Fouché (Joseph) (suite)
Fouché a alors quarante-cinq ans. Cet homme au visage étrangement pâle, au « regard glauque d’une fixité curieuse et exigeante » (Charles Nodier) affiche une froideur ironique ou narquoise qui intimide et, parfois, terrifie. Napoléon apprécie, sans l’estimer, ce bourreau de travail qui connaît tous les rouages de l’administration impériale. Fouché sait à fond son métier et apparaît toujours comme indispensable. Réinstallé au ministère, il paralyse les activités royalistes dans l’Ouest et frappe la presse réactionnaire. Dès lors, sa faveur augmente. Aussi, quand, pendant la campagne d’Espagne, il intrigue avec Talleyrand*, prévoyant le cas où Napoléon viendrait à disparaître, et s’entend avec lui sur le nom de Murat* comme successeur possible, l’Empereur, au lieu de le disgracier, le ménage parce qu’il a besoin de lui. Le ministre tout-puissant reçoit par intérim pendant quelques mois (1809) le portefeuille de l’Intérieur et est créé duc d’Otrante. L’année suivante, partisan d’un mariage russe, l’ancien régicide voit sans plaisir Napoléon songer à épouser une princesse autrichienne, petite-nièce de Louis XVI. Mais surtout, inquiet de la politique des conquêtes, il ose entamer des pourparlers secrets avec Londres, par l’intermédiaire du financier Ouvrard. Furieux de cette initiative, le souverain met à pied son ministre (3 juin). Sommé de passer sa succession à Savary, le disgracié se hâte de détruire toutes ses fiches de police : bien plus, il a l’audace d’emporter avec lui certaines lettres de la famille impériale. Au comble de l’irritation, Napoléon l’exile à Aix.
Dernières années
Trois ans plus tard (1813), le duc d’Otrante semble rentrer en grâce : l’Empereur lui confie le gouvernement des provinces Illyriennes. Gouvernement qui dure deux mois : devant l’invasion autrichienne, Fouché se réfugie à Venise, puis passe à Florence, à Naples, à Rome. Revenu à Paris après la chute de l’Empire, il s’applique à plaire aux Bourbons, mais, lorsque Napoléon débarque à Golfe-Juan, il change de camp.
Pendant les Cent-Jours*, l’Empereur, obligé, faute de talents, de s’appuyer sur Fouché, lui rend son portefeuille, tout en confiant à Carnot, si grande est sa défiance : « Avant de m’occuper de lui, j’ai besoin d’une victoire. » En fait, l’adroit ministre prône une politique de modération et de fermeté, soucieux avant tout de se préparer l’avenir par son double jeu. Quelques jours avant Waterloo, lucide, mais impuissant, Napoléon avoue : « Le duc d’Otrante me trahit... » Après le désastre, les Chambres, manœuvrées par Fouché, obtiennent l’abdication. Le vieux renard devient président d’une commission de gouvernement proposée par ses soins et est à la tête du pouvoir exécutif. Le 6 juillet 1815, grâce à ses négociations avec les agents de Louis XVIII, l’ancien Conventionnel est ministre-secrétaire d’État du roi ; le lendemain, il prête serment de fidélité avec Talleyrand, « le vice appuyé sur le crime », suivant le mot de Chateaubriand. Mais les ultras, qui le haïssent, se débarrassent rapidement de lui (sept.). Jugé indésirable dans une France qu’il ne devait plus revoir, Fouché est d’abord nommé ministre à Dresde, puis exilé purement et simplement par la loi qui frappe les régicides (1816). Il vit alors en Allemagne et finalement se retire à Trieste, où quatre ans plus tard, le 26 décembre 1820, il meurt, après avoir fait brûler les « épaves compromettantes de son formidable passé ».
L’authenticité des Mémoires de Fouché a été discutée en raison d’erreurs qu’aurait laissé passer le duc d’Otrante. Il semble, cependant, que ces Mémoires ne sont pas apocryphes ou, en tout cas, qu’ils ont été rédigés d’après les notes de Fouché.
A. M.-B.
L. Madelin, Fouché (Plon, 1955 ; nouv. éd., Perrin, 1969). / J. Savant, Tel fut Fouché (Fasquelle, 1955). / L. Kammacher, Joseph Fouché (Éd. du Scorpion, 1962). / H. Buisson, Fouché, duc d’Otrante (Panorama, Bienne, 1968).