Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

alpinisme (suite)

Sur l’Everest, qui, avec ses 8 840 m, est le plus haut sommet du monde, les Anglais, depuis la première reconnaissance de 1921, multiplièrent les expéditions : en 1922 eut lieu la première tentative d’envergure ; en 1924, G. H. L. Mallory (1886-1924) et Irvine disparurent près du sommet, et il est improbable que celui-ci ait été alors atteint par eux ; les expéditions courageuses de 1933, 1935, 1936, 1938 furent de merveilleuses pages d’intrépidité, mais elles n’apportèrent pas la solution.

Les « 8 000 » paraissaient protégés par quelque divinité impénétrable, comme si aucun d’entre eux ne devait jamais être atteint. L’homme signa quelques victoires, souvent durement acquises, sur des « plus de 7 000 », dont le plus connu est la Nanda Devi (7 816 m), gravie en 1936, qui resta jusqu’en 1950 le plus haut sommet atteint par l’homme.


Depuis 1945

Dans les Alpes, tout ce qui est digne d’être conquis l’a été ; les meilleures courses que l’on puisse s’offrir sont les répétitions des itinéraires les plus difficiles ouverts récemment, justement ceux qui avaient été considérés comme des miracles, réalisés exceptionnellement par des cordées exceptionnelles : la face nord du Dru, vaincue en 1935, était jugée à l’époque comme une course de grand style ; répétée seulement quelques fois avant 1940, elle a vu passer maintenant plus de cent cordées et est en passe de devenir une course classique. En Dauphiné, le pilier sud des Écrins, gravi pour la première fois par Jean et Jeanne Franco en 1944, a été escaladé plus de cent fois également.

L’éperon nord de la pointe Walker, qui passe pour être une course sans rivale dans les Alpes, répétée seulement en 1945, est escaladé plusieurs dizaines de fois au cours d’étés où les conditions sont bonnes. Le terrible Eigerwand lui-même, le « mur de l’Ogre », où les dangers bien connus sont encore plus grands que les difficultés, a été parcouru par des dizaines d’alpinistes depuis la première, en 1938.

Cet extraordinaire essor de l’alpinisme de haute difficulté est la preuve d’une étonnante vitalité. Meilleure préparation physique, entraînement des grimpeurs dans des écoles d’escalade, meilleure connaissance de la montagne, de ses dangers, des procédés d’assurance et de progression semblent marquer une étape nouvelle, tout au moins dans la forme, sinon dans l’esprit. Car, au fond, l’esprit reste le même, et c’est le désir d’aventure, comme jadis, qui pousse les hommes vers les montagnes. Et les dernières conquêtes relatives à de nouveaux problèmes, apparemment impossibles, comme la face est du Capucin (Bonatti et Ghigo, 1951) et la face ouest du Dru (Bérardini, Dagory, Laîné et Magnone, 1952), parois verticales, souvent surplombantes et monolithiques, qui ont demandé pendant plusieurs jours l’emploi de procédés « artificiels » jadis contestés par l’alpinisme classique, ne participent-elles pas du même désir et du même espoir ?

Le développement de l’emploi des procédés artificiels d’escalade a ainsi permis de repousser encore les limites de l’impossible. Le mot ascension semble ne plus convenir pour définir de pareils exploits. Il faut plutôt parler d’entreprise ou d’expédition verticale à propos des itinéraires tracés sur le Capitan (montagnes Rocheuses des États-Unis) ou sur la face nord de l’Eiger, vaincue encore par d’autres voies, dont une tout à fait directe, qui demanda plus d’un mois d’efforts à des équipes se relayant le long d’installations fixes selon une tactique toute himalayenne.

Parmi les « conceptions les moins classiques », il faut noter la tendance actuelle au développement de l’alpinisme hivernal et de l’alpinisme solitaire.

L’alpinisme hivernal n’est pas né après guerre ; mais, en vingt ans, ce sont les itinéraires les plus difficiles qui ont été visités, y compris la face ouest du Dru (J. Couzy et R. Desmaison, en mars 1957), les faces nord du Cervin (Allmen et Etter, en février 1962), de l’Eiger (équipes conduites par T. Hiebeler en mars 1961) et des Jorasses (W. Bonatti et C. Zapelli, en 1963).

L’homme cherche enfin à vaincre seul, par ses propres qualités physiques et morales, les obstacles qui jadis ne pouvaient être surmontés que par la technique d’une cordée. On peut ne pas approuver ces entreprises, ni accepter les risques qu’elles comportent, mais il faut reconnaître que le combat de l’homme seul face à la montagne ne manque ni de noblesse ni de signification.

En 1950, sur les grandes chaînes du monde, la phase de la recherche des voies et des cimes vierges commence, comme il y a cent ans dans les Alpes. À côté du géant des Andes, le Fitz Roy n’est qu’une cime modeste de 3 440 m ; mais il passe pour être « la cime la plus difficile du monde ». Comme tant d’autres, il est attaqué et vaincu (G. Magnone et L. Terray en 1952). On fait le Kenya par la face nord, tandis que, dans le Garhwāl, on essaie d’effectuer une formidable traversée entre les deux sommets de la Nanda Devi, à près de 8 000 m d’altitude, tout comme dans les Alpes on traversait, hier à peine, les Grandes-Jorasses de la pointe Young au col des Hirondelles.

C’est en vérité dans l’Himālaya que désormais vont s’inscrire les hauts faits de l’alpinisme. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les expéditions nationales, mieux équipées, mieux outillées, profitant des expériences passées, repartent à l’assaut. À partir de 1950 commencent les années fastes pour le grand alpinisme mondial. Les Français à l’Annapūrnā (8 078 m) réalisent brillamment l’ascension du premier « 8 000 » (expédition de 1950, dirigée par Maurice Herzog). En 1953, un Allemand, H. Buhl, inscrit sa singulière victoire sur le Nanga Parbat (8 115 m) [expédition allemande dirigée par le Dr Herrligkoffer]. La même année, le 29 mai, E. Hillary et le sirdār N. Tensing prennent possession du « toit du monde », l’Everest (expédition britannique dirigée par J. Hunt), récoltant une victoire mûre et le fruit de trente années d’efforts et de ténacité, et faisant de la montagne « un monde désormais fini ».

Mais la plus belle des victoires n’éclipsait ni celle de l’Annapūrnā ni celles qui allaient suivre. L’ère de l’« himalayisme » ne faisait que commencer.

Le deuxième sommet du monde, le K2, dans le Karakoram (8 620 m), est atteint par A. Compagnoni et L. Lacedelli (expédition italienne dirigée par le professeur A. Dèsio, 1954) ; le Cho-Oyu (8 189 m) est gravi la même année par une expédition autrichienne dirigée par le Dr Tichy, qui arrive au sommet en compagnie de Jochler et du Sherpa Pasang Dawa Lama.

En 1955, après une expédition de reconnaissance (1954), une expédition française dirigée par J. Franco escaladait le Makālū (8 470 m) [cinquième sommet du monde]. Le Makālū, vaincu en trois assauts successifs par l’ensemble des membres de l’expédition, soit huit alpinistes français et le sirdār Gyalzen Norbu, était encore en 1970 le plus haut sommet atteint par les Français.