Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Franck (César) (suite)

C’est, semble-t-il, pour faire plaisir à son épouse et à ses beaux-parents qu’il s’est essayé plusieurs fois dans la musique dramatique. Il est incontestable qu’il n’avait dans ce domaine ni le génie de Gounod, ni celui de Bizet, encore moins le métier de Saint-Saëns. En 1851, il entreprend la partition lyrique le Valet de ferme ; Hulda le retiendra plusieurs années ; enfin, il termine en 1889 un nouvel opéra, Ghiselle, mais ces ouvrages n’ont pu faire carrière. En revanche, il saura donner des preuves d’une technique sûre en abordant le terrain de l’oratorio dès sa jeunesse. C’est ainsi qu’il met en musique sous le titre de Ruth (1844-1846) une églogue biblique pour solos, chœurs et orchestre. Après avoir écrit une messe à trois voix visiblement destinée à la maîtrise de Sainte-Clotilde, il met en musique, comme Mozart, des offertoires sous forme de motets (Dextera Domini, Quae est ista, Domine non secundum...) ; il entreprend tout de suite après la guerre de 1871, sous le titre de Rédemption, un poème symphonique pour mezzo soprano, chœurs et orchestre ; enfin, il met en chantier sa plus volumineuse partition, les Béatitudes (1869-1879), à laquelle il travaillera pendant plus de dix années sur le livret de Mme Colomb. Il sait opposer ici aux chœurs descriptifs et qu’il voudrait terribles, cruels ou miséricordieux pour certains, la voix de basse apaisante du Christ qui récite les paroles du Sermon sur la montagne. Son dernier oratorio porte le nom de Rebecca (1880-81), scène biblique pour solos, chœurs et orchestre.

À l’heure où la symphonie attire l’attention de plusieurs compositeurs français après Berlioz (Gounod, Bizet, Gouvy, Saint-Saëns), César Franck se laisse tenter par l’orchestre. C’est ainsi qu’en 1847 il paraphrase le grand poème de Victor Hugo Ce qu’on entend sur la montagne, puis, dans le sillage de Liszt, qui l’a visiblement ébloui, il donnera coup sur coup les poèmes symphoniques suivants : les Eolides, d’après le poème de Leconte de Lisle ; le Chasseur maudit, d’après la ballade de Bürger ; les Djinns (avec piano), d’après Victor Hugo ; enfin Psyché (avec chœurs), d’après Sicard et de Fourcaud. Toutes ces œuvres ont été pensées en une douzaine d’années (1876-1888), mais, dès 1885, Franck s’était essayé dans un genre qui voisinait la forme du concerto. Dans ses Variations symphoniques, le piano, parlant très rarement seul, vient se fondre avec l’orchestre, dialogue avec lui, lui oppose ses plans, évitant les cadences de soliste. Il n’y a là qu’un seul mouvement, et deux thèmes pourvoient à son éclosion. La première partie étale avec complaisance quatre épisodes qui s’enlèvent au centre d’une série d’arpèges, se souvenant de Chopin. La seconde partie est entièrement écrite sur un deuxième sujet, manière de choral groupant également quatre épisodes, et c’est ce choral — alla Bach — qui engendre plusieurs variations emportées par un souffle beethovénien. Un trille ouvre le final sur le mode majeur : c’est l’annonce d’un grand et allègre carillon en deux parties coupées par une cadence schumannienne. L’effort orchestral de Franck trouve son aboutissement dans la Symphonie en « ré » mineur (1886-1888) : on peut, certes, déplorer la lourdeur de son instrumentation, la longueur de son premier mouvement avec son double exorde, mais on ne peut oublier la qualité du thème de la page centrale, ni la flamme qui anime le final. Citons également dans ce dernier mouvement un esprit cyclique qui autorise Franck à ramener pour quelques instants les principaux thèmes de sa symphonie avant de conclure.

Si nous passons à la musique de chambre, nous trouvons, outre les trios déjà cités, œuvres de jeunesse qui attiraient l’attention de Liszt, ainsi que nous l’avons dit, le quintette pour piano et cordes (1879), la sonate pour piano et violon (1886), enfin un quatuor à cordes (1889). Le quintette qu’il entreprend après les Béatitudes correspond-il à une crise sentimentale ou religieuse ? Faut-il y voir le message d’un artiste incompris qui se réfugie dans une musique tourmentée et qui cherche la lumière ? On en peut discuter. Toujours est-il que ces feuillets gonflés de passion évoquent des chevauchées angoissantes, se complaisent dans des recherches harmoniques d’une grande audace et obéissent en définitive à un grand thème cyclique qui finira par cimenter toutes ces recherches. Une semblable inquiétude parcourt toute la sonate pour piano et violon, qui exploite une véritable cellule originelle faite d’une tierce majeure ou mineure. Il y a bien des nouveautés dans cette partition célèbre, dont on retiendra l’ouverture, un allegretto ben moderato écrit sur deux thèmes, un allego dramatique à plusieurs idées, un recitativo fantasia qui oppose aux quatre questions angoissantes posées par le violon un piano répondant avec calme et dignité ; le tout aboutit à une coda dans laquelle le violon chante sur de tendres arpèges pianistiques. Le rondeau final, également conçu dans un esprit cyclique, obéit à la forme du da capo. Quant au quatuor à cordes, il exploite un certain nombre de thèmes qui réapparaissent dans le final, non sans avoir opposé dans un premier mouvement une mélodie mêlée de tendresse à un fugato ; entre ces deux tempos, Franck avait inséré un scherzo d’esprit mendelssohnien et un larghetto tour à tour suave et désespéré.

La musique de piano comprend toute une série de pièces de jeunesse écrites entre 1842 et 1845. C’est l’heure où le tout jeune César est obligé de gagner sa vie en confiant à des éditeurs parisiens des variations bien fades sur Gulistān ou sur deux Airs polonais. Après les Plaintes d’une poupée (1865), qui ont ouvert à la musique nombre de jeunes amateurs à la fin du xixe s., l’organiste, à la fin de sa vie, semble délaisser pour un temps son instrument de prédilection pour cultiver de nouveau un piano dont Schumann et Liszt lui ont révélé bien des aspects inédits pour lui. On a dit qu’il avait fait appel à un piano pour les Djinns et l’on a rappelé plus haut la place que tenait le piano dans les Variations symphoniques dans les années 1884-85. C’est le moment où Franck entreprend ses deux grands triptyques : Prélude, choral et fugue et Prélude, aria et finale. Ces titres mêmes disent ce qu’il emprunte à Bach. À cette influence viennent se superposer pour le lyrisme et la virtuosité celles de Schumann et de Liszt. Le prélude peut être construit sur un ou deux thèmes ; le choral sert d’andante à ces vastes « sonates » et comporte toujours plusieurs épisodes, chacun d’eux faisant l’objet de plusieurs expositions. Dans le premier triptyque, César Franck tente, après l’exploitation d’un sujet de fugue, de superposer à celui-ci la rythmique du prélude et les différents épisodes du choral, dont les premières notes chantent comme des cloches. Le finale du second triptyque est également traité de manière cyclique, puisqu’il vient à mêler au grand thème tourmenté du début certains éléments tirés de l’aria jusqu’à la grande péroraison qui aboutit à la réexposition du thème du prélude, harmonisé cette fois comme un choral. Ce sont là deux sommets de la littérature pianistique française.