Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

franc-maçonnerie (suite)

Comme en Angleterre, l’aristocratie joue alors un rôle important dans l’histoire de la maçonnerie. En 1738, l’arrière-petit-fils de Mme de Montespan, le duc d’Antin, est élevé à la dignité de grand maître de la maçonnerie française. Son successeur, de 1743 à 1771, est le prince Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont. En juin 1773 est créé à Paris, mais avec une participation importante de députés des loges de province, le Grand Orient de France, qui devient le centre principal de l’activité maçonnique et dont le premier grand maître est le plus riche des seigneurs du royaume, Philippe d’Orléans, duc de Chartres, et le premier administrateur général, Anne de Montmorency-Luxembourg, duc de Châtillon, pair de France.

L’appel adressé ainsi à la haute aristocratie par le choix du Grand Orient relève le prestige de l’ordre, et il est entendu avec enthousiasme par la noblesse française, qu’imitent les autres classes sociales. Les dames, elles-mêmes, tiennent à honneur d’être reçues maçonnes en des loges dites « d’adoption », acceptées officiellement en 1774. Mme la duchesse de Bourbon est grande maîtresse en 1775, et la princesse de Lamballe lui succède en 1780. En 1789, le Grand Orient contrôle 60 loges à Paris, 448 en province, 40 dans les colonies, 19 à l’étranger, 68 dans l’armée royale. La maçonnerie française compte alors soixante-dix mille membres, nombre qui, par rapport à celui de la population instruite de cette époque, est considérable et de beaucoup supérieur à celui des maçons en France aujourd’hui. « Tout le monde en est ! », déclare Marie-Antoinette, à Versailles. On trouve, en effet, dans la franc-maçonnerie, les plus grands noms de la noblesse, les Rohan, les La Rochefoucauld, la plupart des Noailles, les Polignac, les Ségur et presque tout le corps diplomatique attaché à la Cour de France. Dans les divers pays où elle s’étend, la franc-maçonnerie est marquée par des tendances différentes, religieuse en Angleterre, libérale et souvent sceptique en France, mystique et ésotérique en Allemagne et en Autriche. Son idéal démocratique n’est ni constant ni universel, et certaines de ses loges en Allemagne et aux États-Unis observent jusqu’à notre époque la ségrégation raciale. Ces variations sont inévitables dans la mesure où le principe traditionnel du « maçon libre dans la loge libre » impose à l’ordre maçonnique la nécessité de respecter toutes les croyances et la liberté des opinions, en fonction de la tolérance universelle qu’il a toujours défendue contre le dogmatisme et le sectarisme.


L’initiation maçonnique

Les rites initiatiques ont été connus et pratiqués par l’homme depuis les temps préhistoriques, et l’on en a retrouvé des traces incontestables dès le Paléolithique. La permanence et l’universalité de leurs structures ont été constatées par les ethnologues et par les historiens des religions à toutes les époques et dans les sociétés les plus diverses. Il est donc impossible d’en connaître l’origine exacte, et il est chimérique de prétendre en retracer l’évolution, car, précisément, leur caractère le plus évident demeure l’extraordinaire constance de leurs formes fondamentales, qui semblent étrangères au temps. Seules, leurs adaptations changent selon les époques, les milieux et les traditions, mais non pas leur contenu archaïque ni leur langage, qui est toujours celui des mythes et des symboles, la langue profonde et subtile de l’analogie et de ce que les psychologues modernes ont nommé images archétypales ou archétypes de l’inconscient. Aussi peut-on admettre que l’initiation, à la différence de l’éducation, ne s’adresse pas aux facultés rationnelles de l’individu, mais aux racines lointaines de son être vivant, qu’il peut ainsi entrevoir et reconnaître dans leur plénitude ordinairement cachée. Cette expérience directe et intime, par sa nature et son origine, ouvre ainsi à l’homme une approche nouvelle de la connaissance de lui-même et de ses pouvoirs. Elle semble avoir été utilisée, de toute antiquité, pour « mettre en condition » des hommes exposés par leurs fonctions ou par leurs métiers à de grands dangers ou à de rudes travaux, des chasseurs, des guerriers, des artisans, qu’elle aidait à triompher de leur peur, de leurs doutes et des obstacles divers qui s’opposaient à leurs tâches. Elle ne paraît pas, non plus, avoir été séparée d’une éducation théorique et pratique ultérieure de type normal, au cours de laquelle les initiés recevaient des explications, des instructions et des conseils.

Il est probable que les confréries antiques d’architectes et de maçons, de même que les associations médiévales, donnaient aux néophytes, sous le sceau du secret, à la fois une initiation de type magico-religieux et un enseignement technique, principalement fondé sur la connaissance des nombres, dont l’arithmologie mystique était essentiellement d’origine pythagoricienne.

On doit aux Bénédictins, aux xie et xiie s., ainsi qu’aux relations savantes qui s’établirent alors entre l’Europe et le Proche-Orient, une véritable résurrection des « lumières initiatiques » en Occident après la longue éclipse qui avait suivi les invasions barbares et la ruine de l’Empire romain. L’édification des cathédrales, entreprise à cette époque, témoigne avec assez d’évidence du retour en Occident de la « haute science » des anciens constructeurs. Dès lors, l’association de l’œuvre initiatique des bâtisseurs à l’action morale et religieuse du sacerdoce chrétien apparaît aussi clairement qu’aux temps lointains des civilisations égyptienne et chaldéenne.

À l’époque médiévale, les loges sont simplement les lieux de réunion établis à proximité des chantiers. Aussi ne sont-elles jamais fixées de façon permanente. Avant leur terme, on y trace, à même le sol, les signes et les symboles des assemblées, après lesquelles on les efface. De même, les travaux terminés, la loge est dissoute et les frères se séparent.

Aussi, la première transformation et, peut-être, la plus considérable de l’initiation maçonnique se produit-elle au xive s. en Angleterre, quand est maintenue en activité une loge constituée et quand on décide de conserver durablement ses rites, ses symboles, sa philosophie du travail et de la fraternité.