Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Franche-Comté (suite)

En revanche, l’architecture civile, qui s’ébauchait au xve s. (maison du cardinal Jouffroy à Luxeuil), adopte très vite au xvie un italianisme classique, lui aussi, plutôt sévère. En dehors de Besançon* (palais Granvelle, etc.), plusieurs villes comtoises, Dole, Luxeuil, Montbéliard et surtout Gray (avec l’hôtel de ville de l’architecte Pierre Arnoux), offrent de bons exemples de cette Renaissance comtoise, qui ne pénètre qu’exceptionnellement dans les églises (bel ensemble du sculpteur Claude Arnoux, dit Lulier, de Gray, à la chapelle d’Andelot dans l’église de Pesmes).

Le xviie s. est dans une large mesure, en Franche-Comté comme en Lorraine, l’ère des calamités. C’est seulement la réunion définitive à la France qui ouvre une ère de reconstruction, et l’on peut considérer le xviiie s. comme un second âge d’or. Sans négliger l’importance et souvent la beauté des ouvrages d’architecture militaire destinés à la défense de la nouvelle province (citadelle de Besançon, fort de Joux près de Pontarlier), on doit insister sur une double activité : reconstruction des églises et développement de l’urbanisme.

Les trois quarts des églises comtoises actuelles appartiennent à la période qui s’étend de la fin du xviie s. au début du xixe. Le baroque y succède presque sans transition au gothique, et la série des églises de Besançon permet de suivre son évolution jusqu’au néo-classicisme Louis XVI. On relève quelques notes caractéristiques : fréquence des églises à trois nefs égales, du type des Hallenkirchen allemandes (Mouthe) et des façades entre deux tours (Saint-Christophe de Belfort) ou à clocher-porche élancé (Saint-Georges de Vesoul) ; vogue d’une sorte de dôme polygonal, parfois bulbeux, coiffant les clochers carrés ; enfin et surtout qualité exceptionnelle des décors intérieurs de bois, dus à des ateliers locaux comme celui des Rosset à Saint-Claude et s’échelonnant du rococo du milieu du siècle (Champagnole) au néo-classique de la Restauration (Fort-du-Plasne).

Une grande partie de ces églises appartiennent au haut Jura, à des localités périodiquement détruites par l’incendie, et qui furent restaurées et urbanisées au cours du xviiie s. Le cas le plus spectaculaire est celui de Pontarlier, avec sa Grande-Rue dotée d’un arc de triomphe en l’honneur de Louis XV. Mais, dans toute la Comté — sans parler bien sûr de Besançon —, des villes principales (Lons, Poligny, Baume-les-Dames) et des bourgades anciennes (Moirans, Arinthod, etc.) prennent à cette époque un style homogène. Rues larges, parfois sinueuses, bordées souvent de maisons à arcades (Lons) et à hautes toitures de tuiles brunes : ensembles harmonieux que rehaussent en général des édifices publics, fontaines, hôtels de ville (Salins, Montbéliard, etc.), hôpitaux souvent précédés de grilles monumentales (Besançon, Lons), salines et établissements thermaux (Luxeuil). Une curieuse tentative d’urbanisme fut, d’autre part, celle de la « ville des salines » en forêt de Chaux (aujourd’hui Arc-et-Senans), conçue par l’architecte Ledoux (v. visionnaires [architectes]) : leur récente restauration permet d’apprécier toute la majesté des quelques bâtiments dont la construction fut menée à bien.

Au xixe s., la Comté devait inspirer l’un des plus grands peintres français : le sévère paysage des côtes qui dominent Ornans et la vallée de la Loue sert de fond au chef-d’œuvre de Courbet*, cet Enterrement (Louvre) où revit, avec une grandeur triste, toute la société d’une bourgade provinciale de la Comté en 1850.

P. G.

➙ Belfort (Territoire de) / Belfort-Montbéliard / Besançon / Bourgogne / Doubs / Jura / Saône (Haute-).

 A. Rousset, Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de Franche-Comté (Besançon, 1853 ; réimpr. libr. Guénégaud, 1969). / L. Febvre, Philippe II et la Franche-Comté (Champion, 1911 ; nouv. éd., Flammarion, 1970) ; Histoire de la Franche-Comté (Boivin, 1912). / L. Renard, la Franche-Comté : histoire et civilisation (Impr. Jacques, Besançon, 1943). / L. Cornillot, M. Piquard, G. Duhem et G. Gazier, Visages de la Franche-Comté (Horizons de France, 1945). / M. Chevalier, Tableau industriel de la Franche-Comté, 1960-1961 (Les Belles Lettres, 1962). / R. Tournier, les Églises comtoises et leur architecture (Picard, 1954) ; l’Architecture de la Renaissance et la formation du classicisme en Franche-Comté (Les Belles Lettres, 1964). / M. Grosperrin, l’Influence française et le sentiment national français en Franche-Comté, de la conquête à la Révolution (Les Belles Lettres, 1967). / L. Lerat, J. Brelot et R. Martin, Histoire de la Franche-Comté (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1969). / Colonel Rémy, Histoires de Franche-Comté (Perrin, 1969). — On peut également consulter les revues Économie et réalités franc-comtoises et Présence de la Franche-Comté.

