Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alpes (suite)

L’isolement a obligé les hommes à produire, plus que dans les plaines, tout ce qui était nécessaire, en fonction du milieu ; les bases de cette vie autarcique ont été l’agriculture et l’élevage. L’abondance de l’herbe, tout au moins en dehors des Alpes sèches, libérait les paysans des contraintes collectives qui ailleurs imposaient l’assolement obligatoire et la vaine pâture. Cependant, le morcellement des parcelles, imposé par le relief et la faible étendue des superficies cultivables, restreignait la place des chemins et ordonnait une synchronisation commune des travaux agricoles, moisson ou fauchaison. De même, la longue durée de la culture céréalière en altitude (treize mois parfois) demandait souvent une jachère, obligatoire aussi dans les Préalpes méridionales à cause de la sécheresse. Pourtant, il semble probable que l’agriculture alpine ait été précocement plus libre que dans les plaines soumises à la même civilisation. C’est peut-être ce qui explique la variété des paysages agraires alpestres, qui juxtaposent de véritables « champs ouverts » (val de Conches, dans le Valais) à des bocages dont les haies sont les résidus de la déforestation (le Beaumont, près du col Bayard).

On cultivait essentiellement les céréales (froment, seigle, orge, et par tradition elles se sont maintenues dans tous les bassins propices), puis les légumes et la pomme de terre (à partir du xviiie s.), les arbres fruitiers (pommiers, poiriers, châtaigniers) et, partout où elle était possible, la vigne (dans la vallée de la Durance, le Grésivaudan, les basses vallées de Savoie, le Valais, l’Engadine, le val d’Aoste). Les plantes industrielles s’y juxtaposaient (le chanvre et le lin pour les toiles).

Mais les formes les plus originales de cette agriculture concernaient l’élevage. L’étagement des pâturages en altitude a créé des types d’exploitation remarquables. Les Alpes sèches méridionales étaient le domaine du mouton et de la chèvre. Plus humides l’été que les plaines méditerranéennes, elles accueillaient leurs troupeaux transhumants. Dans les Alpes humides, c’est la vache qu’on élevait surtout ; on la faisait estiver dans les prairies étagées par des mouvements, ou « remues », souvent fort complexes, suivant les étapes et les stationnements adoptés, suivant l’importance du groupe accompagnant le bétail, suivant enfin le type de propriété et d’exploitation adopté : « petite montagne », où chaque famille fixe son bétail ; « grande montagne », exploitée en commun avec quelques bergers et fromagers. Aujourd’hui, le type « grande montagne » tend à prévaloir partout où l’estivage persiste.

Le gros problème était celui de la nourriture hivernale du bétail. On accumulait rapidement, pendant le court été alpin, le foin, descendu souvent à dos d’homme ou de mulet. On complétait les rations par de la paille ou des feuilles d’arbres. Les produits étaient variés : beurre et surtout fromages (gruyère, sérac, beaufort).

On extrayait les minéraux de la montagne : le plomb, le zinc (Alpes du Sud), le cuivre, l’argent, l’or même (Oisans), mais surtout le fer, dont les gisements les plus riches ont fixé une métallurgie fine encore bien vivante : Allevard dans le Dauphiné, Cogne en pays d’Aoste, qui alimente Turin en aciers spéciaux, Styrie surtout (montagne de l’Erzberg). On exploitait les mines de charbon (Briançonnais, Savoie, La Mure, lignite et houille autrichiens). La plupart des mines, sauf en Autriche, sont fermées ou vont l’être (bassin de La Mure).

L’industrie artisanale textile était présente partout : fabrication de toile, ou de drap, ou de chapeaux de feutre (Diois), puis, à partir du xixe s., travail du coton. Certaines de ces fabrications ont survécu en se modernisant, comme les tissages de coton de la vallée de la Linth (Glaris), la draperie de la vallée de l’Inn (loden) ou celle des Alpes italiennes, la broderie suisse de Saint-Gall. On travaillait aussi la paille, le bois, l’argile (Moustiers-Sainte-Marie), le cuir (gants de Grenoble), le papier (Dauphiné).

Beaucoup des produits industriels étaient exportés par les colporteurs, éléments d’une émigration saisonnière largement représentée partout : ramoneurs de Savoie, fromagers suisses, maçons du Giffre, moissonneurs des Alpes du Sud.

Un certain équilibre caractérisait cette économie traditionnelle : on vivait rudement mais bien dans les Alpes. Cet équilibre fut rompu par la concurrence des plaines, plus évoluées, et surtout par l’augmentation rapide de la population. Les Alpes deviennent pays de misère avant que l’émigration massive et les transformations économiques permettent la recherche d’une nouvelle aisance.


Les transformations de l’économie

Elles tiennent à quatre facteurs principaux : la dépopulation, l’ouverture des voies de communication, l’introduction de nouvelles techniques agricoles et industrielles, l’apparition du tourisme.


La dépopulation

Elle a été générale, bien qu’inégale : au cours du siècle dernier, son taux annuel atteint 10,2 p. 1 000 dans les Alpes occidentales italiennes et 9,6 p. 1 000 dans les Alpes françaises méridionales. En Autriche, il est encore de 5,1 p. 1 000 de 1934 à 1954 ; en Italie, de 9,2 p. 1 000 de 1930 à 1950 (G. Veyret).

Ce qui est grave, c’est que ce sont surtout les jeunes qui partent, les plus dynamiques, et, depuis la Première Guerre mondiale, les jeunes filles en particulier : peu de mariages, peu de naissances, l’accroissement naturel de la population baisse. Ce cercle vicieux touche essentiellement la campagne, car, en revanche, les villes croissent. Le problème est qu’il reste suffisamment de main-d’œuvre rurale pour une agriculture et une industrie rénovées.


L’ouverture des voies de communication

La construction de routes modernes est principalement l’œuvre du xixe s. Parfois, des arrière-pensées stratégiques conduisent les gouvernements, ainsi pour les routes de Montgenèvre et du Mont-Cenis, lancées par Napoléon Ier en fonction de sa politique italienne, ou pour celle « des Dolomites », de Bolzano à Cortina, ou encore pour celle du Stelvio, entre l’Autriche et la Lombardie (1820-1825). Mais, plus généralement, l’effort routier alpestre n’est que la conséquence du grand mouvement technique du xixe s. Les États les plus purement alpins, la Suisse et l’Autriche, font, en particulier, un grand effort pour décongestionner leurs montagnes et les ouvrir par les cols internationaux vers l’Italie ou la France. La route du Splügen et celle du San Bernardino, en Suisse, datent de 1820-1825, celle du Julier de 1820-1840, et la route de la Furka (toujours en Suisse) de 1866. Le développement du tourisme et de l’automobile, la construction des barrages ou même l’exploitation des forêts engagent à créer de nouvelles voies (le Galibier, 1891 ; le Grossglockner, 1935 ; l’Iseran, 1937). Il n’en reste pas moins que quelques massifs sont peu pénétrés par la route : tels l’Argentera, le Mont-Blanc, l’Oberland, les Hohe Tauern.