Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fourmis (suite)

On a comparé leurs hordes féroces à celles des Huns et des Tatars

Les Fourmis légionnaires, ou Doryles, ont sinistre réputation ! On les connaît en Afrique (Anomma ou « magnans ») et en Amérique (Eciton). N’édifiant pas de nid permanent, elles mènent une vie nomade entrecoupée de bivouacs ; au repos, les ouvrières s’agglomèrent en une masse temporaire autour du couvain et des sexués ; la femelle, aptère, se distingue par son énorme abdomen, signe d’une fécondité exceptionnelle ; le mâle, ailé, est doté d’une grande longévité.

Que ce soit pour chasser ou pour chercher un nouveau gîte, la société se déplace en colonnes imposantes, groupant des millions d’individus et pouvant atteindre 10 m de large et plusieurs centaines de mètres de long ; au centre se trouvent les ouvrières, transportant parfois les sexués et les Staphylins commensaux ; sur les côtés, des soldats, aux mandibules menaçantes tournées vers l’extérieur. Tout animal qui n’a pu fuir est submergé par une foule avide et, avec une rapidité inouïe, déchiqueté et dévoré. Les indigènes préfèrent quitter leur case envahie par ces implacables carnivores, tous aveugles ; ils la retrouvent débarrassée des hôtes indésirables (rongeurs, Scorpions, Cafards, vermine), mince compensation à la perte des aliments carnés et des animaux domestiques parqués.

Comment des Fourmis parviennent à en réduire d’autres à l’esclavage

Incapables du moindre travail, les Fourmis amazones (Polyergus rufescens) se font servir par les ouvrières d’une autre espèce, en général Formica fusca ; elles pénètrent en rangs serrés dans un nid convoité, y livrent des combats aussi brefs qu’efficaces et en sortent chargées de cocons, qu’elles ramènent dans leur propre fourmilière ; quand les ouvrières fusca éclosent, elles soignent et nourrissent les amazones ainsi que leur couvain ; on observe donc des sociétés mixtes, où vivent jusqu’à 85 p. 100 d’esclaves. Pour fonder une nouvelle colonie, la jeune femelle Polyergus réussit à s’introduire dans un nid de F. fusca, à en massacrer la reine et à se faire adopter par les ouvrières qu’elle a rendues orphelines.

Un comportement analogue s’établit entre la Fourmi rouge Formica sanguinea et la même Formica fusca, mais l’esclavagisme est ici facultatif, et la proportion d’asservies dans les colonies mixtes est moins élevée. D’autre part, les ouvrières sanguinea adoptent une tactique différente pour s’emparer de leur butin vivant : une partie d’entre elles s’introduit dans la fourmilière adverse et contraint les occupantes, affolées, à s’enfuir avec leur couvain ; les autres ont investi le nid et, occupant la sortie des pourchassées, arrachent leur précieux fardeau et le transportent chez elles. Le même genre Formica réunit donc des espèces esclavagistes (sous-genre Raptiformica) et des espèces auxiliaires (sous-genre Serviformica).


Relations des Fourmis avec les autres animaux et avec l’Homme

Une foule d’alliés et d’ennemis vivent dans la mouvance des Fourmis, entretenant avec elles une variété de relations dont aucun autre groupe ne fournit d’exemples.

Les Fourmis sont les victimes de nombreux prédateurs : les Lézards, certaines Araignées capturent les pourvoyeuses ; des Oiseaux consomment les Fourmis ailées lors de l’essaimage ; d’autres éventrent les fourmilières ; des Mammifères édentés exotiques, comme les Fourmiliers, y introduisent leur langue gluante et la ressortent couverte d’Insectes. Au fond de ses pièges en entonnoir, le Fourmi-Lion traque l’ouvrière imprudente qui y basculera.

