Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

franc-maçonnerie

Association, en partie secrète, de personnes qui professent des principes de fraternité, se reconnaissent entre elles à des signes et à des symboles et se réunissent en groupes appelés loges.



Historique

La franc-maçonnerie a été organisée institutionnellement au xviiie s. par des Constitutions dont on connaît le texte et les auteurs. La Grande Loge de Londres, créée le 24 juin 1717, jour de la Saint-Jean d’été, par quatre loges londoniennes convoquées en assemblée extraordinaire, s’était donné à elle-même les pouvoirs d’unifier l’ensemble de la maçonnerie, et elle avait délégué à ses grands maîtres une autorité présidentielle. En fait, les deux premières années de cette nouvelle organisation furent obscures et difficiles. C’est à la maîtrise et à l’influence d’un petit nombre d’initiés, parmi lesquels il faut citer surtout le fils d’un huguenot français le pasteur Jean Théophile Desaguliers (1683-1744), que la Grande Loge de Londres doit d’avoir fait admettre, grâce au Livre des Constitutions, une suprématie longtemps contestée. Cet ouvrage fondamental, dont James Anderson (1679-1739) est seulement le compilateur et le signataire, mais dont l’un des principaux auteurs semble Desaguliers, est intitulé les Constitutions des francs-maçons, contenant l’histoire, les devoirs, les règles de cette très ancienne et très vénérable Fraternité. Sa première publication date de 1723, et il sera la base de l’unification doctrinale de la maçonnerie anglaise, qui, d’autre part, s’oppose alors à l’autorité de la Grande Loge de Londres.

Ainsi, la Grande Loge d’Irlande, fondée en 1725, refuse de reconnaître celle-ci, mais elle accepte le texte des Constitutions. La Grande Loge d’Écosse, organisée en 1736, adopte une semblable attitude. Même la Grande Loge d’York, dont les vénérables chartes proclament l’antériorité et qui prend alors le titre de Grande Loge de toute l’Angleterre, utilise elle aussi le texte d’Anderson et de Desaguliers, consacrant ainsi l’avènement de la franc-maçonnerie bleue, de la couleur adoptée pour leurs décors par les maçons et dont le nom est souvent donné à leur organisation ainsi qu’aux trois premiers degrés des loges corporatives dites « symboliques », ou « de Saint-Jean ».

Un autre fait historique, non moins incontestable que celui de l’origine institutionnelle de la franc-maçonnerie, est celui du rôle de l’Angleterre dans la diffusion et la propagation de l’idéal maçonnique. Partout où s’étend, au xviiie s., l’influence britannique, la franc-maçonnerie apparaît et s’organise. Dès 1721, une loge est créée en Belgique, à Mons, et, en 1722, à Gand. En 1728, Philippe, duc de Wharton (1698-1731), fonde en Espagne une loge dépendant de Londres, et, en 1729, deux loges « bleues » sont établies à Gibraltar et au Bengale. En France, des Anglais introduisent la maçonnerie en 1725-26. Sir Charles Sackville fonde une loge à Florence en 1733, et, la même année, une loge à Boston fait connaître la franc-maçonnerie en Amérique. En 1735, elle pénètre au Portugal. En 1736-37, elle s’établit en Allemagne, à Hambourg et à Mannheim, ainsi qu’en Suisse, à Genève en 1738, en Pologne et, en 1743, à Copenhague. En moins d’un quart de siècle, on assiste à des progrès dont la rapidité relative et le retentissement européen ont frappé tous les historiens.

C’est aussi l’époque des guerres victorieuses de l’Angleterre, de l’expansion de son commerce et de son industrie, de son développement colonial et de son extraordinaire prospérité, du moins dans les classes aisées de la nation. Entre 1720 et 1750, environ, les grands maîtres de la maçonnerie anglaise appartiennent à la haute aristocratie du royaume, et beaucoup sont des militaires. Il s’agit donc d’une institution spécifiquement britannique, que favorise alors l’« anglomanie » européenne. De plus, elle offre à des roturiers, à des artisans, à des bourgeois et même à des ecclésiastiques la possibilité alors nouvelle de fraterniser avec de nobles initiés dans le même idéal humanitaire.

Ce serait cependant une erreur, qu’ont commise certains historiens, d’attribuer à la maçonnerie anglaise de profondes visées politiques et un contrôle rigoureux de la maçonnerie continentale au xviiie s. La Grande Loge de Londres délivre sans examen des patentes de Constitutions aux loges du continent qui sollicitent son patronage et des diplômes de grand maître provincial aux frères étrangers qui postulent ce titre, mais elle attache si peu d’importance à ces investitures, accordées au hasard, qu’elle n’envoie pas d’instructions à leurs bénéficiaires, n’exige d’eux ni engagements précis ni correspondance régulière et témoigne constamment de beaucoup d’indifférence pour les destinées de la maçonnerie continentale.

D’ailleurs, le Livre des Constitutions, qui est la base de la maçonnerie pendant tout le siècle, n’a rien d’un manifeste mûri et calculé par une élite de réformateurs. La thèse d’une franc-maçonnerie préparant dans l’ombre l’avènement d’un nouvel état social n’est qu’une légende complètement ruinée par les spécialistes les plus compétents. En fait, deux causes principales expliquent la croissance et la vitalité de l’idéal maçonnique : d’une part le culte de la fraternité, d’autre part l’attrait du mystère de ses initiations, car ces deux aspects exercent une profonde fascination sur l’esprit du xviiie s., qui ne fut pas seulement le siècle des « lumières », mais aussi celui des illuminés, des cabalistes, des hermétistes et des thaumaturges.

Le succès de l’idéal maçonnique en Europe ne pouvait manquer de susciter la réaction de l’Église romaine. Le 4 mai 1738, le pape Clément XII interdit sous peine d’excommunication aux fidèles et aux prêtres d’appartenir à la maçonnerie, et, en 1751, Benoît XIV confirme les condamnations de son prédécesseur. Cependant, si l’Espagne et le Portugal sévissent aussitôt et avec rigueur contre les francs-maçons, l’Église catholique de France, dont les traditions d’indépendance gallicane ne sont pas encore oubliées, et le Parlement de Paris affectent ostensiblement d’ignorer les instructions pontificales, et la bulle n’est ni promulguée ni enregistrée dans le royaume.

Dans ces conditions, beaucoup de fidèles et de membres du clergé sont initiés à la franc-maçonnerie. En 1789, ces derniers dirigent 27 loges en France, qui comptent parmi leurs membres de hauts dignitaires de l’Église.