Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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fortification (suite)

La naissance des civilisations de type urbain comporta l’adoption d’une architecture militaire, car la cité antique ne pouvait survivre qu’en s’entourant de remparts. Toutefois, les enceintes urbaines n’ont pas été l’unique manifestation de la fortification durant l’Antiquité, car certaines nations, qui disposaient d’armées de métier et dont le gouvernement était de structure monarchique, construisirent des citadelles ou des postes de moindres dimensions pour défendre leurs frontières. Ce fut notamment le cas de l’Égypte et de l’Assyrie. Quelles que soient la nature et la taille des ouvrages, on peut constater que l’Antiquité avait déjà mis en application quatre principes sur lesquels repose la fortification.

• Le premier réside dans la notion de protection : la fortification doit assurer une couverture contre les projectiles ennemis tout en faisant obstacle à l’assaut des combattants adverses. Il en découle l’obligation d’associer deux catégories d’organes : les uns pour parer les coups et les autres pour interdire à l’adversaire de passer à l’abordage. Les premiers furent constitués par les épaisses maçonneries des remparts avant de faire place aux dalles de béton des blockhaus et des abris. Les seconds furent formés par des fossés ou des palissades avant d’être représentés par des réseaux de fil de fer et des champs de mines. Mais il fallait combiner ces deux types d’organes pour frapper l’ennemi au moment où il était arrêté par un barrage. Cette règle, adaptée jadis à la faible portée des armes de jet, est aujourd’hui énoncée par la formule « l’obstacle doit être battu par le feu ».

• Le principe de l’échelonnement en profondeur répond au besoin de prolonger la résistance même si l’ennemi prend pied dans un ouvrage. À la citadelle d’Hierakônpolis, construite vers 2900 av. J.-C., dans la vallée du Nil, il existait déjà deux remparts successifs et étages, en sorte que les combattants placés à l’étage inférieur pouvaient être appuyés par les combattants déployés à l’étage supérieur. Dans la fortification médiévale, les ouvrages avancés comme les lices, les barbacanes répondaient au même principe, tandis que le donjon constituait un réduit. Mais, dans la fortification moderne, l’utilisation du canon et de la mitrailleuse permit d’égrener les postes de tir sur une grande profondeur.

• Le principe de la sûreté des accès résulte de la crainte que l’ennemi surgisse par surprise et pénètre dans l’ouvrage en forçant les portes. Les fortificateurs ont, en conséquence, établi des entrées en chicane. Ils ont prévu des portes successives et parfois une herse pouvant s’abattre brusquement. Ils ont également conçu des entrées en tenaille, où les assaillants devaient s’engager dans un long passage coupé par deux ou trois resserrements et même par des courettes. La célèbre porte d’Ishtar à Babylone, édifiée sous Nabuchodonosor II, et la porte de Khursabād en furent les meilleurs exemples.

• Le dernier principe intéresse le flanquement et peut se définir par l’obligation de recouper les vues et, a fortiori, les tirs de la défense sur toute la périphérie des ouvrages. Un tel résultat fut recherché très tôt par des tours qui faisaient saillie vers l’extérieur. C’est ce qu’on peut déjà constater aux citadelles égyptiennes d’Ikkour et de Bouhen, en Nubie, construites sous la XIIe dynastie, tout comme à la ville sumérienne de Lagash, dont une statuette donne la représentation vers 2300 av. J.-C. La fameuse muraille de Chine n’offre pas un aspect différent, mais on doit observer qu’avant d’utiliser des tours les fortificateurs ont réalisé des flanquements par un tracé en crémaillère donné aux remparts. L’enceinte d’Aï, en Palestine, qui remonte à 2500 - 2000 av. J.-C., et celle de la ville péruvienne de Sassahuamán, édifiée au xiiie s. apr. J.-C., en portent témoignage.

La notion de flanquement a conditionné ensuite la fortification bastionnée, puisque les ouvrages ont pris l’aspect de figures géométriques afin d’imposer aux trajectoires des armes à feu une orientation optimale. Enfin, dans la fortification moderne, les organes défensifs furent conçus et répartis sur le terrain pour obtenir le recoupement des feux de l’infanterie et de l’artillerie jusqu’à limite de visibilité.

Un dernier caractère de la fortification doit être signalé, encore qu’il ait disparu au xixe s. Jusqu’à cette époque, en effet, les édifices militaires n’ont pas différé profondément des autres types de constructions. Les matériaux étaient semblables, les problèmes posés aux fortificateurs n’étaient qu’une transposition des problèmes posés aux autres bâtisseurs, les architectes étaient rarement spécialisés... Ce n’est donc point un effet du hasard si les périodes où furent conçus des édifices remarquables furent aussi les périodes où les ouvrages militaires furent à la fois puissants et ingénieux ; à l’inverse, les époques de décadence architecturale furent marquées par la médiocrité des fortifications. Dans la seconde moitié du xixe s., toutefois, l’utilisation du béton et des cuirassements ainsi que la nécessité d’enterrer profondément les casernements et les organes de tir ont fait de la fortification une technique d’ingénieurs.


Principales étapes de l’histoire de la fortification


Les fortifications romaines et byzantines

Durant les trois premiers siècles de notre ère, les 9 000 km du limes séparant le monde romain des populations barbares firent l’objet d’une défense très nuancée : une surveillance très lâche dans les régions désertiques ou semi-désertiques, comme la Syrie et le Maghreb ; un contrôle suffisamment étroit dans les régions danubiennes et rhénanes ; enfin un véritable barrage dans les zones favorables, comme l’isthme séparant l’Écosse de la Grande-Bretagne. Il en résulta trois types d’ouvrages.

— En lisière du limes s’élevaient des tours de garde, complétées dans certains secteurs par des longs fossés ou par des remblais coiffés de palissades.

— À proximité du limes, des castella abritaient les unités de troupes auxiliaires. C’était généralement des enceintes carrées ou rectangulaires flanquées d’au moins quatre tours avec une ou deux portes. À l’intérieur se trouvaient une grande cour et les bâtiments d’habitation.

— En arrière s’élevaient les camps légionnaires, véritables cités militaires entourées de remparts.