Inversement, les Fourmis s’attaquent à des animaux parfois plus gros et apparemment mieux armés qu’elles, mais qui succombent sous leur multitude. Les Fourmis légionnaires sont justement redoutées pour leur voracité. Partout où ils coexistent, Fourmis et Termites se livrent des combats acharnés, dont les premières sortent habituellement vainqueurs : les Fourmis cadavres d’Afrique (leur nom vient de l’odeur épouvantable qu’elles dégagent) font des razzias destructrices dans les termitières.

Divers parasites atteignent les Fourmis : les uns externes, comme les Acariens, qui se fixent sur leurs téguments ; les autres internes, comme les Mermis, Nématodes qui déforment les ouvrières qui les hébergent.

Une faune très spécialisée vit dans les fourmilières, constituant ce monde très curieux des « Myrmécophiles ». Il s’agit généralement d’Insectes, parfois d’autres Arthropodes, qui se sont adaptés au microclimat favorable entretenu par les Fourmis. On a dénombré plus de 4 000 espèces d’Invertébrés ainsi inféodés aux fourmilières. Les uns sont de véritables prédateurs d’ouvrières et de couvain ; on les appelle synechtres ; ainsi le Staphylin Myrmedonia capture-t-il des ouvrières de Lasius fuliginosus à ses risques et périls, car les Fourmis le pourchassent. D’autres — les « synœcètes » — sont tolérés, sans plus, par leurs hôtes ; ils se nourrissent de détritus, happent les liquides nutritifs lors des échanges trophallactiques entre Fourmis ou lèchent les ouvrières ; ils n’occasionnent que des dégâts minimes ; on peut citer parmi eux des Staphylins, les larves de Clythra (Chrysomélide), le Grillon Murmecophila, le cloporte Platyarthrus. Enfin, les « symphiles » sont soignés par les Fourmis et transportés par elles en cas de changement de nid ; leurs sécrétions sont tellement recherchées par leurs hôtes que l’équilibre de la société s’en trouve compromis et que les ouvrières délaissent leur couvain pour choyer ces étrangers ; la plupart des symphiles sont des Coléoptères, en particulier des Staphylins, comme Atameles, qui, au cours de son cycle, vit en association avec deux espèces de Fourmis, l’une quand il est adulte, l’autre durant sa vie larvaire. Notons que beaucoup d’Insectes myrmécophiles ont acquis une morphologie très voisine de celle des Fourmis qu’ils fréquentent : remarquable exemple de mimétisme.

Tout en admirant les merveilles de l’instinct que lui révèle le monde des Fourmis, l’Homme redoute les méfaits de ces bestioles qui pullulent : le promeneur assailli par les morsures aiguës des Fourmis rouges, la ménagère qui découvre ses réserves envahies par la Fourmi des pharaons s’accordent, pour juger ces êtres indésirables, avec les cultivateurs, qui voient les Pucerons malfaisants disséminés par la Fourmi d’Argentine, et avec les habitants des régions chaudes, soumis aux piqûres intolérables de la Fourmi de feu, aux raids des Fourmis légionnaires, aux ravages des cultures par les Atta. À la décharge des Insectes, constatons d’abord que l’Homme est souvent, sans l’avoir voulu, à l’origine de son malheur, soit en véhiculant loin de son pays d’origine l’une ou l’autre espèce, soit en multipliant les végétaux que recherchent aussi les Fourmis et leurs alliés. Et puis nous découvrons actuellement que nombre de formes jugées indifférentes sont en réalité éminemment utiles ; par exemple, les Fourmis rousses détruisent une grande quantité de chenilles et de larves de Diptères nuisibles aux arbres forestiers, à tel point que non seulement elles sont protégées dans plusieurs pays, mais encore on les importe dans des zones où elles manquent.

La première Fourmi connue date du Crétacé ; depuis cent millions d’années, ces Hyménoptères se sont répandus et diversifiés, occupant dans le monde vivant actuel une place privilégiée, tant par le nombre d’individus qu’ils représentent que par leur rôle dans les équilibres biologiques.

M. D.