Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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franc-maçonnerie (suite)

Sous l’influence des idées politiques libérales, au triomphe desquelles les francs-maçons ont apporté de tous temps une contribution essentielle, le « convent » du Grand Orient, supprime en 1877 l’obligation de la croyance en Dieu, qui jusqu’alors figure dans sa Constitution, ainsi que l’invocation au « Grand Architecte de l’Univers ». Cette modification a pour effet la rupture avec la Grande Loge unie d’Angleterre et les principales obédiences anglo-saxonnes.

Ainsi apparaissent deux grandes tendances qui, malgré la communauté initiatique de leurs rites traditionnels, demeurent divergentes et dont les controverses et les polémiques n’ont pas cessé depuis la fin du xixe s. jusqu’en 1964, année qui marque la division interne de la Grande Loge de France elle-même. La première de ces tendances, celle du Grand Orient, peut être nommée « humaniste » et « progressiste » par rapport à la seconde, celle de la Grande Loge nationale de France, dont le caractère traditionnel « conservateur » correspond à la « régularité » que lui reconnaît, à l’exclusion des autres obédiences françaises, la Grande Loge d’Angleterre. Il importe de préciser que cette tendance « conservatrice » est purement maçonnique et qu’elle n’implique aucun choix politique imposé aux membres de cette obédience.

La disproportion entre les effectifs de la maçonnerie « moderniste » et « progressiste » française et ceux de la maçonnerie anglo-saxonne est considérable. Les uns ne dépassent pas quelques dizaines de milliers de membres ; les autres comptent en Angleterre et en Amérique plus de cinq millions d’initiés. Ces rapports quantitatifs, cependant, s’ils sont impressionnants, ne sont pas les seuls qui doivent être pris en considération. C’est un fait que la franc-maçonnerie, dans les temps modernes, se trouve dans l’obligation de s’adapter à leurs nouveaux problèmes, économiques, politiques, scientifiques et sociaux. Ce n’est certainement pas sans de profondes réformes intérieures de Constitutions héritées du xviiie s. qu’elle atteindra ce but fondamental et urgent, dans les conditions actuelles de la civilisation. Aussi ne doit-on pas négliger à tort les problèmes posés par les obédiences maçonniques françaises, qui ont eu au moins le mérite d’en faire apparaître la gravité philosophique et la nouveauté historique.


La maçonnerie contemporaine dans le monde

• La Grande Loge unie d’Angleterre groupe autour d’elle et contrôle, soit directement, soit indirectement, sept mille loges en Grande-Bretagne, six cents loges au Canada, quatre cents en Nouvelle-Zélande et deux cents en Inde. Les chiffres cités par les auteurs au sujet de ces effectifs varient sensiblement, mais ils sont de l’ordre d’au moins cinq millions si l’on compte les ramifications américaines des « hauts grades ».

• La maçonnerie anglo-saxonne, aux États-Unis comme en Angleterre, n’a rien d’une société secrète ; c’est en quelque sorte à la fois un club et une institution, dont les membres ne se cachent point, tenant à honneur, au contraire, de proclamer ouvertement leur appartenance maçonnique et mentionnant publiquement leurs grades et leurs fonctions.

Il n’existe pas aux États-Unis de puissance maçonnique unique, mais deux Suprêmes Conseils exercent leur juridiction sur le nord et sur le sud du territoire américain. L’obédience de Prince Hall est réservée aux seuls francs-maçons noirs, et les préjugés raciaux ne sont pas absents de mainte loge américaine. Cependant, depuis plusieurs années, cette tendance est vigoureusement combattue et contestée par la maçonnerie « libérale », qui existe aussi aux États-Unis. Malgré la diversité des rites et la complication de la hiérarchie des hauts grades ainsi que leurs liaisons avec de nombreuses associations « paramaçonniques », la croyance religieuse reste constante et obligatoire, de même que la tendance moralisante et spiritualiste qui accompagne un idéal démocratique volontiers mystique dont le prototype demeure l’american way of life, considérée comme la meilleure formule possible dans le meilleur des mondes imaginables.

• En Europe, la franc-maçonnerie a subi les conséquences de sa persécution dans les pays totalitaires et de son interdiction dans toutes les démocraties socialistes à l’exception de Cuba.
— En Allemagne, l’ordre maçonnique, reconstitué après la chute du nazisme et regroupé en « Grandes Loges Unies d’Allemagne » par une convention appelée Magna charta, au reste très discutée, compte environ quatre cents loges et trente mille maçons, chiffre bien inférieur à ses effectifs du xixe s., où l’influence de la maçonnerie était considérable.
— En Italie, la maçonnerie est encore beaucoup plus divisée qu’en France et, semble-t-il, pour des causes analogues, auxquelles s’ajoutent les conséquences du fascisme et des problèmes régionaux.
— En Suisse, la principale obédience est la Grande Loge suisse Alpina, fort proche de la maçonnerie anglo-saxonne.
— En Belgique, le Grand Orient, principale obédience de ce pays, est de tendance libérale et entretient des liens étroits avec le Grand Orient de France.
— Aux Pays-Bas, les loges, groupées autour du Grand Orient, poursuivent principalement un idéal de paix internationale et s’efforcent de maintenir des relations cordiales avec les organisations maçonniques de tous les pays.

• En Amérique latine, l’influence de la maçonnerie nord-américaine a été longtemps prépondérante et elle demeure encore considérable, mais un courant « libéral » commence de s’y opposer en certains pays. La structure politique fédérale aboutit à une multiplication des obédiences maçonniques (pas moins de cinq pour la seule Colombie). En 1814, Simón Bolívar et d’autres francs-maçons de Cadix fondèrent à Buenos Aires la Loge Lautaro, qui exerça une influence décisive sur les destinées de toute l’Amérique du Sud. Ses membres, en effet, furent les instigateurs du mouvement républicain et de la proclamation d’indépendance des États du Sud, entre 1810 et 1826.

• En Afrique, le Grand Orient de France et la Grande Loge de France ont constitué des loges dans les pays francophones et en Égypte.