Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

alpinisme (suite)

La montagne, d’abord réservée à quelques privilégiés, s’est peu à peu démocratisée. Les organismes qui s’occupent particulièrement des loisirs, de l’éducation de la jeunesse voient dans la montagne un milieu éducatif et l’utilisent à des fins de formation de l’individu. En France, une institution spéciale, l’U. C. P. A. (Union des centres de plein air), créée par les mouvements de jeunesse, la Fédération française de la montagne et la Direction générale de la jeunesse et des sports, et agréée par l’État, a pour mission d’initier les jeunes aux sports alpins.


L’âge d’or

L’alpinisme a maintenant droit de cité. Seuls quelques grands sommets ont été gravis, mais les Alpes sont désormais connues, et l’on sait que, en dehors des monarques incontestables qui ont tenu la vedette, il y a d’autres sommets qui vont opposer à l’alpiniste de sérieuses difficultés. L’évolution de la pensée et l’évolution sociale, les possibilités accrues d’une nouvelle bourgeoisie, le développement industriel et économique ainsi que celui des moyens de transport créent un climat favorable à une première vulgarisation des montagnes. L’ouverture de routes, le développement des auberges et de l’hôtellerie, l’apparition des premiers corps de guides authentiques vont non seulement favoriser le tourisme alpin, mais aussi rendre possible la grande invasion des alpinistes, dont la deuxième moitié du xixe s. va être le témoin.

À partir de 1850, les alpinistes, notamment des Anglais, affluent vers les Alpes. Les paysans, chasseurs, cristalliers et contrebandiers originaires de la montagne et grands coureurs de pentes escarpées sont maintenant devenus guides. Les uns et les autres n’en sont déjà plus aux premiers balbutiements, car une technique spéciale s’est fait jour. Un matériel, encore rudimentaire et lourd, mais efficace, a été constitué. Surtout, un extraordinaire esprit d’entreprise anime les uns et les autres. En quinze ans, la plupart des grands sommets des Alpes vont être conquis.

La pointe Dufour du Mont-Rose (4 638 m) est gravie en 1855, l’Allalinhorn (4 034 m) en 1856, les Mischabels (4 554 m) en 1858, l’Aletschhorn (4 185 m), le Weisshorn (4 512 m), le Lyskamm (4 538 m) en 1861, la barre des Écrins (4 103 m) en 1864. L’âge d’or se termine en apothéose en 1865, par la conquête des Grandes-Jorasses (4 206 m), par celle de l’aiguille Verte (4 121 m) et surtout par celle du Cervin (4 482 m), qui fut aussi le théâtre du premier grand drame de l’histoire alpine (première ascension du Cervin par E. Whymper, C. Hudson, D. Hadow, F. Douglas avec M. Croz et les Taugwalder, père et fils, le 14 juillet 1865).

Les Anglais se sont taillés la part du lion dans ces conquêtes. Parmi les noms les plus célèbres émergent ceux de Hudson, Tyndall, Kennedy, Edward Whymper (1840-1911), servis par les premiers grands guides de l’histoire : M. Croz, les Taugwalder, Carrel, Biner, Almer.


L’alpinisme acrobatique

Alpinistes et guides ont maintenant acquis une solide expérience et une science dans l’art de grimper ; les grandes stations d’alpinisme sont des lieux de rendez-vous où les guides attendent les visiteurs. Les alpinistes fondent des associations : d’abord réunions amicales, puis véritables organismes alpins, qui vont s’occuper de publier revues et guides ainsi que de construire des sentiers et des refuges. C’est ainsi que l’Alpine Club est fondé dès 1857 et que le Club alpin français voit le jour en 1874.

On assiste d’autre part à la naissance de la conception sportive de l’alpinisme ; au moins aussi passionnant que la conquête des sommets, le jeu de la montagne lui-même, avec ce qu’il représente d’inconnu, devient le mobile essentiel. Il ne s’agit plus de faire des expériences scientifiques ou même de s’approprier un sommet, mais de se frotter aux parois de la montagne, de gravir les glaciers et les arêtes, de franchir les difficultés, de sortir vainqueur du jeu de la vie et de la mort.

Les quelques grands sommets difficiles que l’on n’avait pas encore osé attaquer tombent rapidement, quelques-uns, il est vrai, après de nombreuses tentatives : la Meije (3 983 m) en 1877 (Grand Pic : E. Boileau de Castelnau avec P. et J. Gaspard, père et fils), le Grand Dru (3 754 m) en 1878 (C. T. Dent et V. Walker Hartley, avec Burgener et K. Maurer), le Petit Dru (3 733 m) en 1879 (J. E. Charlet-Straton, P. Payot et F. Folliguet), la dent du Géant (4 013 m) en 1882 (les frères Sella avec J.-J., B. et D. Maquignaz).

Mieux, on va assister à un découpage systématique des Alpes. Des sommets de plus faible altitude, pics, aiguilles, quelquefois simples clochetons, vont devenir peu à peu des objectifs importants, dont les difficultés techniques sont en général inversement proportionnelles à l’importance géographique. Ainsi apparaît l’alpinisme acrobatique, dont le père est sans conteste l’Anglais Albert Frederick Mummery (1855-1895), qui atteint le Grépon (3 482 m) en 1881. Et lorsque le sommet est atteint, d’autres voies, d’autres itinéraires peuvent être ouverts sur la même montagne : le sommet importe peu, ce qui compte, c’est la difficulté. On ne « fait » plus seulement le Cervin, mais on le gravit par l’arête de Zmutt (Mummery, avec A. Burgener, J. Petrus et A. Gentinetta, en 1879). La redoutable Meije se fait bientôt par les arêtes (première traversée ouest-est en juillet 1891 : J. H. Gibson, avec U. Almer et F. Boss), puis par le couloir nord (couloir Gravelotte, en sept. 1898), puis par la face sud (Dibona-Mayer, en juill. 1912 : G. et M. Mayer, Dibona et Rizzi). Les alpinistes ne s’attaquent plus à une montagne, mais à une arête, à une face, à une paroi. Les premiers explorateurs des Alpes avaient conquis les premiers sommets malgré leurs difficultés ; on va maintenant dans les montagnes pour leurs difficultés.

Chaque année, des dizaines de « premières » tombent. Sur une seule montagne comme l’aiguille Verte, on ouvrira successivement plus de dix itinéraires différents, toujours plus difficiles, ou plus directs, ou plus dangereux.