Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alpes (suite)

Mais ces glaciers ont eu autrefois, et à plusieurs reprises au cours de l’ère quaternaire, un volume et une extension bien plus grands. Les glaces alpines ont recouvert le bas Dauphiné jusqu’à Lyon, le sud du plateau bavarois, la plaine du Pô jusqu’à Ivrée et au-delà des lacs italiens. Ces immenses appareils ont laissé partout, sauf dans les Préalpes françaises du Sud, les traces de leur puissante érosion et de leurs accumulations morainiques, et le travail de leurs successeurs est bien minime à côté du leur. Aussi l’aspect le plus typique du relief alpin est-il le relief glaciaire : vallées en auge, à fond plat, succession de bassins et d’étroits « ombilics » et « verrous », cirques, roches polies, striées, moutonnées, longues lignes de moraines ou arcs terminaux dits « vallums », comme ceux d’Ivrée, de Rivoli, du Tessin, du lac de Garde. Parfois, les anciennes dépressions glaciaires sont occupées par des lacs (lacs d’Annecy, du Bourget, lacs italiens et suisses), ou bien les alluvions postglaciaires les ont comblées (Grésivaudan) en véritables plaines.

Au travail de la glace, la neige, le gel et l’eau courante ajoutent leurs effets. Le gel et le dégel de l’eau infiltrée dans les roches les fracturent en débris, qui s’accumulent sur les pentes en vastes pans d’éboulis. Ce sont surtout les calcaires, fissurés originellement, qui sont sensibles à cette action mécanique et qui, par conséquent, présentent les plus beaux éboulis, tels ceux du Dévoluy ou des Dolomites. Mais les roches cristallines n’en sont pas exemptes, et la sculpture des hautes aiguilles (comme celles de Chamonix) est due à ce processus d’érosion.

La neige joue un rôle complexe, mais ses effets les plus spectaculaires sont présentés par les avalanches, entraînant rochers, cailloux, arbres dans leurs couloirs, remodelés souvent l’été par les torrents.

Ceux-ci, à cause des fortes pentes et de leur alimentation abondante par la fonte des neiges ou des glaces, ont parfois aujourd’hui des crues catastrophiques. Mais les grands cônes de déjections coupant les vallées, les gorges profondes encombrées de blocs énormes sont surtout l’œuvre de leurs prédécesseurs, lors du recul des glaciers quaternaires.

Ainsi deux grands domaines s’étagent en altitude : celui de la haute montagne et celui de la moyenne montagne. Au premier appartiennent les paysages les plus caractéristiques, les plus « alpins » : les glaciers, les névés, les pyramides, les aiguilles s’y juxtaposent aux éboulis et aux grands escarpements. C’est le territoire de la glace, du gel, de la neige, des avalanches. La moyenne montagne est plus étendue : plateaux calcaires, corniches raides, pentes molles schisteuses, bassins profonds, gorges étroites, petits alvéoles presque fermés ; c’est le paysage des eaux courantes, celui des Préalpes françaises et bernoises, mais aussi des Alpes orientales.

Ainsi la variété, l’originalité et la vigueur du relief des Alpes s’expliquent par le travail d’une érosion très efficace, essentiellement passée, quaternaire, sur un bâti complexe, dont elle a dégagé progressivement et sélectivement, au fur et à mesure de la mise en place, les caractères architecturaux et lithologiques.

La genèse des Alpes

Une partie des roches cristallines alpines provient des lambeaux d’une ancienne chaîne primaire dite « hercynienne », enfouis à l’ère secondaire dans une vaste et profonde dépression marine, un « géosynclinal » semblable aux grandes fosses actuelles que le Pacifique révèle par exemple au droit de l’Indonésie. Certains sédiments accumulés dans ce géosynclinal ont subi des transformations intimes sous l’action de la chaleur et de la pression, se sont « métamorphisés » et sont devenus des roches cristallines juxtaposées aux premières. Des épanchements volcaniques au fond de la mer ont été à l’origine des « roches vertes » affleurant aujourd’hui, par exemple dans le Queyras.

Mais la situation s’est inversée dès la fin du Secondaire et surtout au Tertiaire : la fosse marine est ainsi devenue montagne. Le soulèvement commence sur la face interne et gagne progressivement vers l’extérieur, refoulant les mers dans ce sens. Les premières chaînes émergées, démolies par l’érosion, ont alimenté en nouveaux sédiments les mers et les lacs proches, souvent sur de grandes épaisseurs, sédiments qui ont été incorporés à leur tour dans les mouvements ultérieurs. Ce sont le flysch à l’intérieur, la molasse à l’extérieur. Ainsi mouvements verticaux et plissements se succèdent pendant toute l’ère tertiaire et jusqu’à nos jours avec quelques phases paroxysmales : au début, au milieu et à la fin du Tertiaire. Les massifs cristallins rigides se sont soulevés en se brisant ; le matériel plus souple, peu métamorphisé ou resté sédimentaire, s’est plissé soit en grandes « nappes de charriage », soit en plis plus simples.

Le problème est de rechercher la cause de ces mouvements, et les opinions ont varié suivant les époques.

On a d’abord mis en cause des processus de serrage, dus à l’avancée vers le nord du vieux socle africain contre le socle européen : le contenu du géosynclinal aurait été éjecté et se serait déroulé en longues nappes superposées, parfois sur plusieurs dizaines, voire une centaine de kilomètres. Mais il fallait retrouver l’origine de ces nappes, leurs « racines », quelque part en Italie : on n’y arrivait qu’au prix de constructions ardues. Aussi l’« ultranappisme » a-t-il été violemment contesté.

Plus récemment, et sous l’impulsion de l’école géologique et géographique de Grenoble, on a attribué la première place aux mouvements verticaux : les massifs anciens se sont progressivement soulevés ; leur couverture sédimentaire se serait décollée, appelée par la pente, vers l’extérieur, sous l’action de la pesanteur, de la gravité. Ainsi les grandes nappes issues des massifs anciens internes se seraient déroulées, puis, la surrection gagnant la périphérie, celles des massifs anciens externes auraient subi la même évolution. Leur couverture tassée vers l’avant aurait formé les Préalpes. L’émersion tardive de certains de ces massifs anciens aurait par ailleurs coupé parfois certaines nappes antérieures de leurs tronçons amont : par exemple, le massif du Mont-Blanc, un des derniers soulevés, aurait sectionné les nappes du Chablais de leur prolongement oriental.