 et par l’ultime tentative de l’Escalade (nuit du 11 au 12 déc. 1602 ancien style), Genève fait reconnaître son indépendance par le duc de Savoie au traité de Saint-Julien de 1603.

Au xviiie s., la ville accueille Voltaire aux Délices. Elle oriente son économie vers les spéculations financières (banque Malet) et industrielles (horlogerie), et elle évolue vers un régime oligarchique dominé par le patriciat des « négatifs ». Aussi doit-elle briser de nombreuses révoltes, dont celle de Pierre Fatio en 1707 et celles de Nicolas Chenaux en 1766-1768 et en 1782. Mais, alliés aux bourgeois, les « natifs » forment en 1781 un parti révolutionnaire qui oriente la ville vers la constitution d’un gouvernement de ce type le 5 décembre 1792. Rattachée à la France comme chef-lieu du département du Léman le 26 avril 1798, occupée le 31 décembre 1813 par les Autrichiens, Genève entre dans la Confédération helvétique le 12 septembre 1814 et obtient du congrès de Vienne, le 20 mars 1815, les territoires français et savoyards qui forment l’actuel canton. Dotée de constitutions de plus en plus démocratiques (1815, 1842 et 1847), gouvernée de 1846 à 1864 par le chef du parti radical James Fazy (1794-1878), la ville redevient alors une importante place internationale, siège du Comité international de la Croix-Rouge*, qui y est fondée en 1863 par le Genevois Henri Dunant, siège également de la S. D. N. (1920-1947), puis de nombreuses organisations annexes de l’O. N. U. D’importantes conférences internationales s’y réunissent : la plus célèbre met fin à la guerre franco-vietnamienne d’Indochine (26 avr.-21 juill. 1954).

P. T.