Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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fortification (suite)

Les premières décennies du xvie s. furent marquées par les tâtonnements des architectes italiens, dont l’esprit d’invention avait été fouetté par le grand élan de la Renaissance. Leurs premières réalisations furent l’enceinte de Civitavecchia, dessinée vers 1515, et le premier bastion construit à Vérone en 1527. À partir de 1530, les transformations de l’enceinte de Rome, de Turin et d’autres villes permirent la mise au point des nouvelles techniques, et, lorsqu’en 1544 l’architecte Giacomo Castriotto aménagea le château Saint-Ange, on vit surgir une citadelle bastionnée.

La nouvelle fortification fut adoptée en France et dans le reste de l’Europe dès le milieu du xvie s. sans qu’on assiste toutefois à la transformation de toutes les enceintes médiévales, car les travaux nécessités par leur modernisation étaient fort coûteux. De plus, l’emprise sur le terrain des bastions et des fossés était telle que la surface d’une nouvelle enceinte était le triple ou le quadruple de ce qui était auparavant nécessaire. Dans bien des cas, le terrain n’offrait donc pas une aire suffisante.

La longue guerre de l’indépendance que les insurgés hollandais soutinrent contre l’Espagne fut l’occasion de perfectionner la fortification bastionnée. Certes, le terrain des Pays-Bas se prêtait à l’édification d’ouvrages en terre, mais la nécessité se fit sentir d’ajouter des organes avancés qu’on nomma demi-lunes ou ravelins. Il s’agissait d’épaulements, de forme triangulaire, aménagés dans les fossés à l’aplomb d’un bastion ou bien entre deux bastions et dont le but était de flanquer deux alignements du fossé. On avait, d’autre part, installé des parapets sur le bord extérieur des fossés pour effectuer des sorties, et cette position avancée reçut le nom de chemin couvert. On en vint à placer devant ce chemin couvert des ouvrages analogues aux demi-lunes, mais de forme différente : ce furent les ouvrages à corne, les ouvrages en couronne ou les tenailles.

Dans les premières années du xviie s., le Français Jean Errard (v. 1554-1610) de Bar-le-Duc et le Polonais Adam Fritach codifièrent ces acquisitions en leur donnant des bases mathématiques et géométriques. Soixante ans plus tard, Vauban* et son rival hollandais Menno Van Coehoorn (1641-1704) portèrent la fortification bastionnée à son plus haut degré d’efficacité. Vauban devait surclasser néanmoins Coehoorn par le nombre de ses travaux, puisqu’il a remanié ou bâti de toutes pièces une centaine de places, mais il s’est distingué surtout par la souplesse de ses réalisations. Il lui advint d’adopter des plans rigoureusement géométriques quand il opérait en terrain plat, comme à Lille et à Neuf-Brisach, mais il a moulé sa fortification aux accidents du sol dès que la topographie locale postulait des adaptations. Des ouvrages comme ceux de Besançon, de Briançon, d’Entrevaux, de Ville-franche-de-Conflent sont les témoins remarquables de ce réalisme architectural.

Au cours du xviiie s., les constructions de forteresses furent dans l’ensemble peu nombreuses et elles intéressèrent surtout les États-Unis ou des territoires d’outre-mer. En tout cas, la stratégie napoléonienne amena un changement dans la conception de la fortification. Jusqu’alors, on s’était battu pour conquérir des places fortes parce que celles-ci donnaient la possession des provinces convoitées ; dorénavant, les places répondraient au simple besoin d’abriter des approvisionnements et au souci de canaliser une offensive ennemie. La fortification fut ainsi mise au service de la stratégie.


La fortification du xixe siècle

Dès la fin du xviiie s., le marquis de Montalembert avait proposé de changer la structure des places : au lieu d’une enceinte épousant les lisières de l’agglomération, il souhaitait l’établissement d’un chapelet de forts à une certaine distance de la ville. Les progrès de l’artillerie dans le domaine de la précision et de la portée lui semblaient justifier cet éclatement de la fortification, à condition de donner aux ouvrages l’aspect de puissantes batteries. Aussi Montalembert suggérait-il que les forts deviennent de vastes bâtiments, où les bouches à feu seraient disposées en plusieurs étages comme sur les navires de guerre du xviiie s.

Il va de soi que de telles conceptions ne furent pas admises d’emblée et, comme il est souvent advenu, les idées du Français Montalembert furent adoptées d’abord à l’étranger. C’est donc à Linz (Autriche), puis à Vérone qu’on réalisa les premières places à forts détachés ; la chose ne fut admise à Lyon qu’après 1832, puis à Paris quand la capitale fut fortifiée après 1840.

Ces premiers ouvrages s’inspiraient encore des ouvrages antérieurs, ne serait-ce que par le maintien de bastions et par l’utilisation de hautes plates-formes, ou cavaliers, pour loger les canons. Des modifications résultèrent seulement de la mise en service des canons à rayures, dont la précision exigea de donner aux parapets et aux massifs de terre une pente telle que les défenseurs soient défilés aux coups directs. Les forts que le général français Raymond Séré de Rivières (1815-1895) construisit après la guerre de 1870 marquèrent de nouveaux progrès : les casernements et les magasins furent enterrés et reliés par des voûtes et par d’étroites courettes, tandis que les emplacements de combat étaient à ciel ouvert. Enfin, les fossés étaient flanqués par des caponnières, c’est-à-dire par des chambres de tir formant saillie sur les murs de contrescarpe.

Une remise en question de la fortification se produisit vers 1885 avec la mise en service des obus chargés à la mélinite, dont les effets destructeurs furent tels qu’on n’hésita point à les nommer obus torpilles. Par bonheur, la technique offrit alors aux fortificateurs deux parades : d’une part l’emploi du béton de ciment, puis du béton armé pour recouvrir les locaux souterrains d’une dalle particulièrement résistante ; d’autre part l’adoption des cuirassements pour abriter les canons et, plus tard, les mitrailleuses.