Franchet d’Esperey (Louis Félix)

Maréchal de France (Mostaganem 1856 - château d’Amancet, Tarn, 1942).


« Sans frein ! » telle sera la devise de ce chef de guerre qui laisse le souvenir d’un tempérament ardent à l’humeur expansive et joyeuse, aussi étranger à l’intrigue que capable de s’emporter devant ce qu’il considérait comme de la bêtise ou de la paresse d’esprit.

Fils d’un officier de chasseurs d’Afrique, il est, en 1870, le témoin indigné de l’occupation allemande en Normandie. Sorti de Saint-Cyr en 1876, il est affecté au 1er régiment de tirailleurs algériens à Blida.

Quand éclate la guerre de 1914, cet homme de réflexion, dont les lectures ont été innombrables, a à son actif d’avoir fait campagne en Tunisie (1881), d’avoir combattu sous Brière de l’Isle au Tonkin (1884), d’avoir participé en 1900 à l’expédition de Chine (il commanda la zone française de Pékin), d’avoir servi sous Lyautey* au Maroc, où il a mené en 1912-13 des opérations victorieuses dans les régions d’Oued-Zem, de Mogador et du Tadla. Commandant en 1914 le 1er corps à Lille, il donne encore l’exemple d’une exceptionnelle résistance à la fatigue et garde des dix-neuf ans qu’il a passés dans la troupe la marque d’une extrême exigence vis-à-vis de ses subordonnés, nuancée par le souci de leur épargner tout effort inutile. Ses riches possibilités trouvent l’occasion de s’exprimer les 21 et 22 août 1914 à Charleroi, où le 1er corps doit exécuter devant l’ennemi de difficiles conversions, qu’il réussit remarquablement. Une semaine plus tard, c’est à lui que revient le succès de Guise, où ses initiatives apportent une solution victorieuse aux imprévus de cette bataille improvisée. Aussi, le 3 septembre, Joffre*, lui demandant à brûle-pourpoint : « Vous sentez-vous capable de commander une armée ? », s’attire-t-il cette réponse : « Tout comme un autre, mon général. » Ainsi est réglé le remplacement du général Lanrezac à la tête de la Ve armée, dont l’action, jointe à celle des Anglais de French, est déterminante dans la victoire de la Marne* : le 13 septembre, d’Esperey entre à Reims. Au cours de la phase de stabilisation qui va suivre, il commande les groupes d’armées de l’Est (1916), puis du Nord (1917) et accepte courageusement la mort au combat de son fils Louis, tombé devant Vaux le 25 octobre 1916, et celle de son frère François, tué à Hardaumont en décembre de la même année. La responsabilité qu’il assume comme commandant du groupe d’armées du Centre de la percée allemande du 27 mai 1918 sur l’Aisne conduit Clemenceau*, « pour calmer le Parlement », à lui confier le commandement des armées alliées d’Orient, où il va donner toute sa mesure. Dès décembre 1914, cherchant des solutions nouvelles pour sortir de l’impasse de la guerre de position, il avait fait étudier un plan d’opérations dans les Balkans que son ampleur avait fait refuser par le G. Q. G. C’est donc en chef averti qu’à son arrivée à Salonique le 19 juin 1918 il fait remanier le plan d’offensive préparé par le général Guillaumat, son prédécesseur. Pour lui, l’effort de l’armée d’Orient ne sera payant que si, visant le Danube, « il met hors de cause la Bulgarie, puis la Hongrie et l’Autriche ». Le 15 septembre, il lance les Franco-Serbes à l’attaque en Macédoine et, par une offensive foudroyante, obtient dès le 29 la capitulation bulgare. Il entend profiter aussitôt de sa victoire : « Avec 200 000 hommes, écrit-il le 20 octobre, je puis traverser la Hongrie et l’Autriche et marcher ensuite sur Dresde. » S’il ne peut réaliser un plan aussi grandiose, du moins réussit-il, par la vigueur et la rapidité de son action, à libérer l’Albanie, à pousser ses troupes de Sofia jusqu’à la frontière roumaine, atteinte le 10 novembre, et à lancer les Serbes sur Belgrade, où ils entrent triomphalement le 1er novembre. Après la capitulation turque, il est reçu en vainqueur le 22 novembre à Constantinople, où il établit son quartier général le 6 février 1919. Il dirige l’occupation des Balkans jusqu’à l’entrée en vigueur des traités de paix, mais déconseille au gouvernement de poursuivre son intervention dans la Russie du Sud, où les Alliés avaient débarqué à Odessa et à Sébastopol.